Représentation et rôle des monuments dans les manuels québécois d’histoire au deuxième cycle du secondaire
Notre article porte sur la façon dont les monuments sont représentés et utilisés dans les manuels d’histoire du deuxième cycle du secondaire. Pour ce faire, nous avons répertorié les monuments et leurs statuaires et tenté de voir si les diverses informations les concernant sont pertinentes et si ces monuments sont accompagnés d’activités réflexives menant les élèves à les interpréter.
Cette recherche nous permet de proposer une méthode d’analyse des représentations de statues et de monuments qui dépasse la simple illustration afin d’amener les élèves à développer une sensibilité face à cette forme d’art, tout en exerçant leurs capacités d’analyse de sources primaires ou secondaires.
Le rôle des monuments dans la cité
Au Québec, entre 1867 et 1939, soit entre le début de la Confédération et celui de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux monuments, que l’on peut observer encore aujourd’hui, furent érigés à la gloire des héros canadiens-français. Cette période s’inscrit dans un mouvement d'affirmation de l'identité canadienne-française, basée sur la langue française et le catholicisme (Harvey, 2012).
De nombreux monuments ont été érigés en l’honneur des héros fondateurs, pour ancrer la nouvelle nation dans le temps long de l’histoire (Stan, 2015). Par exemple, en 1895, les autorités de la ville de Montréal ont érigé, sur la Place d’Armes en plein cœur du Vieux-Montréal, un monument en l’honneur de Paul Chomedey de Maisonneuve, fondateur de la ville.
Trois ans plus tard, ce fut le tour de la ville de Québec d’inaugurer la sculpture de Samuel de Champlain (Harvey, 2012) sur la terrasse Dufferin dans le Vieux-Québec. Ce lien établi entre la fin du XIXe siècle et l’époque de la Nouvelle-France aurait pour fonction, selon l’historienne française Anne-Marie Thiesse (1999), de forger une lecture identitaire de l’histoire, par laquelle le héros légitime l’existence de la communauté par son geste fondateur, bien qu’il n’existe en tant qu’héros qu’a posteriori.
Le héros fondateur est donc la résultante d’un choix, ce qui explique entre autres la reconnaissance tardive des communautés autochtones (1982) comme « peuple fondateur », au même titre que les Français et les Anglais.
L’espace public n’est donc pas un endroit neutre et y intervenir est une action politique basée sur une réflexion de ce qui le compose (Buchloh, 1992). Une fois élevé, un monument à la gloire d’un personnage devient un élément structurant de l’espace public. Il peut constituer un point de cristallisation, un repère signifiant où peuvent s’affirmer des positions politiques, sociales, etc.
Les statues de personnages historiques confèrent à l’espace un nom et le particularisent. Le choix du lieu n’est pas sans signification : il reflète souvent l’importance que l’on donne au personnage choisi. L’emplacement est donc le résultat d’une réflexion politique (Sniter, 2004) où les pouvoirs publics jouent un grand rôle (financement, choix du site, etc.). En effet, à travers le culte du héros, on souhaite célébrer la nation, la patrie (Hébert, 1980), ce qui implique l’adhésion à certaines valeurs.
La statuaire publique est donc liée à l’histoire et à sa transmission. D’ailleurs, un sculpteur comme Louis-Philippe Hébert (1850-1917) n’avait pas pour seule intention d’édifier des monuments, mais aussi d’instruire le public. Son art avait donc une visée éducative, en plus de contribuer à établir une histoire des « hauts faits », accomplis par de grands personnages du passé.
Il faut préciser que la conception de l’histoire qu’avaient les gens au tournant du XXe siècle se basait davantage sur une vision « mémorielle » du passé. Cette vision explique, en outre, pourquoi au début de ce siècle, des images de statues représentant des personnages célèbres étaient présentes dans les manuels scolaires d’histoire : il fallait transmettre aux enfants les valeurs canadiennes-françaises et souligner l’importance de l’idée de nation (Le Men, 2005).
Aujourd’hui, en plein mouvement de réconciliation et de vivre-ensemble, on érige des monuments moins pour célébrer de grands hommes (Centlivres, Fabre et Zonabend, 1998), que pour montrer l’agentivité de groupes sociaux (le monument aux Communautés religieuses enseignantes, 1997; le Mémorial des pompiers, 2016) ou pour prendre distance face aux crimes ou aux injustices commises dans le passé, comme c’est le cas du monument Nef pour 14 reines (1998), dédié à l’événement tragique de l’École Polytechnique de Montréal.
