La vie méconnue de Louis Hébert et Marie Rollet
Cette présentation se veut rigoureusement scientifique. Cependant, elle bouscule un peu les traditions de la pratique – ou de l’enseignement– de l’histoire et ce, de deux façons principales. Elle ne suit pas la chronologie et elle s’attache aux sensibilités des personnes.
Elle débute en quelque sorte par la fin, les éléments de mémoire encore vivants de Louis Hébert et Marie Rollet, pour démontrer que l’histoire est fille de son temps. Elle s’intéresse ensuite aux connaissances récentes révélées par le recours à de nouvelles sources relatives au passé de ces personnages.
Elle accorde alors une importance significative à la vie de ces personnes, de l’enfance à la vie adulte, avant leur venue en Nouvelle- France. Par la suite, du bilan de leurs réalisations dans la colonie, elle tente de faire ressortir les valeurs qui ont animé leur vie personnelle et leur vie de relations.
Des personnalités symboliques
L’établissement de Louis Hébert, Marie Rollet et leurs trois enfants à Québec à l’été 1617 a été abondamment signalé dans la littérature historique. Louis Hébert a été le premier colon à tirer de la terre la subsistance de sa famille.
Il en est venu à symboliser une activité qui a occupé la majorité de la population du Québec jusqu’au début du XXe siècle. Sa famille a également été la première à donner naissance à un enfant blanc dans la colonie.
Dans cette prolifique population pionnière, leur fille, Guillemette, décédée en 1680, a connu la naissance de 143 descendants de ses père et mère. Ceux-ci se comptent rapidement par milliers. Ces premières (famille et agriculture) ont été tôt signalées et célébrées par des historiens de l’époque, les récollets Gabriel Sagard et Chrestien Le Clercq.1
C’est ce dernier qui a proclamé Louis Hébert l’Abraham de la colonie, le voyant comme le père des vivants et des croyants. Ces personnalisations ont, en quelque sorte, été renforcées lors de la célébration du 300e anniversaire de leur installation à Québec, en 1917 et 1918.
Les Fêtes du 300e anniversaire
Les célébrations du 300e anniversaire de l’arrivée de Louis Hébert et Marie Rollet ont été grandioses.2 Elles avaient été préparées de longue date par l’abbé Azarie Couillard-Després, un des descendants du couple. Le seul manifeste en faveur de l’érection d’un monument a été tiré à 25 000 exemplaires.
Des paroisses, 50 municipalités rurales, 200 cercles agricoles, des associations diverses, des quêtes dans les églises et les écoles ont permis de rejoindre des dizaines de milliers de souscripteurs. Le cardinal Bégin a agi comme président d’honneur. Il a été appuyé par les ministres de l’agriculture et des présidents de grandes sociétés comme la Société Saint- Jean Baptiste.
Discours, poèmes, chants et même survol par un avion ont marqué le dévoilement du monument devant une grande foule.
Le monument, d’une hauteur impressionnante, est à trois volets. Au sommet trône Louis Hébert avec une faucille et une gerbe de blé. Au bas, d’un côté Marie Rollet, un livre entre les mains, est entouré de ses trois enfants. De l’autre côté, se trouve Guillaume Couillard, une main sur le manche d’une charrue. Le monument reflète bien les messages propagés par la fête.
La nature des messages lancés par les personnalités comporte des éléments particulièrement significatifs. Retenons les plus frappants. Louis Hébert a renoncé à une position sociale et à une situation économique enviables à Paris. Des qualités de générosité et d’abnégation qui conviennent bien à un héros !
Sous le thème « Gardons l’héritage », le sermon à la basilique est à deux volets;
- les choses négatives à éviter : la vie facile, les salaires tentants, des emplois, salaires et postes de tout repos; les amusements faciles et variés des centres urbains; en somme le premier péché, celui de l’émigration intérieure qui dépeuple les campagnes; à quoi s’ajoutent le luxe, l’alcool et l’esprit de chicane.
- les valeurs à mettre de l’avant : l’esprit et l’habitude de l’économie, le travail, car la terre rend à proportion des soins qu’on lui donne, le souci de s’instruire et de perfectionner les moyens pour assurer le rendement maximum des terres, enfin le véritable esprit chrétien.
