La Rébellion canadienne, le Sud des États-Unis, et l’esclavage
Au cours des dernières années — grâce en grande partie aux travaux de plusieurs historiennes qui ont collaboré dans notre collection Revolutions Across Borders : Jacksonian America and the Canadian Rebellion (2019) — on considère la Rébellion canadienne au-delà du contexte national et on la place dans un contexte transnational. Ainsi, on a depuis étudié la Rébellion dans le contexte de l’Âge des révolutions, de l’Amérique jacksonienne et de la diplomatie internationale.2
Et plus précisément, dans un contexte américain, on est également allé au-delà des analyses des loges des chasseurs et on a commencé à étudier l’influence de la doctrine de la Destinée manifeste, les liens avec les démocrates radicaux (également connus sous le nom de Locofocos, le républicanisme, la Guerre des banques d’Andrew Jackson et même la masculinité.3
Malgré ces nouvelles avenues de recherche intéressantes — et malgré des exceptions importantes — la majorité des études sur les liens entre a Rébellion et les États-Unis se concentre surtout sur les états frontaliers du Nord.4
Et cela est tout à fait logique, car la majorité des sympathisants américains et des activités militaires ont eu lieu le long de la frontière avec le Canada. Cependant, la Rébellion canadienne est un évènement important qui a suscité l’intérêt de tous les Américains, y compris ceux du Sud (comme dans les Carolines, la Virginie, la Géorgie, la Louisiane et l’Alabama). Tout comme dans les états du Nord, ceux du Sud s’intéressaient également à ce qui se passait au Bas et au Haut-Canada et, plus précisément, le long de la frontière du Canada et des États-Unis. Et ceci pour une raison bien précise : l’esclavage.
Depuis des années, mon ami, collègue et co-conspirateur, Julien Mauduit, et moi avons discuté de nos travaux sur la Rébellion et de ses liens avec les États-Unis autour de nombreux expressos. Julien a toujours adopté une approche plus nuancée, soulignant que les révolutionnaires des Canadas jouissaient également d’un certain soutien dans le Sud esclavagiste et que des abolitionnistes étaient opposés à la Rébellion.5
Cependant, en approfondissant la question du lien entre esclavage et Rébellion, et en concentrant mes recherches spécifiquement sur le Sud des États-Unis et son influence sur la politique étrangère américaine, j’aimerais encourager les historiennes à adopter une position plus définitive: l’esclavage — tout comme la Panique de 1837 dans ce même pays, le rapprochement anglo- américain suivant la Guerre de 1812 et la crainte de représailles britanniques — a joué un rôle fondamental dans l’opposition officielle du gouvernement américain à la Rébellion.
Bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires pour apprécier pleinement ce lien, il existe suffisamment d’indices pour suggérer que nous soyons sur la bonne voie.
J’examine ici la réaction des états du Sud à la Rébellion canadienne et des liens entre la Rébellion et l’esclavage. Plus précisément, je m’appuie sur deux journaux de l’époque, profondément liés à l’esclavage: le Charleston Mercury de Henry Laurens Pinckney et, plus tard, John Allan Stuart, et le Southern Patriot de Jacob Newton Cardozo. Ces deux journaux de la Caroline du Sud étaient non seulement parmi les plus influents de la région, mais leurs rédacteurs représentaient et défendaient les intérêts des esclavagistes.
Né en Caroline du Sud, Pinckney fonda le Charleston Mercury en 1819. Sous sa direction, le journal devint rapidement « un des organes les plus influents du Sud en matière de droits des États (States Rights) et en faveur de l’esclavage » .6 Pinckney est surtout célèbre pour avoir introduit le « gag rule » en 1836 alors qu’il était membre du Congrès.7
En 1835, l’American Anti-Slavery Society avait commencé à envoyer des pétitions au Congrès condamnant l’esclavage. Selon la pratique habituelle, chaque pétition devait être présentée en chambre, débattue et transmise au comité approprié. Cependant, ces pétitions irritaient les représentants du Sud, qui insistaient sur le fait qu’elles détruisaient l’harmonie politique et qu’elles mettaient en danger la vie des sudistes en suscitant des révoltes de personnes réduites en esclavage.8
Pinckney fut chargé de les « éliminer » discrètement. Avec le « gag rule » , chaque pétition sur le sujet de l’esclavage était « déposée » sans être discutée par le Congrès.9 Cette règle supprima toutes les discussions et tous les débats concernant l’esclavage au Congrès jusqu’en 1844.