Cependant, certains historiens de l’art sont d’avis qu’en contexte québécois et canadien, les monuments célèbrent également la supériorité de la culture occidentale (Davoine- Tousignant, 2011) :
Le monument à sujet historique cache en lui un discours particulièrement colonisateur. En d’autres mots, les divers exploits et personnages importants de l’histoire nationale relatés dans ces structures sont envisagés d’un point de vue très particulier, celui du conquérant. Certains monuments de ce genre expriment ainsi de subtils rapports de force et de pouvoir entre les différentes communautés qu’ils représentent par exemple les Euro-Canadiens et les Premières Nations (Davoine-Tousignant, 2011, p. 28-29).
Certes, l’éveil des groupes jadis marginalisés, d’une part, ainsi que le changement de mentalité opéré durant les derniers 40 ans, d’autre part, changement qui a conduit à un « nivellement des cultures » et à une revalorisation des cultures non-occidentales, nous amènent comme société à questionner ce que Michel de Certeau appelait le « corps social » (Certeau, 1975), c’est-à-dire des objets-symbole créés pour se substituer à l’absence de ce qui est déjà passé.
Dans le cas des monuments, le personnage est souvent mis sur un socle, il est de ce fait plus grand que nature, pour signifier à ceux qui le regardent qu’il est là parmi eux, mais qu’il est là dans un autre registre de temps — le temps de la nation — auquel les vivants n’ont pas accès.
Cette remise en question des legs de l’occidentalocentrisme (Lanier, 2017), qui se manifeste de nos jours de manière de plus en plus brutale par des actes de vandalisme sur des monuments commémoratifs ou statues de personnages historiques, gestes que nous dénonçons comme des actes rébarbatifs et erronés — nous amène à militer en faveur d’une place plus grande allouée à l’analyse des statues et de monuments en classe d’histoire.
Car en effet, un monument est loin d’être un simple objet esthétique : il est aussi porteur d’une idéologie. Mais ne voir dans un monument que l’expression d’une injustice ou d’une offense apportée à un groupe, c’est réduire ce pont entre le présent et les générations passées à des interpellations politiques du moment, et diminuer par le fait même la grande portée de ces monuments, qui renferment à la fois des idéaux et des espoirs, des valeurs et des souffrances, que des prédécesseurs ont légué à des générations futures.
Qui plus est, les statues font l’objet de réappropriations successives, comme ce fut le cas des statues de Jeanne d’Arc que l’on trouve dans plusieurs villes de France, revendiquée à la fois par des monarchistes, républicains, socialistes, par les mouvements féministes, etc. (Sniter, 2001).
Déboulonner une statue représenterait donc un geste définitif qui interrompt cet incessant rapport de ruptures et de renouements que les sociétés entretiennent avec l’héritage du passé. Qui sait si, d’ici quelques années, des personnages aujourd’hui contestés ne seront de nouveau investis des enjeux et de projets porteurs par la population, selon une loi bien connue par les historiens (le changement du héros en anti-héros et de l’anti-héros en héros) ?
La place et le rôle des monuments dans les manuels scolaires québécois
Plusieurs chercheurs ont analysé l’usage des manuels d’histoire au secondaire : il s’inscrit dans un enseignement magistrocentré (Boutonnet, 2013; 2018), dans le cadre duquel les documents iconographiques servent généralement à illustrer l’histoire racontée.
Bien que les œuvres picturales soient largement reproduites dans ces manuels, représentant un matériel d’exception pour développer les capacités découlant de l’analyse des sources primaires et secondaires (Stan, 2018), les monuments et les statues sont rarement présents.
Ceci est d’autant plus étonnant, vu la multitude de monuments historiques présents dans les lieux publics des grandes villes, dont plusieurs ont une allure contemporaine et un caractère non figuratif, comme L’Homme d’Alexandre Calder (1898-1976) érigé à Montréal à l’occasion de l’exposition universelle de 1967. En effet, il y a un clivage entre, d’une part, l’histoire racontée par ces monuments que peuvent côtoyer les élèves, et d’autre part les manuels scolaires qui ne semblent pas préparer adéquatement les élèves à décoder ces monuments publics.