Le discours sur le triomphe du savoir et de l’engagement des cultivateurs s’accompagne de l’esprit de famille qui a généré une nombreuse descendance. De fait, le monument comporte à l’endos une liste des premières familles à s’installer en Nouvelle-France.
Toutefois, un élément de nouveauté ressort assez magnifiquement de ces fêtes. Au terrain de l’exposition où se déroule la fête (terre de Louis Hébert selon un participant; une information erronée), il revient à l’historienne Marie-Claire Daveluy de prononcer l’allocution en l’honneur de Marie Rollet.
Son introduction est, à mon sens, un véritable texte d’anthologie, solidement ancré dans le contexte de la première guerre mondiale et dans l’affirmation du rôle de la femme. Le rôle innovateur des historiens et des historiennes !
Une voix de femme s’élève en ce moment pour célébrer les mérites de Marie Rollet, la première d’entre les Canadiennes. Nouveau signe des temps dira-t-on ? Pourtant non. Le sentiment patriotique a toujours eu des droits à nul autre pareil. Il a justifié les attitudes les plus téméraires. Qu’importe, en effet, les lèvres d’où s’échappe un cri d’enthousiasme, d’admiration et de piété attendrie ? Si le cri est sincère, il peut être lancé sans crainte. L’âme bienveillante de la patrie sera tout indulgente et… vous aussi je crois.3
Après avoir signalé les valeurs de mère, d’épouse et d’enseignante de Marie Rollet, Marie-Claire Daveluy fut, de tous les intervenants, la seule à signaler le fait que Marie Rollet se soit remariée.
La fête prévoyait une annonce surprise; sans doute pour attirer l’attention. Il s’agissait du dévoilement d’une plaque commémorative annonçant la construction d’un Palais de l’Agriculture que l’on nommerait Pavillon Louis Hébert et dont les plans étaient déjà faits. Aujourd’hui, une autre forme de rappel, montrant la pertinence du passé dans le présent, a des chances de s’imposer.
Ces célébrations ont largement contribué à forger l’image et la perception de Louis Hébert, premier agriculteur et première famille à s’installer en Nouvelle- France. Elles ne racontent qu’une bien petite partie de la vie de ces personnages.
Paris4
Louis Hébert naît à Paris en 1575, dans la maison à l’enseigne du Mortier d’Or, symbole de la profession d’apothicaire de son père, située à 100 mètres du Louvre. Louis Hébert vit en plein cœur de Paris jusqu’à l’âge de 30 ans. Sa mère en est à son troisième mariage et elle et son mari, le père de Louis Hébert, assument la responsabilité d’enfants issus du premier mariage de son deuxième mari.
Dans le contexte des lois civiles de l’époque, le père et mari est amené à assumer la responsabilité de leurs biens et futur héritage. De ce fait, Nicolas Hébert gère 10 maisons à proximité de la sienne, en plein centre de Paris. Les autres enfants ont joué un rôle notable, bien que parfois discutable, durant l’adolescence de Louis Hébert.
La mère de Louis Hébert décède alors qu’il a 5 ans. Sa sœur aînée prend la relève, mais se marie 3 ans plus tard et quitte la maison. Le père se remarie avec la mère de son nouveau gendre. D’autres enfants entrent dans la maisonnée.
En quête des sensibilités de la vie dans la maison multifonctionnelle du Mortier d’Or
L’intimité des personnes est évidemment perturbée par le va et vient des départs et des arrivées dans la maison. Et, à l’égard des enfants, dans ce fatras de plantes, pots, ustensiles et médicaments potentiellement dangereux, a-t-on préféré les précautions, la prudence et la prévoyance ou l’instauration d’une discipline de fer ?
L’atelier d’apothicaire était susceptible d’influencer le choix de carrière par la curiosité relative aux plantes, à leur variété, à leur manipulation et à leur transformation en médicament : une forme d’éveil et de familiarisation avec un savoir-faire particulier.
Le commerce commandait l’observation, l’écoute et la recherche pour identifier le problème du client et pour adopter l’intervention la plus souhaitable en vue de sa guérison. Selon les cas, le retour sur l’intervention pouvait être marqué de frustrations, de remerciements, de louanges ou de résignation. On peut y relever l’apprentissage de la modération, les limites du savoir et peut-être une recherche d’innovation.