En 1832, John Allan Stuart devint le nouveau rédacteur en chef du journal, un poste qu’il conserva jusqu’au milieu des années 1840. En particulier, Stuart était un disciple de John C. Calhoun, l’ancien vice-président des États-Unis (1825-1832).10 Dire que Calhoun était un défenseur de l’esclavage est un euphémisme. Il qualifia même l’esclavage de « bien positif », affirmant que grâce à cela, les populations africaines étaient devenues plus « civilisées » et avaient atteint un niveau supérieur de forme physique, morale et intellectuelle.11 Sous la direction de Stuart, l’influence de Calhoun sur le Charleston Mercury devint encore plus importante et le Mercury devint un champion incontesté de l’esclavage.12
Jacob Newton Cardozo, pour sa part, devint rédacteur en chef du Southern Patriot en 1816, puis son propriétaire de 1823 à 1845. Dans les décennies précédant la Guerre de Sécession, il était considéré comme un des plus grands théoriciens économiques du Sud et utilisa souvent les pages du Southern Patriot pour défendre l’esclavage aux États-Unis.13 Grâce à son journal, il exerça une influence considérable sur la pensée et les pratiques économiques du Sud.14
L’esclavage, affirmait-il, avait non seulement enrichi la région, mais il avait été bénéfique pour les personnes réduites en esclavage elles-mêmes. « Slavery, » expliqua-t-il, « brought [...] to the slaves a greater share of its enjoyment than in many regions where the relation between employer and employee was based on wages. »15 Pour Cardozo, les progrès du capitalisme étaient compatibles avec l’esclavage, le libre-échange, et le maintien du système esclavagiste était possible et souhaitable pour le développement économique du Sud.16
Le Sud des États-Unis et la Rébellion canadienne
En 2017, j’ai publié un article dans American Review of Canadian Studies qui souligna l’intérêt considérable que les rédacteurs en chef du Nord, et spécifiquement de Philadelphie, portaient à la Rébellion.17 Celle-ci fit l’objet de débats et de discussions animés et les articles sur les Canadas firent la une des journaux. Les rédacteurs en chef de Philadelphie publièrent de nombreux éditoriaux, tentant de comprendre ce qui se passait au Canada et ils donnaient leur opinion quant à la manière dont le gouvernement américain devait répondre à la Rébellion tout en soulignant la sympathie des Américains vivant le long de la frontière.
On retrouva le même niveau d’intérêt dans le Charleston Mercury et le Southern Patriot. Avant novembre 1837, les articles sur le Haut et le Bas-Canada étaient extrêmement rares. En fait, les mots « Canada(s) », « Bas-Canada » et « Haut-Canada » figuraient très rarement dans les deux journaux. Cependant, tout changea avec la Rébellion, et plus particulièrement à la suite de l’affaire du navire américain Caroline.
Un des moments les plus controversés de la Rébellion survint à la fin de décembre 1837 lorsqu’un groupe de loyalistes britanniques traversa la frontière américaine près de l’Ile Navy (sur le Niagara) et mit le feu au Caroline qui, selon les rumeurs, apportait des armes et des munitions aux rebelles en position dans l’ile. Selon les journaux locaux, un Américain fut tué au cours de l’attaque.
À la suite de cet indicent, et jusqu’en décembre 1838, la Rébellion devint un des évènements les plus discutés par le Charleston Mercury et le Southern Patriot. Chaque semaine, les lecteurrices de la Caroline du Sud pouvaient lire des colonnes et des colonnes d’extraits de journaux canadiens et des états du Nord, et de nombreux éditoriaux débattant la manière dont le gouvernement et la population américaine devraient réagir.
Tout comme leurs collègues du Nord, les rédacteurs du Sud s’intéressaient à la Rébellion. Cependant, les similitudes s’arrêtent là. Alors que les journaux de Philadelphie, et du Nord en général, sympathisaient avec les révolutionnaires des Canadas, le Charleston Mercury et le Southern Patriot étaient opposés à la Rébellion.18
En fait, du début à la fin, la majorité des journaux de Philadelphie voyaient les rebelles d’un bon œil. Même si la plupart ne voulaient pas risquer une autre guerre avec la Grande-Bretagne et croyaient que le gouvernement américain devait rester neutre, ils discutaient de la Rébellion en termes positifs.19 Selon plusieurs, le « Canada », comme les États-Unis, une cinquantaine d’années auparavant, vivait sa propre Révolution.
