Notre premier héros olympique était un policier de Montréal
En 1904, lorsque le Québécois Étienne Desmarteau remporte la médaille d’or aux Jeux olympiques à Saint-Louis aux États-Unis, les Jeux olympiques ne sont revenus à la mode que depuis huit ans. Les premiers Jeux olympiques modernes, ceux d’Athènes en 1896 n’attirent que 250 athlètes. Au fil du temps, les Olympiques gagneront graduellement en popularité.
On a longtemps jugé la médaille d’or d’Étienne Desmarteau comme la première remportée par un athlète affichant les couleurs du Canada. Pourtant, cette médaille considérée historique ne fait pas l’unanimité chez les historiens. Certains croient plutôt que l’honneur devrait revenir à George Orton qui, quatre ans avant Étienne Desmarteau, avait remporté une médaille d’or aux Jeux olympiques de Paris à l’épreuve de course à obstacles sur 2500 mètres. L’ambiguïté réside dans le fait qu’en 1900, lors de ces jeux dans la Ville Lumière, le Canada n’avait pas encore de délégation olympique officielle. Orton avait participé aux olympiades comme représentant de l’Université de Pennsylvanie. Il portait donc les couleurs des États-Unis lors de sa victoire.
D’autres maintiennent qu’Étienne Desmarteau est le premier Canadien médaillé d’or olympique de l’histoire canadienne, si l’on ne tient pas compte de la compétition de golf tenue aux Jeux de Saint-Louis en 1904. En effet, le golfeur George Seymour Lyon a aussi remporté la victoire. Cependant, parce que le golf n’était pas reconnu comme une discipline officielle et avait été retiré des compétitions olympiques pendant une centaine d’années, la médaille de Desmarteau est devenue plus emblématique. Bref, chose certaine, Étienne Desmarteau est assurément le premier Québécois à remporter une médaille d’or aux Jeux olympiques en athlétisme. Le contexte dans lequel il gagnera sa médaille fera de lui une légende.
Naissance d’une légende
Étienne Desmarteau (baptisé Joseph-Étienne Birtz) nait à Boucherville en 1873. Il grandit entouré d’une belle grande fratrie de sept enfants élevés dans la pure tradition canadienne-française. Il est encore aux couches quand la famille déménage à Montréal. Le jeune Joseph-Étienne aime jouer dehors et faire de l’activité physique, mais n’est pas tellement vaillant en classe. Comme beaucoup de jeunes Québécois de cette époque, il abandonne l’école assez tôt pour mettre à profit sa force physique et gagner un peu d’argent à l’usine. On sait qu’il travailla comme ouvrier à la fonderie de la Canadian Pacific Foundry, puis qu’il profita, en 1901, d’une vague d’embauche pour la police de Montréal afin de postuler comme agent de la paix. Il faut dire qu’Étienne a des prédispositions physiques pour l’emploi. Il mesure 6 pieds, pèse 208 livres et est particulièrement costaud. En plus de ses attributs physiques, c’est un homme droit, brave et discipliné, ce qui fait de lui un policier modèle. Il est aimé et admiré par l’ensemble de ses collègues policiers, il se fait particulièrement remarquer par ses patrons quand il réussit à maitriser un dangereux pyromane qui s’apprêtait à faire bruler un commerce dans lequel se trouvaient quatre enfants.
Le policier Desmarteau attire aussi l’attention des entraineurs d’un prestigieux club sportif (le plus vieux au Canada), l’Association des gymnastes amateurs de Montréal (M.A.A.A.). Fondée en 1881, l’association joue un rôle prédominant dans le développement sportif au Canada. James Morris, l’un des membres, s’est d’ailleurs inspiré du logo du club, composé d’une roue et d’ailes, lorsqu’il est devenu propriétaire des Red Wings de Detroit.
Étienne Desmarteau est particulièrement en forme, il est rapide et surtout très fort. L’agent Desmarteau commence à s’entrainer avec le club et performe dans plusieurs disciplines de l’athlétisme. En 1902, il remporte deux compétitions prestigieuses, le Championnat du monde des poids lourds et le Championnat du monde junior au lancer du marteau. Le plus impressionnant c’est que les deux épreuves se déroulaient le même jour, à une heure d’intervalle.
