« De l’audace, encore de l’audace et toujours de l’audace »
Introduction
« De l’audace, encore de l’audace et toujours de l’audace! ». Telle est la devise de la Réserve navale du Canada, le corps de réserve de la Marine royale du Canada. Une devise en Français, dans une institution profondément ancrée dans la tradition britannique et dont les unités, majoritairement anglophones, sont basées dans toutes les grandes villes canadiennes, n’est-ce pas curieux? En réalité, les francophones jouèrent un rôle majeur et largement méconnu dans la création du Service naval en 1910 et celle de la Réserve des volontaires de la marine en 1923.
De manière générale, l’histoire navale s’est déroulée dans une grande indifférence du public québécois, et parfois même des milieux militaires eux-mêmes. Pour preuve, la manière dont cette devise est venue à représenter l’identité des réservistes de la marine est aujourd’hui totalement oubliée des membres de la Réserve navale. Comment cette devise est-elle arrivée jusqu’à nous? Qui est responsable de son instauration? Les réponses à ces questions n’existaient tout simplement pas avant aujourd’hui.
En 2023, la Réserve navale du Canada célèbre ses 100 ans d’existence. L’occasion est idéale pour éclaircir ce mystère et refaire le parcours de cette devise, dont les premières traces remontent à la Révolution française, à la fin du 18e siècle.
Un héritage de la Révolution française
C’est en mars 1988 qu’étaient adoptés l’écusson et la devise de la Réserve navale du Canada.1 Cette date historique marquait un anniversaire important, celui du 65e de la création des demi-compagnies de la Réserve des volontaires de la marine royale du Canada, dont les premiers éléments sont fondés en mars 1923.
La devise « De l’audace, encore de l’audace et toujours de l’audace » fait référence à un moment bien connu de la Révolution française. C’est dans son discours du 2 septembre 1792 devant l’Assemblée législative de Paris que le révolutionnaire George Danton prononce les mots qui deviendront ceux qui symbolisent l’esprit de la Réserve navale du Canada.
George Jacques Danton est le fils d’un procureur devenu avocat en 1787. Ce n’est que quelques années plus tard, en 1792, qu’il connait son heure de gloire au moment de prononcer ce discours. Il s’agit d’une année troublée. Le 10 août, la monarchie française est renversée par la commune insurrectionnelle de Paris, qui prend d’assaut le Palais des Tuileries, le siège du pouvoir royal. L’Assemblée législative s’effondre et laisse place à une assemblée constituante, dont Danton devient ministre de la Justice au sein du conseil exécutif.
Mais la révolution est fragile et l’Assemblée doit faire face à un danger imminent. La France est en guerre contre l’Autriche depuis le 20 avril 1792. Le duc de Brunswick vole au secours de la monarchie et fait parvenir un manifeste menaçant les Parisiens de mort pour ceux qui s’en prendraient à la famille royale. Le 19 août, l’armée austro-prussienne franchit la frontière française et envahit le territoire. Une panique collective s’empare des Français alors que l’ennemi progresse sans opposition. La révolution semble perdue.
Le 2 septembre, George Danton monte à la tribune et prononce ce discours flamboyant afin de redonner vigueur à la résistance. Les sans-culottes les plus fanatiques le prennent au mot et déclenchent une série de massacre, dont seront victimes des prêtres réfractaires de carmes.2 Mais le discours insuffle aussi une énergie nouvelle au mouvement révolutionnaire. Toutes les églises de Paris sonnent le tocsin et des coups de canon appellent les volontaires à rejoindre l’armée sur le Champ-de-Mars.
Le 20 septembre 1792, dans un revirement totalement inattendu, l’armée française, mal équipée mais déterminée, bat l’armée autrichienne à la bataille de Valmy dans une victoire jugée « miraculeuse ». C’est la première victoire militaire décisive de l’armée française pendant les guerres révolutionnaires.
Danton devient aussitôt un héros de la Révolution. On lui attribue le mérite de cette victoire, qui galvanise les foules. Cette bataille devient un des moments fondateurs de la Révolution française et donne à la jeune Convention nationale la légitimité suffisante pour abolir officiellement la monarchie le 21 septembre 1792 et commencer à dater les nouveaux événements de l’An 1 de la République.
Au cours des décennies suivantes, les mots « de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace » deviennent le symbole de la détermination nécessaire pour retourner une situation désespérée en éclatant succès. La tirade devient même un proverbe, qui sera fréquemment utilisé (et déformé!) au cours du 19e siècle par les politiciens et les orateurs publics désireux de s’associer à la grandeur des événements, perpétuant du même coup cet héritage de la Révolution française jusqu’au Québec.