Le Public Ledger compara même les chefs révolutionnaires, comme Louis-Joseph Papineau et William Lyon Mackenzie, aux héros de la Révolution américaine, tels « Hancock, Adams, Franklin, Washington, Jefferson, [and] Rush ».20 Selon d’autres journaux, comme le Pennsylvania Inquirer and Daily Courier, la Rébellion incarnait « l’esprit de 76 ».
Le Pennsylvania Inquirer ajouta même: « as Americans, and the descendants of those who won independence through a fearful struggle of violence and bloodshed, we cannot but deeply sympathize with any people who even fancy themselves similarly situated. We believe the Canadas [...] have grievances. [...] It is therefore that they have our sympathies; and that we rejoice at their successes and regret their reverses ».21
Cependant, le Charleston Mercury et le Southern Patriot critiquèrent la Rébellion et leurs sympathisants américains, n’offrirent ni soutien, ni bienveillance, et leur ton fut généralement négatif. Le Charleston Mercury se moqua même de la Rébellion. Après les défaites de décembre 1837, le journal déclara avec condescendance : « The late news from the country indicates that the ‘patriots’ as they are satirically called, have failed in their ill-judged attempt to overturn the British authority ».22
Le Southern Patriot, quant à lui, eut recours à des termes négatifs pour décrire les révolutionnaires des Canadas, les qualifiant de « evil » et leurs actions comme « rash » et « treason ».23 Le journal décrivit également l’appui, et les interventions de sympathisants américains comme des « irregular action » et qui avaient « compromised [the United States’] honor ».24
Ceci n’était ni la première ni la dernière fois que les deux journaux utilisèrent un langage négatif pour décrire la Rébellion. Le Mercury employa également des mots comme butchery, gruesome25, ill-judged, vile, villainous26, pirates27, enemy28, scum29, et unlawful enterprise30 pour décrire la Rébellion, les révolutionnaires des Canadas, et leurs sympathisants américains.
Et si on considère l’infâme affaire du Caroline, Stuart et Cardozo blâmèrent les sympathisants américains, et non les forces loyalistes et britanniques, pour la destruction du vaisseau américain. Selon le Charleston Mercury, il n’y avait aucun doute que les New-Yorkais avaient violé la neutralité entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, affirmant qu’ils avaient « supplied the insurgents with arms, ammunition and troops, and this very steamer Caroline, was the regularly employed vehicle between Navy Island — Mckenzie’s little republic — and Buffalo. »31
Le lendemain, le Mercury a même pris le côté des Britanniques, déclarant « [there are] some severe charges against the conduct of our citizens, which we have great reason to believe are well founded. »32 Ajoutant: « They [les Britanniques] make out a very strong case against the boat — that she was armed; that she had been the vehicle of the arms and other military supplies which our citizens forwarded from time to time to Navy Island [...] »33
En fait, Stuart et Cardozo étaient tellement opposés aux révolutionnaires des Canadas et à leurs sympathisants américains qu’ils adoptèrent une position contradictoire à l’égard de la politique étrangère américaine, et plus précisément, dans leurs réactions à la Rébellion canadienne et à la Révolution texane.34 Les Hauts et les Bas-Canadiens n’étaient pas les seuls à s’être révoltés près de la frontière américaine dans la seconde moitié des années 1830.
En 1835-1836, les Américains vivant au Texas — une province mexicaine à l’époque — et les Tejanos (des colons espagnols vivant au Texas) se révoltèrent contre un gouvernement mexicain qui centralisait de plus en plus son pouvoir. Bien que les États-Unis fussent officiellement en paix avec le Mexique, les Américains vivant dans les états du Sud supportaient les Texans, leur fournissaient des armes et des munitions et participaient activement à la révolution. Le gouvernement américain supporta également les Texans.35
Le Southern Patriot et le Charleston Mercury parlèrent positivement de la Révolution texane et encouragèrent la participation américaine. Par exemple, le 2 juillet 1835, le Southern Patriot publia un article criant vengeance et demandant au gouvernement d’intervenir à la suite de la mort d’un Américain aux mains des troupes mexicaines à Galveston au Texas. Le langage qu’il utilisa pour décrire la révolution et ces sympathisants sudistes était également positif, employant des mots comme « valiant, » pour décrire les corps de volontaires de l’Alabama et de La Nouvelle-Orléans.