Dans ce contexte, nous nous sommes questionnés sur le rôle attribué à ces monuments commémoratifs dans les manuels d’histoire de niveau secondaire. Les manuels suivants, destinés aux élèves de secondaire, ont été analysés :
- Chroniques du Québec et du Canada (ERPI), 3e année (2016);
- Chroniques du Québec et du Canada (ERPI), 4e année (2017);
- Mise à jour (Grand Duc), 3e année (2018); Mise à jour (Grand Duc), 3e année (Cahier de savoirs, 2015);
- Mémoire.qc.ca (Chenelière Éducation), 3e année (2017);
- Mémoire.qc.ca (Chenelière Éducation), 4e année (2017);
- Périodes (Éditions CEC), 3e année, 2016;
- Périodes (Éditions CEC), 3e année, 2017.
Tout d’abord, nous avons observé la fréquence d’utilisation des statues dans ces manuels, puis la représentation qui en est faite et le rôle qui leur est donné.
Afin de mener à terme cette analyse, nos observations ont été consignées dans un tableau permettant de rendre compte des statues et de leur fréquence, de la façon dont elles sont représentées, de la mention ou non du sculpteur, des informations concernant le document, des questions posées aux élèves accompagnant la représentation du monument, des autres documents traitant des personnages et de la fonction de la représentation du monument (illustrer, décrire, débattre, etc.).
Cette compilation de données nous a permis de constater de prime abord la faible présence de représentations de statues dans ces manuels scolaires. L’exemple le plus représentatif est le manuel Mis à jour pour le 3e secondaire, qui ne comporte aucune statue, ni monument dans l’ensemble du contenu; le cahier de savoirs, également pour le 3e secondaire, contient seulement deux statues.
Dans la même veine, le manuel Mémoires.qc.ca de 3e secondaire contient deux représentations de statues, alors que celui pour la 4e secondaire n’en contient aucune.
Avec neuf représentations de monuments, Chroniques du Québec et du Canada (3e année) est le manuel qui en possède le plus, suivi par le manuel Périodes (3e année) qui contient quatre monuments et par les manuels Chroniques et Périodes (4e année) qui ont reproduit chacun trois statues ou monuments historiques (figure 1).
Toutefois, les images représentées sont souvent tronquées, ne montrant pas l’entièreté du monument. Souvent, ce sont des bustes ou des images qui représentent des détails. À titre d’exemple, on montre seulement le buste de Marie Iowa Dorion (1786-1850), femme Sioux qui a survécu en hiver avec deux de ses enfants à la destruction d’un important poste de traite et qui a parcouru pour survivre la moitié de l’Amérique.
Alors que le monument la représente en marche, bâton de pèlerin à la main et cape de fourrure, un enfant sur le dos tandis qu’un deuxième marche à ses côtés (images 1 et 2), le manuel Chroniques ne présente que son visage. On ne voit pas non plus les pieds de Marie, qui semblent s’enfoncer dans la boue, ce qui ne permet pas aux élèves d’interpréter le document, ni de saisir tout la souffrance et l’épuisement dus à la longue marche, que suggèrent le monument.
La lecture et la compréhension de ce monument ne peuvent qu’être partielles, puisque l’on voit seulement une Marie Iowa Dorion figée et solitaire.
Ensuite, nous avons constaté que dans leur grande majorité, les représentations de monuments ne servent qu’à associer une image au récit historique. Elles sont très peu accompagnées de questions réflexives sur le rôle de ces statues et leur contexte de production. Non seulement les monuments ne sont pas représentés dans leur intégralité (seulement 12 monuments répertoriés sont présentés en entier) mais ils sont donc peu contextualisés.
En effet, sur 23 statues répertoriées (qui représentent moins de 1 % des documents iconographiques contenus dans les pages des manuels analysés) le nom du sculpteur est mentionné seulement à sept reprises. Il manque également des informations concernant le commanditaire, l’emplacement et la date d’inauguration, des informations qui auraient pu fournir aux élèves des clés de lecture pour mieux placer ces œuvres d’art dans leur contexte de production et les associer ainsi aux visées politiques de l’époque.
En ce qui concerne les questions posées aux élèves, il n’est pas certain qu’elles réussissent à mobiliser leur réflexion (Boutonnet, 2013). Si on se fie aux quatre types de questions productives identifiées par le didacticien Robert Martineau (2010) — à savoir les questions interprétatives, analytiques, causales et personnalisées — on constate que seulement une d’entre elles est susceptible de développer des habiletés découlant d’un questionnement des sources primaires et secondaires.
Ainsi, nous avons répertorié une question causale : « Pourquoi cette sculpture [le monument dédié à Jacques Cartier] est-elle exposée dans la ville de Gaspé ? » (Chroniques, 2016, p. 77).