Le discours prononcé par George Danton le 2 septembre 1792 devant l’Assemblée :
Il est bien satisfaisant, messieurs, pour les ministres du peuple libre, d'avoir à lui annoncer que la patrie va être sauvée.
Tout s'émeut, tout s'ébranle, tout brûle de combattre. Vous savez que Verdun n'est point encore au pouvoir de vos ennemis. Vous savez que la garnison a promis d'immoler le premier qui proposerait de se rendre. Une partie du peuple va se porter aux frontières, une autre va creuser des retranchements, et la troisième, avec des piques, défendra l'intérieur de nos villes. Paris va seconder ces grands efforts. Les commissaires de la Commune vont proclamer, d'une manière solennelle, l'invitation aux citoyens de s'armer et de marcher pour la défense de la patrie.
C'est en ce moment, messieurs, que vous pouvez déclarer que la capitale a bien mérités de la France entière. C'est en ce moment que l'Assemblée nationale va devenir un véritable comité de guerre.
Nous demandons que vous concouriez avec nous à diriger ce mouvement sublime du peuple, en nommant des commissaires qui nous seconderont dans ces grandes mesures. Nous demandons que quiconque refuse de servir de sa personne, ou de remettre ses armes, soit puni de mort. Nous demandons qu'il soit fait une instruction aux citoyens pour diriger leurs mouvements. Nous demandons qu'il soit envoyé des courriers dans tous les départements pour les avertir des décrets que vous aurez rendus.
Le tocsin qu'on va sonner n'est point un signal d'alarme, c'est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, messieurs, il nous faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace, et la France est sauvée.
La notoriété de la devise
Au 19e siècle, l’expression de Danton est enseignée aux jeunes étudiants français afin d’illustrer les histoires de la Révolution française.3 Elle devient également une phrase populaire au sein de l’élite politique, qui l’utilise comme une exclamation de leur détermination. La phrase est d’ailleurs régulièrement déformée ou raccourcie à force d’être répétée, arborant des variantes différentes selon celui qui la formule. L’auteur, poète et homme d’État Alphonse Lamartine, dont la contribution à la seconde République et au drapeau tricolore sera décisive, l’utilise dans un discours en 1848.4
Le mot de Danton est aussi connu de l’autre côté de la Manche où il se retrouve fréquemment dans les discours des parlementaires britanniques, toujours associé à la témérité et/ou au courage.5 Il n’est pas anodin de noter que les Britanniques prononcent toujours la devise dans la langue de Molière, en Français.
L’expression voyage partout dans le monde et devient un cri de ralliement. Elle est instrumentalisée pour soutenir des causes sociales, comme celle des suffragettes au Royaume-Uni en 19116, politiques, comme lorsque Alexeï Rykov l’utilise pour promouvoir le communisme aux obsèques de Lénine en 19257, ou même militaires. À cause de son ton martial, on confond parfois son auteur avec Frédéric le Grand, fameux stratège prussien du 18e siècle, ou encore avec l’empereur Napoléon.8
Au Québec, la phrase apparaît dans la presse dès les années 1880. Elle devient plus fréquente dans les années 1930 au moment de la crise économique, alors que le Clergé et les intellectuels nationalistes la citent9 pour dénoncer l’échec du système libéral.10 Ces derniers appellent les Canadiens français au « courage » de rejeter l’industrialisation rapide, pointée comme la cause de la crise économique, tout en idéalisant un mode de vie rural basé des valeurs conservatrices.
Pendant la Deuxième guerre mondiale, la maxime est utilisée dans la propagande pour encourager les francophones à l’effort de guerre. Dans le conflit contre l’Allemagne, l’image de la France luttant héroïquement contre les Prussiens interpelle les Canadiens français. Par des amalgames historiques (parfois douteux), l’expression est utilisée comme un rappel des valeurs françaises que doivent porter les Québécois : « L’héroïsme de Dollard, les traits de bravoure qu’on relève à profusion dans les campagnes d’Afrique et de Grèce, la formule magique de Danton qui électrisa la France de quatre-vingt-douze : « De l’audace, encore l’audace, toujours de l’audace! ».