Selon le Southern Patriot, ils se battaient pour la « Liberty of the Country. »36 Selon Stuart, la victoire du Texas était une « glorieuse nouvelle » pour le Sud, ajoutant que puisque le Texas était peuplé par des propriétaires de personnes réduites en esclavage, un Texas indépendant ou faisant partie des États-Unis « assurerait la stabilité des institutions du Sud. »37
Cependant, lorsque les Hauts et Bas-Canadiens se sont révoltés quelques années plus tard, les deux journaux adoptèrent une attitude complètement différente, insistant sur la neutralité des États-Unis et de tous les Américains. Le Southern Patriot insista même pour que le gouvernement américain envoie une force militaire plus importante à la frontière avec les Canadas afin d’empêcher les populations du Nord d’aider les Canadiens.
« It is the part of good faith to be armed effectually, » expliqua-t-il, « to repress the attempts of our own citizens ... to range themselves under the banner of rebellion where the conterminous territory of a friendly power affords great facilities of executing their purpose. »38 Pour le Charleston Mercury, la Rébellion canadienne était tout simplement injustifiée. Contrairement aux Texans, les Canadiens se battaient contre un gouvernement juste, établi, pacifique et libéral.39
De plus, les révolutionnaires des Canadas, et en particulier ceux sur Navy Island, n’étaient rien de plus que des criminels, détenant « three hundred acres of land by tenure robbery, and which they could not maintain three days without the aid of people who must break alike the laws of nations and of their own country to furnish that aid. Such is the strange parallel on the justness of which we are called upon to declare war against Great Britain, and acknowledge the Independence of Navy Island. »40 En comparaison, les Texans luttaient contre le « despotisme », résistaient à « the tyranny of bigotry and barbarism », et se battaient « for the spread of civilization and pure Republican institutions. »41
L’esclavage et la Rébellion canadienne
Or, pourquoi traitèrent-ils de façon si radicalement différente la Révolution texane et la Rébellion canadienne ? Pourquoi l’une était-elle « juste » menée par des héros « vaillants » luttant pour la « liberté », tandis que l’autre était « injuste » menée par des « criminels », des « pirates » contre un gouvernement « juste » ? Pourquoi poussèrent-ils le gouvernement fédéral à rester neutre envers l’un, mais réclamèrent-ils son assistance pour l’autre ? Bien que le chauvinisme puisse expliquer pourquoi les deux journaux traitèrent les soulèvements différemment — les sudistes regardaient les Mexicains de haut, mais se sentaient des affinités avec les Britanniques — il existe une autre possibilité : l’esclavage.42
La Rébellion canadienne coïncidait avec l’émergence du conflit sectoriel entre les États du Sud et du Nord. Et la source de tension la plus importante était, sans surprise, l’esclavage. L’opposition entre militants abolitionnistes et défenseurs de l’esclavage menait souvent à des affrontements violents, causant souvent des morts.43
Et dans ce contexte où les débats entre esclavagistes et abolitionnistes déchiraient les États-Unis, la Rébellion canadienne joua un rôle beaucoup plus important. Qu’elle en ait eu l’intention ou non, la Rébellion — ou plus précisément, la création potentielle d’une République canadienne (ou même deux !) — devint un facteur important dans la lutte pour le pouvoir entre esclavagistes et abolitionnistes. En novembre 1837, l’équilibre entre états esclavagistes et états libres était très fragile, avec 13 états de chaque côté.
Et des deux côtés, on souhaitait s’adjoindre de nouveaux états pour faire pencher la balance du pouvoir en sa faveur. Cela inclut les Canadas. Tout comme les sudistes qui espéraient qu’un Texas esclavagiste soit un jour annexé aux États-Unis, beaucoup d’Américains des états du Nord espéraient qu’un (ou deux) Canada libre peut être ajouté à l’union.44 Tout ajout pourrait donc entrainer des changements majeurs dans l’équilibre du pouvoir au Congrès, principalement au Sénat où les états sont représentés également. Les Canadas, comme le Texas, sont un enjeu important dans cette lutte.