D’autres questions, avec une faible portée éducative, selon nous, puisqu’elles ne demandent en fait aucune tâche aux élèves, telles que « Saviez-vous que c’est un peu par erreur que certaines femmes du Bas-Canada obtiennent le droit de vote en 1791 ? » (Chroniques, 2016, p. 338) nous laissent croire que le rôle réflexif de ces monuments représentés reste marginal, comme si la statue ne servait qu’à illustrer, à rendre plus concret ou à embellir les pages des manuels et non à supporter le processus d’interprétation des réalités sociales.
Cette impression est confortée par la présence de questions qui n’ont qu’un vague rapport avec le personnage qui est monumentalisé, comme à propos du buste de Pierre de Gua de Mons (1558- 1628), à côté duquel on peut lire : « Quels rôles la France réserve-t-elle à ses colonies afin d’atteindre les objectifs économiques de la théorie du mercantilisme? » (Mémoires.qc.ca, 2017, p. 63).
D’autres questions portent à confusion, comme celle qui accompagne le bas-relief représentant la fondation de Ville-Marie (détail du monument à Maisonneuve, par Louis-Philippe Hébert), où l’on peut observer quatre hommes qui discutent autour d’un document qui se trouve sur une table : « De quel groupe les personnes représentées par cette œuvre de bronze font-elles parties ? » (Chroniques, 2016, p. 125).
Évidemment, les réponses peuvent aller en tous sens : il s’agit de quatre hommes, quatre Blancs, quatre aristocrates, quatre catholiques, etc. La question est d’autant plus surprenante qu’elle est accompagnée par la rubrique « Établir un fait », comme si les élèves pouvaient, en observant le bas-relief, en arriver à une réponse univoque. À titre d’exemple, des questions sur l’authenticité de cette représentation ou sur le besoin de créer un panthéon de héros nationaux auraient été beaucoup plus intéressantes et porteuses de sens.
Enfin, nous avons remarqué une discontinuité dans l’histoire, en ce sens que les monuments représentés peuvent être associés soit à l’expansion des Vikings (la statue de l’Islandais Leik Erikson), soit à la Nouvelle-France (les monuments de Pierre de Gua de Mons, de Marie Rollet et Louis Hébert, etc.), soit à la période contemporaine (le monument en hommage aux femmes en politique), mais qu’un seul personnage du régime britannique est représenté monumentalisé (le buste du roi George III).
L’enthousiasme de voir une figure britannique parmi le peu de monuments qui se trouvent dans les manuels — ce qui augmente par le fait même leur importance — est vite estompé par les informations à propos de cette statue, que le manuel Périodes (2016) détaille avec générosité.
On apprend ainsi que le buste fut restauré par le sculpteur britannique Joseph Wilton (1722-1803) après qu’il ait été vandalisé en 1775, à Montréal : « le buste en marbre blanc est recouvert de suie, un collier de patates entoure son cou, et une croix laissée tout près du buste porte l’inscription suivante : Voilà le Pape du Canada et le Sot Anglais » (p. 299).
En ce qui concerne les Autochtones, une seule femme sioux, Marie Iowa Dorion, épouse du commerçant de fourrures Pierre Dorion, figure parmi les statues répertoriées. Il est important de mentionner qu’un manuel reproduit un détail d’un totem, seule contribution statuaire autochtone (Mis à jour, 2015, p. 22).
Cette sélection de monuments semble donc favoriser l’identité canadienne-française.
Grille d’analyse des monuments commémoratifs
Comme nous l’avons mentionné précédemment, les monuments jouent un rôle très important dans l’espace public. Ils sont un repère signifiant à qui l’on donne la mission de transmettre aux générations futures certains aspects du passé. Toutefois, leur présence et les réflexions qu’ils engendrent dans les manuels scolaires au secondaire restent très limitées.
Or, nous pensons qu’il est important de proposer aux élèves une méthode pour mieux analyser les représentations de ces monuments en salle de classe, tout en prenant en considération leur propre sensibilité face aux œuvres représentées. Ainsi, il est possible d’amener les élèves à développer des habiletés dans l’analyse d’œuvres d’art et de sources primaires. Pour cela, nous basons l’interprétation de ces statues sur une grille d’analyse (figure 2) tenant compte de deux registres de temps : le monde (présent) du lecteur et le monde (passé) de l’auteur et de son œuvre (Stan, Zarié et Vallée-Longpré, 2019).
Cette grille s’appuie sur un cadre d’investigation des sources primaires développé par le didacticien de l’histoire Peter Seixas qui identifie six concepts majeurs qui conduisent à la pensée historique :
- l’évidence;
- la signification;
- la continuité et le changement;
- les causes et les conséquences;
- la perspective historique et
- la dimension morale (Seixas, 2013).