Enfin, l’intrépidité fougueuse de notre Royal 22e Régiment — voilà les faits dont le Canada devrait s’inspirer aujourd’hui.11 »
Le mythe de Churchill
Comment la phrase de Danton est-elle devenue la devise de la Réserve navale du Canada? On a oublié pendant longtemps quand et comment cette devise est venue à représenter un service militaire important des Forces armées canadiennes. Dans son ouvrage « NCSM Montcalm : le Français dans la marine royale canadienne 1923-2008 », Christian Hébert avance l’hypothèse que cette devise est inspirée d’une réponse de Winston Churchill en 1914, au moment où ce dernier est premier Lord de l’Amirauté.12
Interrogé sur l’état de la flotte, Churchill aurait repris ces mots célèbres, qui seraient depuis devenus la devise de la Réserve navale du Canada. Or, ce discours n’est pas cité dans l’œuvre de M. Hébert. De plus, la Réserve navale n’existait pas en 1914. Finalement, une recherche approfondie parmi les discours prononcés au parlement britannique au temps de Churchill ne nous a pas permis d’identifier la source de cette affirmation.
Au contraire, cette recherche nous a plutôt permis de conclure que l’expression n’est pas courante chez Churchill. Ce dernier n’est connu que pour l’avoir utilisé deux fois dans ses ouvrages. En 1897, alors qu’il est en rédaction de son livre The Story of the Malakan Field Force, An Episode of the Frontier War, il écrit à sa mère “Altogether my dash across the frontier has been a good business. De l'audace toujours de l'audace as Danton said.13”
Quelques années plus tard, dans son livre London to Ladysmith dans lequel il raconte son expérience pendant la Guerre des Boers, Churchill raconte comment il s’est évadé d’une prison où il était incarcéré. À un certain moment de sa fuite, seul un jardin se dresse entre lui et sa liberté.
Or, des sentinelles surveillent les lieux. Churchill hésite : doit-il rebrousser chemin, ou traverser le jardin? Dans ses mémoires, il écrit : “I said to myself, “Toujours de l’audace”: put my hat on my head, strode into the middle of the garden ... without any attempt at concealment...after walking a hundred yards and hearing no challenge, I knew ... I was at large in Pretoria.14” Ce livre sera un succès littéraire fulgurant et fera de Churchill un auteur connu dans le monde entier.
Churchill reprend cette même histoire dans son autobiographie My early life en 1930.
La Francisation de la Marine royale canadienne
S’il est vrai que de nombreux liens existent entre la Marine royale canadienne et Winston Churchill depuis la Première Guerre mondiale, la preuve documentaire démontrant que la devise de la Réserve navale serait inspirée de lui n’a pu être identifiée. Cette conclusion fut le premier indice permettant de remettre en question les connaissances actuelles sur la question.
Le second indice ne tarda pas à arriver. Dans ses recherches pour faire la lumière sur la question, le Musée naval de Québec est entré en communication avec les Autorités héraldiques du Canada, qui nous ont plutôt révélé que la devise serait le résultat d’un concours lancé en 1984. Cette date n’est pas anodine : les années 1980 sont une période de renouveau et de grandes festivités dans la Marine canadienne et la Réserve navale du Canada, propice à la création d’une nouvelle identité. La conjoncture sociale était idéale pour l’implantation d’un programme de francisation de la Marine, une préoccupation constante dans l’histoire navale du Canada.
En 1982, lors d’une conférence à bord du destroyer HMCS Annapolis ancré au Port de Québec, le ministre de la Défense Gilles Lamontagne annonce un vaste programme pour augmenter le nombre de francophones au sein de la marine canadienne.15 En effet, seulement 13 % de francophones composaient la marine à cette époque, comparativement à 28 % dans l’armée de terre et dans l’aviation.
Le projet, appelé Présence navale au Québec (PNAQ), prévoit d’abord la mise sur pied d’une équipe chargée d’étudier les mesures à prendre afin d’améliorer la présence francophone au sein de la marine sous la direction du capitaine David Pollard. C’est ce dernier qui sera responsable de l’implantation du programme de francisation, qui sera surtout porté par la Réserve navale du Canada. En 1983, la seconde phase du projet est enclenchée et le quartier général de la Réserve navale est déménagé de Halifax, où il se trouvait depuis 1969, à la Ville de Québec, non sans attirer de vives critiques des officiers de la marine.16
En effet, Halifax étant le principal port d’attache de la flotte canadienne de la côte atlantique, il était logique que le QG de la Réserve demeure à proximité des opérations. Qu’allaient faire à Québec des marins sans navire? L’événement avait de quoi alimenter la plume des caricaturistes.
Qu’à cela ne tienne, le 25 juillet 1983, le nouveau QG est inauguré par M. Lamontagne au 900 Place d’Youville17, dans l’édifice Adams. Le même jour voit la cérémonie de passation de commandement des Divisions de la Réserve navale, alors au nombre de 18, du capitaine Peter Traves au capitaine David Pollard, qui devient ainsi le Commandant de la Réserve navale du Canada.18 Ce poste étant généralement occupé pendant deux ans par les officiers de marine, il demeure directeur du service jusqu’en 1985.