La Rébellion joua également un rôle plus important, car elle avait suivi de si près la Révolution texane. Le Haut et le Bas-Canada étaient donc devenus des pions importants dans la lutte entre esclavagistes et abolitionnistes. Leur Rébellion éclatant dans la foulée de l’indépendance du Texas, ils avaient le potentiel de devenir un contrepoids important au Texas si ce dernier était annexé. Ceci n’échappa pas à l’attention de certains journaux du Nord, tel que le Public Ledger et le United States Gazette, qui notèrent que l’annexion d’un (ou deux) Canada indépendant (en tant qu’état libre) pourrait faire contrepoids à l’annexion inévitable du Texas (un état esclavagiste).45
Conséquemment, la Révolution texane et la Rébellion canadienne devinrent des munitions pour esclavagistes et abolitionnistes, une situation parfaitement résumée par la Wisconsin Territorial Gazette. À la suite d’un rassemblement en faveur de la Rébellion à Buffalo, le journal déclara : « When the people of the South flocked to the aid of Texas, sending arms and assistance, the interference was denounced in the north as a breach of treaty with Mexico. The North is in danger of exposing itself to a similar animadversion. »46
En effet, tout comme les journaux du Nord qui avaient attaqué le Sud lors de la Révolution texane, le Southern Patriot et le Charleston Mercury attaquèrent l’appui du Nord à la Rébellion canadienne. Selon le Charleston Mercury, le Nord donna son appui à la Rébellion pour une seule raison: son opposition au Texas.
It is said that the struggle of Texas has a connection with the Canada rebellion, and that the enthusiasm of our citizens in favour of that gallant little State was the model and the justification of the Canada party of the North. [...] The comparison is made not for the purpose of benefiting Canada, but of injuring Texas. Those who are opposed to the Union with the State [l’union du Texas avec les États-Unis] are most happy to seize upon every scum [référant aux rebelles canadiens] that floats on the stream of events...47
Le journal ajouta que le Nord était opposé à l’indépendance du Texas, non en raison de son « amour » pour le Mexique, mais pour une seule raison : son opposition au Sud et à ses « institutions. »
Nay, some of them now themselves lovers of Mexico, some warm advocates of all her insolent claims, apologists of her outrages, and would have their own country and its flag, disgraced by tame and cowardly submission to the wrong insults of their worthy Mexican allies, in the warfare against the prosperity and influence of the Southern States of this Union. No means are too vile; no instrument too villainous, no alliance too degrading, in the crusade, in aiming at the great end of which, the trampling down of the South and her institutions, these philanthropical, “free State” crusaders see their only consistency.48
Et quelles furent ces « institutions » qui avaient causé tant de conflits aux États-Unis et que le Nord voulait détruire ? L’esclavage. Et bien que le Charleston Mercury ait peut-être refusé d’employer le mot « esclavage » pour décrire ces « institutions », les journaux du Nord ne se gênèrent pas, citant l’esclavage comme la vraie cause des tensions entre ceux qui appuyaient la Rébellion canadienne et celle au Texas.
Par exemple, en parlant du Texas et du Canada, le New York Herald mit ses lecteurs en garde : « [o]ur intermeddling with either will kindle a war at the two extremities of our overgrown empire, and while the north protests against interference in Texas, the south will raise a similar course with Canada ».49 Et au centre de cette division se trouvait « la question de l’esclavage ». Le Carlisle Herald ajouta de façon plus explicite :
President Van Buren has issued his proclamation in reference to the existing state of things in Canada, forbidding all interference on the part of the citizens of the United States. But how come it that in the case of Mexico and Texas, that a different course is pursued? There was no proclamation forbidding our interference then? Oh no... Why this difference? It is the dark spirit of slavery, which has made the difference — Canada is the resting place of him whose color is made a curse to him, while Texas only strengthens the chain by which he is bound down in cruel oppression. In behalf of the latter, all our sympathies, at the beck and nod of the South, are to be made to flow, and we are required to do bidding — admit Texas into the Union, and thereby perpetuate slavery in this land, which has been styled the home of the free. In regard to the former, the government manifests some degree of activity in preventing interference, and we are forbidden to do so, and required to stifle our sympathies as soon as they arise.50
Le rédacteur en chef du Public Ledger a également noté le lien entre l’esclavage — ou plus précisément, l’absence d’esclavage aux Canadas — et l’absence de soutien officiel provenant du gouvernent américain à la Rébellion canadienne. Dans une lettre ouverte aux révolutionnaires des Canadas, le rédacteur en chef du Public Ledger suggéra même avec sarcasme que s’ils voulaient obtenir l’appui du Sud et, en conséquence, du gouvernement fédéral.