Guerres de religion5
À l’adolescence de Louis Hébert, les guerres de religion atteignent un sommet de radicalisation. À l’âge de 15 ans, alors qu’il vit encore à 100 mètres du Louvre (Palais royal), Henri de Navarre (le futur roi Henri IV) fait le siège de Paris. Le ravitaillement de la ville est bloqué. En trois ans, dans cette ville de 220 000 habitants, 30 000 personnes meurent dont 10 000 de faim.
Les scènes de brutalité ou d’exhumation de restes animaux pour se fabriquer un peu de farine ont un caractère particulièrement lugubre.
Le conflit a d’autres retombées très désagréables. La famille est divisée; un frère est entré en religion chez les Minimes; un demi-frère devient un leader des ligueurs et soulève une partie de ses paroissiens contre lui. Une autre situation a sans doute été pénible à subir.
Le commerce de Nicolas Hébert, le père de Louis, souffre du blocus de la ville. En 1596, cet homme d’apparence si riche est emprisonné pour dettes pendant deux ans. À la faillite financière, qui privera Louis Hébert d’un bel héritage, s’ajoute sans doute une forme de déchéance, voire de déshonneur social.
Études6
Louis Hébert réussit néanmoins à compléter ses études d’apothicaire. Il s’agit de cinq années d’études sérieuses et exigeantes sous la direction d’un maître. Issu d’une grande famille d’apothicaire, il était normal qu’il soit dirigé vers ce métier. Il comportait d’ailleurs des aspects valorisants puisqu’il reposait sur l’art de guérir des malades ou des blessés.
Toutefois, être apothicaire demeure un métier; pas une profession. Malgré l’éventail des compétences acquises, la formation n’a pas le prestige d’études universitaires. Un bon apothicaire, même maître de métier, ne fait pas partie de l’élite sociale. Il n’a pas droit à des honneurs particuliers.
L’acquisition de nombreuses compétences s’imposait. Le premier savoir concernait le fonctionnement du corps humain. Depuis des siècles, ce savoir reposait sur la théorie des humeurs : le sang (chaud et humide), le flegme (l’eau froide et humide), la bile noire (froide et sèche) et la bile jaune (sèche et chaude).
L’équilibre entre les humeurs était nécessaire au bon fonctionnement de l’organisme. Mais tout cela est bien plus compliqué qu’il ne paraît.
Il s’imposait ensuite d’avoir recours au remède approprié : sirops, sucs, poudres, pilules, cataplasmes, suppositoires, pommades, etc. Et pour cela, au cœur du savoir des apothicaires, la fabrication des médicaments : l’identification des ingrédients, leur dosage, la préparation par cuisson ou décoction, l’utilisation ou non d’un alambic. Puis connaître les processus, les modalités et la durée de fabrication : sécher, piler, brûler, macérer, etc.
Toutefois, la première et la plus grande des connaissances requises au départ était celle des plantes et de leurs vertus; vertus cachées dans les fleurs, les feuilles, la tige, les racines ou les fruits. D’innombrables particularités à connaître et à maîtriser : une grande quantité d’équipement à se procurer, beaucoup d’espaces appropriés et différents à organiser ! Il fallait ensuite assurer l’approvisionnement des plantes et se gagner une clientèle régulière.
Tentatives d’établissement7
Plusieurs événements surviennent au moment de s’établir. Son père décède et sa part d’héritage se ramène à pratiquement rien. Il erre un temps dans Paris à la recherche d’un lieu pour s’installer.
Surtout, en 1601, il prend pour épouse Marie Rollet, la fille d’un canonnier du roi décédé. Elle a toutefois reçu une solide éducation. L’année suivante, il acquiert, rue de Petite Seine, une masure toute délabrée pour un prix de base : 200 livres tournois. La semaine suivante, il la revend à sa belle- mère qui agit ainsi à titre de prête-nom.
Au total, en deux semaines, il passe quatre contrats notaries devant quatre notaires différents en donnant quatre adresses de résidence différentes. En plus, il en coûtait près de 1 000 livres pour se procurer les drogues et ustensiles requis pour ouvrir boutique et desservir une clientèle qu’il restait à séduire.