L‘année 1983 coïncide avec le 60e anniversaire de la création des premières demi-compagnies de la Réserve navale des volontaires de la Marine royale du Canada en 1923, alors appelée Royal Canadian Naval Volunteer Reserve (RCNVR). Le déménagement du QG à Québec et la volonté de francisation de la marine s’inscrivent directement dans cet événement. L’année suivante, en 1984, toute la ville est en fête pour célébrer le 450e anniversaire de l’arrivée de Jacques Cartier au Canada.
Dans le cadre des festivités de Québec ’84, la ville accueille des milliers de navires et de voiliers. Tout le secteur de la Pointe-à-Carcy du Vieux-Port est rénové au coût de 110 millions de dollars, avec l’aménagement de bureaux modernes, de grands marchés et de boutiques.
C’est dans ces bâtiments que s’installera, 10 ans plus tard, le complexe naval de la Pointe-à-Carcy. Pour l’instant, le QG de la Réserve navale se trouve toujours Place d’Youville, au même moment où le Pape Jean-Paul II défile dans les rues de Québec tout près et passe par la porte Saint-Jean.19 Toutes ces festivités, étroitement liées aux célébrations du fait français en Amérique du Nord, créaient une conjoncture sociale favorable à la francisation de la Marine canadienne. C’est dans ce contexte que semble avoir lieu le concours pour trouver une nouvelle devise à la Réserve navale.
Autre exemple frappant de ces efforts, en 1984, le préfixe traditionnel HMCS signifiant Her Majesty’s Canadian Ship et précédant le nom des navires militaires canadiens, est officiellement francisé en NCSM, pour Navire canadien de Sa majesté. Avant cette date charnière, tous les navires de guerre et établissements navals à terre portaient le préfixe anglophone. En 1985, d’autres festivités suivent encore avec le 75e anniversaire de la Marine royale canadienne.
Des événements ont lieu dans tout le pays et la Réserve navale est, encore une fois, directement impliquée. Malheureusement, la plupart de ces événements passent sous le radar de la presse québécoise, qui s’intéresse peu au monde de la mer.
L’adoption de l’écusson et de la devise de la Réserve navale du Canada
En 1984, la Réserve navale du Canada n’avait encore ni écusson ni devise. Il est pourtant coutume, dans la marine canadienne, que les navires et les divisions de réserve navale — considérés comme des « frégates de pierre » et désignées comme des navires depuis 1941 — aient un emblème et une devise officielle en tant que symboles identitaires. Il en va de même dans de nombreux régiments des forces armées canadiennes, comme le Royal 22e Régiment dont la devise « Je me souviens » est un appel au souvenir de notre histoire.
Dans le cadre des festivités et de la francisation de la marine, un concours fut donc lancé afin de doter ce service d’une identité qui lui est propre. À ce moment-là, nous l’avons vu, le Commandant des Divisions de la Réserve navale est le capitaine David Pollard, qui a travaillé au projet de Présence navale au Québec. Le musée s’est donc naturellement intéressé à M. Pollard afin d’obtenir son témoignage, mais fort malheureusement, ce dernier est décédé en 2021, quelques mois seulement avant le début de ces recherches.
Si le second indice semblait confirmer le rôle du capitaine Pollard dans l’instauration de la devise, un troisième allant dans la même direction se révéla lors d’une conversation avec M. Charles-André Nadeau, commandant en second des Divisions de la Réserve de 1987 à 1991, historien et proche collaborateur du Musée naval. Selon lui, M. Pollard était connu pour prononcer souvent le mot de Danton. M. Nadeau se rappelle que « durant mes visites à Québec, qui furent plutôt fréquentes, je l’ai souvent entendu mentionner la fameuse devise à propos de l’audace. Et si ma mémoire ne me trompe pas, il y avait un projet à l’époque pour un écusson de la Réserve navale.
À ma connaissance, il n’y avait pas un écusson pour la Réserve depuis sa création. J’ai toujours cru que c’est lors de ce déménagement à Québec que la devise et l’écusson ont commencé. Pollard était le genre d’homme à s’intéresser à des projets du genre.20 »
Les documents envoyés par les Autorités héraldiques du Canada au Musée naval, quelques semaines plus tard, achevèrent de confirmer le rôle de Pollard dans cette décision. Dans une lettre datant du 25 mai 1984, signée par David Pollard, ce dernier fait part au secrétaire administratif de l’Amirauté des besoins d’identifier le service dont il est désormais responsable. “The Commander, Naval reserve Divisions (COND) was established as a formation commander in December 1982. A formation badge was not decided and so COND is the only naval formation without badge”.