Conclusion
Une analyse de deux journaux du Sud — le Southern Patriot et le Charleston Mercury — suggère que l’esclavage a eu un impact sur le déroulement de la Rébellion canadienne d’une manière que peu d’historiens ont appréciée. Les forces esclavagistes étaient clairement contre la Rébellion, condamnant les « evil » Canadiens et leur lutte contre un gouvernement britannique « juste », « pacifique » et « libéral. »
Plus important encore, la Rébellion divisa davantage le Nord et le Sud et plusieurs journaux indiquèrent que c’étaient les « institutions du Sud », ou en d’autres mots « l’esclavage », qui était la véritable cause du conflit entre ceux favorables à la Rébellion canadienne et leurs opposants. Dans le sillage de la Révolution texane, les Canadas devinrent des pions importants dans la bataille entre les esclavagistes et les abolitionnistes. Ils constituaient un contrepoids potentiel à l’inclusion du Texas esclavagiste aux États-Unis.
D’autres journaux, comme le Carlisle Herald, soutinrent que les intérêts esclavagistes avaient eu une influence plus importante sur la réaction officielle du président Martin Van Buren à la Rébellion, déclarant que c’était « the dark spirit of slavery » qui l’avait poussé à déclarer la neutralité des États-Unis et à s’opposer à toute intervention de sympathisants américains.
Cependant, l’opposition des esclavagistes était-elle assez forte pour influencer la politique étrangère américaine ? Les intérêts esclavagistes à Washington étaient-ils assez puissants pour pousser le gouvernement fédéral à adopter une position officielle de neutralité et essayer d’empêcher la population américaine d’aider les Canadiens ? Il semble que oui.
Bien que des recherches plus approfondies soient nécessaires pour apprécier pleinement son impact, l’esclavage et les intérêts des esclavagistes — tout comme la panique de 1837 et l’alliance économique entre les États-Unis et la Grande-Bretagne après la guerre de 1812 — doivent également être pris en compte comme facteurs importants pour expliquer pourquoi le gouvernement américain a refusé d’aider les rebelles canadiens, une aide sur laquelle ces derniers comptaient.
La notion voulant que les intérêts des esclavagistes aient exercé une énorme influence sur la politique étrangère américaine n’est pas nouvelle. Même Karl Marx pensait que les intérêts esclavagistes guidaient les politiques étrangère et intérieure — aux États-Unis. Et comme l’historien Matthew Karp a souligné dans This Vast Southern Empire: Slaveholders at the Helm of American Foreign Policy, entre 1833 et 1861, les esclavagistes du Sud exerçaient une grande influence sur la politique étrangère américaine.
Ces hommes pratiquaient ce qu’il appelle une « foreign policy of slavery » et s’impliquèrent dans plusieurs luttes internationales pour défendre l’esclavage, notamment dans les Caraïbes, au Brésil, à Cuba, et au Texas. Et comme les esclavagistes occupaient certaines des positions les plus importantes au gouvernement, tout ce qui pouvait nuire à la survie de l’esclavage aux États-Unis et à l’étranger — dont l’émergence potentielle d’une (ou deux) républiques, indépendantes et antiesclavagistes au nord de leurs frontières — devait être rapidement traité et réglé.
Même si Matthew Karp n’a pas considéré la Rébellion canadienne dans son analyse, il semble assez évident que, comme les Caraïbes, le Brésil, Cuba et le Texas, les Canadas auraient tout autant préoccupé les esclavagistes du Sud. Les pages du Southern Patriot et du Charleston Mercury le démontrent très clairement.
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Cet article fait partie d’une série d’histoires parues initialement dans le magazine Enjeux de l’univers social de l’Association québécoise pour l’enseignement de l’univers social (AQEUS).