Le projet n’a pas eu les résultats escomptés; un cuisant constat d’échec professionnel au moment de lancer sa carrière. Quelques années plus tard, Louis Hébert s’engage auprès d’un parent fortuné à destination de Port-Royal.
Ses conditions d’engagement n’ont rien de reluisant.8 En 1606, le lieutenant-général de la Nouvelle-France, Du Gua de Monts, a beaucoup de difficultés à recruter des ouvriers depuis la catastrophe du premier hivernage qui a coûté la vie à la moitié des personnes à cause du scorbut.
Il fait appel à Biencourt de Poutrincourt qui rêve d’installer une colonie aux terres neuves. Celui-ci recrute une personne de sa parenté, Louis Hébert. L’engagement est d’une durée d’une année pour travailler au pays de Nouvelle-France. En retour, Hébert recevra une somme de 100 livres plus la nourriture et l’entretien.
C’est une rémunération dérisoire, la même que 8 maçons dont 4 analphabètes qui s’engagent en même temps que lui et un tiers de moins qu’un taillandier. Cette entreprise tournée vers le Nouveau Monde est dirigée par un protestant et le projet de colonisation est mis de l’avant par un catholique. Déjà, aux lendemains des guerres de religion, un esprit nouveau est à l’origine du Nouveau Monde, une lueur d’espoir pour Louis Hébert.
Pendant ce temps, Marie Rollet, à titre de procuratrice de son mari absent, vend leur propriété de la rue de la Petite Seine à la Reine Margot pour un prix dix fois supérieur à celui de son acquisition. La reine Margot ayant obtenu l’annulation de son mariage revient s’installer à Paris et acquiert différentes propriétés pour ériger son château et ses jardins.
Port-Royal
Louis Hébert effectue deux séjours à Port-Royal : 1606- 1607 et 1611-1613 (ce qui corrige l’idée qu’il était présent en 1604 et en 1610 au baptême de Membertou et il est venu seul, sans Marie Rollet). De ce séjour, je ne retiens que trois éléments : ses relations avec la nature, avec les Amérindiens et avec les Jésuites.
Un observateur, Lescarbot, note qu’outre la maîtrise de son art, il prend plaisir à cultiver. On y voit donc sa priorité axée sur sa fonction d’apothicaire et sur la guérison des malades.
Dès ce moment, il achemine en France des plantes pour démontrer les possibilités de colonisation de cette nouvelle contrée. Une innovation scientifique qui eut, plus tard, d’autres importantes retombées.9
Louis Hébert nouera une solide amitié avec les Amérindiens et le grand chef Membertou.10 La relation de Louis Hébert avec les Amérindiens, sans doute favorisée par la reconnaissance des plantes médicinales, a relevé davantage d’une rencontre que d’un choc de culture.
L’altérité a primé sur l’adversité. Par ailleurs, Louis Hébert appuiera le désir de Membertou d’être inhumé auprès des siens; ce que les Jésuites refusèrent, imposant comme condition l’exhumation de tous les corps non catholiques. C’est Membertou qui accepta de changer d’avis.
Un peu auparavant, Hébert avait guéri le deuxième fils de Membertou alors qu’il était à l’article de la mort. Les Jésuites y virent un miracle. Le fils aîné du grand chef et ses deux femmes rendirent grâce à Louis Hébert.
Les Jésuites ne pouvaient tolérer de tels comportements : baptêmes sans formation, mariage à plusieurs femmes, ce qui fit dire que leur intransigeance ferait plus d’hérétiques que de conversions.11
Dans la suite, un conflit majeur opposa le jeune commandant civil, Bien- court (fils) âgé d’à peine vingt ans, et les Jésuites.
Hébert alors âgé de 37 ans joua un rôle de médiateur. Les jésuites, mécontents, voulurent quitter. Ils s’enfermèrent dans le navire et refusèrent d’en sortir malgré diverses demandes. Biard, forcé de quitter, laissa par écrit un mot d’excommunication. Hébert incita le jeune commandant à ne pas le lire parce qu’il s’agissait de menaces pour lui faire peur. La petite colonie fut privée des services religieux pendant trois mois.
Malgré cet appui à l’autorité civile à leurs dépens, les Jésuites gardèrent confiance en Hébert.