Il informe ensuite l’Amirauté des mesures prises pour corriger la situation: “A competition was held and the winning entry was submitted by the graphic artist from NAVRESDIV QG. This design is submitted for approval as the official badge of Commander, naval Reserve Divisions. The propose motto is « De l’audace, encore de l’audace et toujours de l’audace21 ».
Ce document démontre le rôle central joué par capitaine de vaisseau Pollard dans l’adoption de l’écusson et de la devise de la Réserve navale, mais il ne mentionne pas le nom de l’auteur. Ce dernier mentionne que c’est tout simplement l’artiste graphique du QG qui a soumis l’écusson gagnant. Le capitaine Pollard précise aussi qu’une devise est proposée, sans mentionner la source exacte. Sachant qu’il était connu pour dire souvent le mot de Danton lui-même, se pourrait-il que la phrase vienne directement de lui? Seuls les témoignages de ceux qui l’ont connu pouvaient le confirmer.
Le commodore à la retraite Jean-Claude Michaud, commandant de la Réserve navale de 1993 à 1995 et premier (et seul) francophone à atteindre ce grade dans l’histoire de la Marine canadienne, apporta la dernière pièce du puzzle. Dans sa correspondance avec le Musée naval en 2021, il affirme qu’« Il est fort probable qu’il y ait eu plusieurs soumissions transmises au QG par les unités de la Réserve navale et que la touche finale aurait été exécutée par l’artiste graphique au QG de la Réserve.
Il se devait d’appliquer les normes du commandement maritime ainsi que les exigences héraldiques. Cela me parait très plausible, l’explication concernant la devise en provenance directement du CapV (capitaine de vaisseau) Pollard. Il avait une certaine connaissance et habileté pour ce genre de projet.22 »
Cette façon de procéder, à la manière d’un concours, est tout à fait commune dans les Forces armées canadiennes. En 1973, lors du 50e anniversaire, les divisions étaient invitées à proposer une devise qui les représenterait. La question fut débattue dans chaque division, suite auxquelles le commandant de l’unité faisait parvenir au Quartier général la proposition de leurs marins. La devise était ensuite approuvée par le Commandant du Quartier général23, qui jouait un rôle central dans le processus.
En 1984, c’est la même procédure qui guide la création de l’écusson et de la devise de la Réserve navale du Canada. Encore en 2023, la création du badge officiel du Centenaire de la Réserve navale était le résultat d’un concours remporté par le matelot de 2e classe (mat 2) Joseph Dimayuga, ancien membre de l’équipage du Navire canadien de Sa Majesté (NCSM) Discovery.24
En mars 1988, la devise et l’écusson sont donc officiellement adoptés par l’Inspecteur des drapeaux et insignes des Forces canadiennes, M.V. Bezeau. L’événement n’est pas couvert par les médias, mais représente une période charnière pour la Réserve. Cette date spécifique correspondait au 65e anniversaire de la création des premières unités de Réserve navale. 1988 voyait aussi le déménagement du QG de la Place d’Youville au 94 rue Dalhousie, dans le Vieux-Port de Québec.
Par ailleurs, la plupart des citadins l’ignorent, mais les 24 divisions de Réserve navale du Canada dispersées d’une côte à l’autre sont encore aujourd’hui administrées depuis la ville de Québec, où se trouve le quartier général de la Réserve navale. Plus que jamais, Québec est, et a toujours été, une ville militaire.
Conclusion
On a longtemps oublié quand et comment étaient arrivés cet écusson et cette devise. Nous avons aujourd’hui une meilleure idée du contexte dans lequel ce changement s’opéra. Grâce aux témoignages de Monsieur Charles-André Nadeau et de Monsieur Jean-Claude-Michaud, ainsi que des documents obtenus par les Autorités héraldiques du Canada, nous connaissons mieux le rôle historique joué par le capitaine David Edward Pollard dans ce processus.
Bien que le décès de ce dernier nous a privés de renseignements précieux, l’enquête menée par le Musée naval permet de mettre en évidence le parcours fascinant des mots qui, prononcés pour la première fois en 1792, se frayèrent un chemin jusqu’à nous. Espérons que ces recherches permettent également de restituer une partie de la mémoire oubliée de la Réserve navale du Canada.
Thèmes associés à cet article
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Cet article fait partie d’une série d’histoires parues initialement dans le magazine Traces de la Société des professeurs d’histoire du Québec (SPHQ).