Le paysage géographique et cartographique de la Région de Montréal et de la Rive-Sud aux environs de 1837
Sans l’apport essentiel de Bernard Chabot, la rédaction de cet article se serait avérée beaucoup plus difficile et périlleuse. Il est normal de rendre hommage à quelqu’un après qu’il eut quitté ce monde. Cette fois-ci, permettez-moi de le faire de son vivant. Bernard est atteint d’une maladie dégénérative qui n’a qu’une seule issue. Celle-ci tirera sa conclusion très bientôt. Bien que le corps de Bernard l’ait laissé tomber, son esprit est toujours aussi vif. Diplômé en géographie de l’Université de Sherbrooke, il y a enseigné de nombreuses années comme chargé de cours. De nombreuses cohortes du BES ont assisté à ses prestations, un chaos organisé et structuré à sa manière. Ces dernières années, le CEGEP de Sherbrooke lui a ouvert ses portes pour accomplir son œuvre auprès des élèves en univers social.
Lorsque je me suis penché sur une approche géographique de la Rébellion de 1837-38, je savais qui aller voir. Une longue amitié de près de trente ans nous unit, je connais ses intérêts. Candidat idéal pour écrire cet article, Bernard était dans l’incapacité physique de le faire, je l’ai donc écrit à sa place. Il m’a fait bénéficier de ses immenses connaissances et m’a offert toute sa bibliothèque sur le sujet. J’ai donc pu mettre au point mon intention d’écriture pour le rédiger. Merci tout simplement, mon ami.
Bernard nous quittera sous peu, ses mots d’esprit me manqueront, son humour subtil et grinçant aussi. Le géographe entreprendra son incertain, dernier et ultime voyage.
Résumé
En contrepartie des nombreuses études historiques ayant mis en lumière les causes et les conséquences de la Rébellion du Bas-Canada de 1837-1838, peu d’ouvrages ont traité des conditions géographiques qui constituent des causes importantes de cette rébellion. Aujourd’hui, l’avancement de la science nous permet de mieux comprendre la formation même du continent nord-américain à quoi l’on doit la présence des Basses-terres du Saint-Laurent (BTSTL) et du système de failles à la jonction de deux régions physiographiques. Ces derniers ont permis, à la suite des événements géologiques et géomorphologiques subséquents la mise en place de notre territoire d’étude. La dernière grande glaciation avec son lot de bouleversements a laissé dans son sillage les sols sur lesquels nous foulons aujourd’hui les pieds.
En leur temps, Pehr Kalm (1716-1779) par ses écrits et Joseph Bouchette (1774-1841) par sa cartographie du territoire ont tous deux témoigné de ce qui allait devenir le Québec d’aujourd’hui. Avant eux, l’application du système de rangs, encore en vigueur aujourd’hui, a constitué une tenure originale des terres bien adaptée aux besoins du territoire.
Origines de la formation du territoire
La région d’étude fait partie intégrante des Basses-terres-du-Saint-Laurent et des Grands-Lacs qui sont enclavées au nord par le Bouclier canadien et au sud par les Appalaches. Plus spécifiquement, on appelle Basse-terres du Saint-Laurent (BTSL) la section québécoise de ces dernières. Cette région physiographique compte 29 000 km2, soit un peu moins de 2 % du territoire québécois.
Localisation
Globensky (1987) décrit l’étendue comme suit :
Les Basses-Terres du Saint-Laurent consistent en une aire horizontale, de basse élévation, qui occupe les deux rives du fleuve Saint-Laurent (…). Elles s'étendent d'Ottawa jusqu'au-delà de la ville de Québec. Dans la région de Montréal, elles mesurent 120 km de largeur ; à la hauteur de la ville de Québec, elles n'en mesurent plus que 5. La région d’Anticosti appartient aussi à cette formation géologique.
Formation du territoire
Les BTSL ont pour fondation l’ancien fond marin du paléo-océan Iapétus (encore appelé océan proto-Atlantique, est un ancien océan (ou paléo-océan) ayant existé au Paléozoïque, de la fin du Précambrien au Silurien lorsqu'il s'est refermé il y a 420 millions d'années (Wikipédia).
Les mouvements internes de la Terre ont entraîné des déplacements des plaques tectoniques qui ont eu pour conséquences la fermeture de l’océan Iapétus, la création de la chaîne des Appalaches et, coincée entre le Bouclier canadien beaucoup plus ancien (ère précambrienne), on retrouve les restes d’une plateforme continentale non déformée, soulevée par les énormes pressions tectoniques, les BTSL.