Aventure olympique de 1904
Ces succès l’incitent à demander un congé à ses patrons pour profiter d’une opportunité sans commune mesure. Pour la première fois de l’histoire, les Jeux olympiques traversent l’Atlantique et sont présentés aux États-Unis dans la ville de Saint-Louis, au Missouri. À l’époque, la délégation canadienne n’était pas tellement structurée et les athlètes devaient payer les dépenses pour se rendre aux compétitions. Malheureusement pour Desmarteau, ses patrons refusent de lui accorder un congé. Convaincu de ses chances de victoire, il démissionne de la police. Il prend donc la route du Missouri, sans emploi, mais heureusement et modestement appuyée par la M.A.A.A.
Les Jeux olympiques de Saint-Louis auxquels a participé le Québécois étaient de bien bizarre de jeux. L’événement sportif était amalgamé à des journées anthropologiques. On assistait alors à des compétitions dans lesquelles s’affrontaient des compétiteurs autochtones de tous les continents dans un but plutôt raciste. On cherchait à évaluer les capacités physiques des indigènes et prouver la supériorité des capacités des athlètes à la peau blanche. Des mascarades sportives mettaient en scène par exemple des affrontements entre pygmées et des autochtones de nations nord-américaines.
En 1902, Theodore Roosevelt, nouvellement élu comme président des États-Unis, impose la tenue des Jeux à Saint-Louis au même moment que l’Exposition universelle. Son objectif est de dynamiser positivement la ville alors aux prises avec des tensions raciales et des scandales de corruption. Cette concordance de l’Exposition universelle avec les jeux olympiques fait que les compétitions sportives ont été un peu noyées à travers les expositions culturelles et scientifiques. De plus, le calendrier des compétitions sportives s’était étendu sur plus de quatre mois. Vous pouvez comprendre pourquoi plusieurs parlent de cette olympiade comme d’un événement chaotique.
Lors de ces jeux qui accueillent les athlètes de 12 pays, les représentants des États-Unis raflent presque toutes les médailles en athlétisme. Du jamais vu! Ce qui est encore plus exceptionnel, c’est qu’une des deux médailles qui échappent aux Américains est celle que notre policier québécois gagne. Étienne Desmarteau ne fait pas que remporter une médaille d’or au lancer du poids de 56 livres, il la remporte à travers un raz-de-marée de médailles américaines!
Retour à Montréal, gloire éphémère
Vous pouvez imaginer qu’à son retour en ville, il est accueilli comme un véritable héros par ses collègues de travail de la caserne no 5 de la police de Montréal. Évidemment, ses patrons n’ont d’autres choix que de le réembaucher à son poste de policier à la caserne de la rue Chenneville.
L’année suivante, en juillet 1905, il bat un nouveau record mondial au lancer du poids (56 livres) en hauteur. Il a 32 ans, il est un des plus grands athlètes de son époque, rien ne semble pouvoir freiner ses ardeurs, sauf la maladie. Durant un de ses entrainements, il souffre d’un malaise. On diagnostiquera plus tard qu’il est atteint de la fièvre typhoïde. Étienne Desmarteau, un des premiers héros athlètes québécois, meurt de façon précipitée le 29 octobre 1905. Il faut savoir que jusqu’à ce que l’eau des aqueducs de la ville soit chlorée, cette fièvre affectait régulièrement les Montréalais. Au début du 20e siècle, malgré quelques améliorations, les conditions sanitaires et la qualité de l’eau potable sont souvent pitoyables à Montréal. À la suite de l’épidémie de fièvre typhoïde de 1910, le conseil municipal de la métropole, probablement inspiré par les travaux publics amorcés dans les grandes villes du nord des États-Unis, vote des crédits pour améliorer le réseau d’aqueducs de la ville.
La médaille d’or de Desmarteau et celles des autres athlètes canadiens après lui deviendront des bougies d’allumage pour de nombreux jeunes sportifs au pays, particulièrement en natation, en aviron, en boxe, en athlétisme, et bien sûr au hockey. À Montréal, le Club sportif M.A.A.A. a entrainé plusieurs de ces olympiens comme les médaillés d’or George Hodgson en natation aux Jeux de Stockholm en 1912 et Myrtle Cook McGowan au 4X100 mètres relais à Amsterdam en 1928. Aujourd’hui, de nombreux athlètes québécois contribuent à faire rayonner le Canada sur la scène sportive mondiale.
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Cet article fait partie d’une série d’histoires parues initialement dans le magazine Traces de la Société des professeurs d’histoire du Québec (SPHQ).