La prise de l’Acadie par Samuel Argall en 1613 ramena les Français en bonne partie en Europe. Toutefois, Hébert poursuivit son accompagnement auprès de Biencourt. Un autre conflit lié à la prise d’un bâtiment chargé illicitement de fourrures entraîna plusieurs dizaines de procédures judiciaires qui durèrent plusieurs années.
Hébert en fut touché à titre de procureur de Biencourt. En 1618, les adversaires demandèrent même son emprisonnement, ignorant probablement qu’il était déjà rendu à Québec.
À Québec
Louis Hébert, Marie Rollet et leurs trois enfants arrivent à Québec à l’été 1617. Louis Hébert, qui a déjà 42 ans, mène deux activités de front : soins des personnes à partir des plantes et activités agricoles (défrichement, semences et élevage). Marie Rollet veille à l’éducation de ses enfants (le plus jeune, Guillaume, âgé d’environ six ans, saura signer son contrat de mariage).
Je retiens quatre éléments principaux de leur vie à Québec. Le développement de l’agriculture, les rapports avec les compagnies de commerce , la cueillette et l’expédition de plantes en France et les relations avec les Amérindiens. Les Hébert-Rollet sont très discrets.
Ils ne laissent pas de traces directes de leur vie en Nouvelle-France. Leur histoire repose principalement sur des témoignages externes, de Champlain ou des Récollets Gabriel Sagard et Chrestien Le Clercq; des sources parfois teintées de biais.
L’engagement envers l’agriculture soutient la politique de colonisation. Les progrès sont lents mais réels.
Surtout, Louis Hébert et sa famille finissent par bénéficier d’une immense concession (englobant les terres cédées plus tard au Séminaire et à l’Hôtel-Dieu de Québec), le fief Sault-au-Matelot sur le Cap-aux Diamants, à laquelle s’ajoute bientôt le fief de Lespinay le long de la rivière Saint-Charles.
Au moment de la famine des années 1628 1629, créée par l’invasion britannique, les surplus de la récolte sont répartis dans la population.
Au début des années 1620, la gestion de la Nouvelle-France fait l’objet de dénonciations et de disputes qui remontent jusqu’au Roi. Elle oppose les nouveaux dirigeants de la compagnie de commerce, les protestants De Caen, aux missionnaires récollets tenants d’une politique de colonisation impliquant la sédentarisation des Amérindiens.
La charge contre la compagnie est virulente. Louis Hébert est nommé procureur et il sert d’exemple. L’on reproche les conditions du contrat d’engagement qui lui a été imposé et le manque d’appui pour obtenir des engagés ou même une charrue. L’on omet toutefois de signaler que l’engagement avait été fait par une autre compagnie et que des biens et du bétail avaient été amenés de France à l’intention de Hébert.
Au surplus, Marcel Trudel a démontré que le religieux Le Baillif avait fabriqué des faux, que les auteurs contemporains ont eux-mêmes dénoncés.12
Ainsi, les sources n’ont pas toute la crédibilité souhaitée. Le décès de Louis Hébert en janvier 1627 en est un bon exemple.
Pour Sagard, il a eu le temps de se réjouir que des Amérindiens aient déjà été convertis; il a pu exhorter son épouse et ses enfants à les aimer et à les aider.
Pour Le Clercq, Hébert était passé chez les Récollets quelques jours avant sa mort pour demander d’être inhumé dans leur cimetière.
Pour Champlain, Hébert est simplement décédé par suite d’une chute sur la glace. Qui faut-il croire ?
La plus grande réalisation de Louis Hébert, longtemps demeurée méconnue, consiste dans l’envoi en France de 44 plantes jusque-là inconnues. Ces plantes ont été transplantées dans le jardin de l’École de médecine, puis au Jardin du Roi au moment de sa création en 1635.
Elles ont fait l’objet d’un livre, Canadiensum Plantarum, publié en latin à Paris en 1635 par Jacques-Philippe Cornuty.
Cet ouvrage a été largement cité par la suite. En quelques décennies, on en retrouve des mentions à Rome, en Sicile, en Belgique, en Angleterre, aux Pays-Bas et jusqu’en Suède. On peut donc y voir une innovation scientifique absolument exceptionnelle.13
Marie Rollet a à son compte évidemment l’éducation d’Espérance et Charité, les deux Amérindiennes que Champlain n’a pu ramener en France après la prise de Québec par les Kirke en 1629. Mais il y a bien plus. Marie-Claire Daveluy, encore elle, raconte une histoire à propos du petit Noir Olivier Le Jeune.