Le premier concept, l’« évidence », permet de considérer un document ou un objet en tant que preuve historique (en anglais, evidence) et d’explorer les données qu’on peut observer. La « signification » porte sur le contenu de la preuve historique : il s’agit de saisir en quoi la source permet de comprendre le contexte de l’époque.
Les concepts de « continuité et changement » assurent une comparaison avec le présent et permettent de saisir la complexité et l’évolution des expériences humaines. Les concepts de « causes et conséquences » permettent de mettre en relation de causalité des événements qui sont rapportés dans le document, de comprendre leur ampleur et leur durée.
La perspective historique signifie qu’un événement est étudié selon ce qui était connu à l’époque, et non selon le présent. Il s’agit pour les élèves de voir l’histoire en adoptant le regard des personnes qui ont vécu à des époques lointaines plutôt qu’à partir d’une perspective contemporaine. En lien avec la perspective historique, la dimension morale permet de poser un jugement sur le passé sans projeter ses propres jugements de valeurs, issus du présent.
Parmi les questions qui composent cette grille, celles qui sont numérotées valorisent le savoir historique, alors que les autres servent à mieux cerner la valeur esthétique, assumant ainsi une fluidité entre ces deux aspects des œuvres d’art analysées. Utiliser ces types de question en classe d’histoire permet de saisir la distance temporelle et sémantique entre le moment où le monument fut érigé et les significations qu’on lui attribue aujourd’hui.
Cette grille de lecture, qu’un enseignant ou une enseignante peut utiliser en classe pour observer et analyser une statue ou un monument, en sélectionnant quatre ou cinq questions qu’il ou elle juge les plus appropriées selon l’œuvre examinée, permettrait notamment aux élèves de comprendre que plus l’écart est grand entre le moment de la création de l’œuvre et le présent, plus le monument a suscité des vagues successives d’adhésion et de rejet, comme ce fut le cas du buste du roi George III et même du buste du roi Louis XIV, érigé en 1686 sur la Place royale à Québec, puis retiré en 1770 et réinstallé en 1931 (une copie), retiré à nouveau en 1944, puis finalement remis à sa place en 1964.
Nous voulons souligner brièvement le rôle de la question « Quelles sont les limites de cette œuvre d’art dans le contexte actuel (de lutte anti-raciste, de lutte pour les droits de l’homme et les droits des femmes, etc.) ? L’adresser aux élèves permettrait de faire une critique de l’œuvre et de saisir la manière dont elle peut susciter autant l’adhésion que la contestation d’une partie de la population.
Cette question, quoique délicate et cependant pertinente en classe d’histoire, permettrait aux élèves de voir non seulement le caractère subjectif et pluriel du message que dégage une œuvre d’art, mais aussi son caractère évolutif qui lui permet de s’emparer de certains enjeux politiques.
On pourrait aussi continuer la discussion avec les élèves en posant cette question, qui les invite à la réflexion :
« Si vous deviez décider de la création d’un autre monument, placé à côté de celui de …, quelle forme aurait-il et quelles valeurs incarnerait-il ? »
Conclusion
Les monuments, véritables chefs-d’œuvre provenant du passé, représentent une occasion importante pour les élèves de faire des liens entre l’histoire scolaire et leur environnement, conférant ainsi un sens au passé et facilitant la compréhension de l’histoire.
Témoins privilégiés de l’époque qui les a produits, les monuments traversent le temps et projettent ceux qui les contemplent dans un passé actualisé dans lequel ils peuvent se reconnaître ou qu’ils peuvent contester. Comme on a pu le constater, malgré l’importance des personnages monumentalisés — pour l’histoire du Québec et dans l’espace public des villes — ces monuments sont négligés par les auteurs des manuels scolaires d’histoire, qui s’en servent rarement et de manière superficielle.
Or, nous pensons que par une analyse à la fois esthétique et historique de ces monuments en salle de classe, les élèves peuvent enrichir leur culture historique et commencer à observer avec un regard nouveau les statues et les monuments qui se trouvent dans leur milieu.
Le modèle d’analyse proposé constitue un outil concret pour les enseignants du secondaire afin de mieux préparer les élèves à décoder et à comprendre ces monuments d’une importante valeur symbolique pour la société d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
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Cet article fait partie d’une série d’histoires parues initialement dans le magazine Traces de la Société des professeurs d’histoire du Québec (SPHQ).