Amené comme esclave des Kirke, il a été vendu à Olivier Le Tardif, commis de la compagnie, d’où son prénom, puis baptisé par le jésuite Le Jeune; d’où son nom. Un petit livre d’école relate que l’enseignante, amenée à expliquer le sens du baptême, avait signalé qu’il avait pour effet de blanchir la per- sonne. Le petit Olivier a paniqué, craignant d’être écor- ché vif. Rassuré en apprenant que seule son âme serait blanchie, il s’est mis à rire et à danser. C’est une histoire.
Un autre fait s’inscrit dans la réalité. Au jour de la Pentecôte 1627, quelques mois après le décès de Louis Hébert, l’on procède à Québec au baptême de Naneogauadit, un jeune Amérindien de 10 ans, fils d’un grand chef. Après la cérémonie et les allocutions, les membres de l’élite se réunissent à l’Habitation, avec Champlain. Quant à elle, Marie Rollet offre un festin aux Canadiens (Amérindiens).14
Le festin consiste en 56 outardes, 30 canards, 20 sarcelles, quantité d’autres gibiers, deux grues, deux corbillons de pois, deux barils de pois, un baril de galettes, 15 ou 20 livres de pruneaux, six corbillons de blé d’Inde et diverses autres commodités. Ils firent bouillir le tout dans la grande chaudière à brasserie de Marie Rollet.
Le grand chef sert chacun des convives en silence. Cependant, une fois la foule rassasiée, ils dansèrent à leur mode et, au moment de partir, souhaitèrent qu’il y ait un baptême chaque jour.
Les années qui suivent sont marquées par divers bouleversements. En 1628, la famine affecte Québec sérieusement. Les maigres surplus de production de la terre de Hébert sont cédées à la population; l’équivalent de 9 onces et demi par semaine par personne. Puis, de 1629 à 1632, les Anglais s’installent à Québec.
Marie Rollet avait-elle d’autres choix que de choisir de rester dans la colonie avec ses enfants ? Cependant elle s’est remariée au printemps 1629 avec Guillaume Hubout. Elle a pris soin des petites Amérindiennes que Champlain n’a pu ramener en France. Et sa propre famille a continué à se multiplier, jusqu’à afficher l’une des dix plus nombreuses descendances en 1800.
Conclusion
Tout au long de leur parcours de vie, Louis Hébert et Marie Rollet ont affronté des défis et surmonté des épreuves difficiles. En toutes circonstances, ils sont demeurés fidèles à eux-mêmes et à leurs valeurs en s’adaptant aux contextes. Leur histoire permet de constater que l’avenir est imprévisible.
L’Histoire en a créé des images adaptées à différents contextes, comme en font foi toutes les formes d’identité symboliques conférées à Louis Hébert : pionnier, père de famille, agriculteur, spécialiste des plantes, innovateur scientifique. Ces grands symboles, on le constate, ne rejoignent que partiellement les éléments constitutifs de leur vie et de leurs valeurs.15
Pourtant, ce rôle primordial de l’individu me paraît faire partie de tendances sociales fortes et récentes. Maints exemples en témoignent, comme la vogue du tourisme généalogique, la commémoration des Filles du roi en 2015 qui a insisté sur les 36 trajectoires individuelles plutôt que sur le groupe.
De même, de récents travaux sur la guerre de 1756-1763 ont donné lieu à des publications centrées sur les destins individuels.
Ainsi, du haut de 400 ans d’histoire, il faut reconnaître le rôle essentiel de l’individu dans la vie de tous les jours. Au-delà des difficultés qui parsèment le cours de leur vie, l’entraide, le respect, l’empathie et la bienveillance des uns avec les autres jouent un rôle crucial.
Ceci nous rappelle l’importance de chacun des gestes que nous posons au jour le jour les uns envers les autres et surtout ceux des enseignants envers les étudiants et des historiens envers la société.
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Cet article fait partie d’une série d’histoires parues initialement dans le magazine Traces de la Société des professeurs d’histoire du Québec (SPHQ).