Cette plate-forme continentale ou plateau continental sous-marin se compose de dépôts sédimentaires qui ont subi de la diagénèse (passage de dépôts meubles à la cimentation en roches sédimentaires occasionné par le poids, le temps, la pression et des transformations chimiques causées entre autres par la dissolution).
« Ces couches de roches sédimentaires constituent une excellente horloge terrestre car elles contiennent une grande variété de fossiles végétaux et animaux. L’épaisseur de cette plate-forme varie de 100 à 250 mètres pouvant atteindre 750 mètres dans le secteur de la rivière Richelieu. Plus au nord, les épaisseurs peuvent atteindre jusqu’à 2500 mètres. »1
Les provinces géologiques du Québec
http://www2.ggl.ulaval.ca/personnel/bourque/s5/5.2.jpg
Les assises des BTSL sont donc antérieures à la formation des Appalaches mais plus jeunes que le Bouclier canadien.
Les collines montérégiennes
Les collines montérégiennes sont indissociables du paysage des BTSL. Bien que présentes aussi dans les Appalaches, la physiographie du paysage en fait des phénomènes beaucoup plus discrets.
On connaît très mal l’histoire géologique du Québec au cours des derniers 2 millions d’années (connus comme étant le Grand Âge Glaciaire) car une vingtaine de glaciations ont transformé fortement le paysage. « En Amérique du Nord, on reconnaît quatre périodes distinctes de glaciation, chacune portant un nom, tout comme les stades interglaciaires les séparant. Ces périodes ont leur pendant en Eurasie où elles portent des noms différents. »2
La plus récente période glaciaire a été nommée Le Glaciaire Wisconsinien. Cette dernière glaciation s’est étendue sur une période d’environ 70 000 ans pour se terminer il y a à peine 6000 ans.
La violence de l’érosion est l’une des principales conséquences du passage des glaciers. Ce décapage a entraîné une perte importante d’informations sur les phénomènes de cette époque. Par contre, cette érosion a permis la mise à nu de roches intrusives (plutons et dykes). L’érosion différentielle s’appliquant sur des roches de différentes résistances a permis aux roches ignées intrusives (constituant les montérégiennes) très dures de mieux résister à l’érosion glaciaire que les roches sédimentaires encaissantes constituant les anciens fonds marins de l’océan Iapétus. Les géologues estiment que cette suite de poussées magmatiques serait due à un point chaud situé à plus de 700 km à l’intérieur du manteau. Le déplacement de la plaque tectonique de ce qui deviendra l’Amérique du Nord explique le décalage des dix montérégiennes.
La carte nous indique que sept des dix montérégiennes québécoises sont intimement liées aux BTSL.
Le fleuve Saint-Laurent
Géologiquement, les premières traces du fleuve Saint-Laurent apparaissent lors du démantèlement du supercontinent Rodinia (Hocq et al, 1994) il y a plus d’un milliard d’années. Une série de failles sont créées dans l’axe du futur fleuve. Beaucoup plus récemment, lors de la dernière glaciation dite de Wisconsin, l’inlandsis laurentidien (calotte glaciaire) recouvre une bonne partie du continent nord-américain. Le réchauffement climatique intervenu il y a environ 12 000 ans (Bourque, 2010). La fonte des glaces et le ‘‘recul’’ des glaciers laisse place à une masse d’eau appelée « mer de Champlain ».
La mer de Champlain
Le poids immense des glaces a eu pour effet de déprimer le bouclier et lors de la fonte de celles-ci une importante quantité d’eau a occupé ce territoire. On estime que cette étendue d’eau a existé pendant environ 2500 ans. La mer de Champlain doit sa disparition au relèvement isostatique du continent. Cependant, la durée de recouvrement de la mer a permis des dépôts de sédiments provenant de l’érosion produite par la glace sur la roche du bouclier.
Les types de sols
Le poids d’une masse de glace d’environ 3 km d’épaisseur qui se déplace de quelques centimètres à chaque jour a un effet dévastateur sur le paysage en plus de l’écraser. Les signes de l’érosion causée par le déplacement sont omniprésents dans le paysage. On retrouve des débris rocheux de toutes tailles arrachés lors du passage du glacier. Ceux-ci sont constitués en moraines de type frontal, latéral et de fond. Ils sont identifiés comme étant des tills, des argiles, des sables, des graviers et des dépôts organiques.
Tills glaciaires
Filion décrit le till :
Le till résulte de l’érosion glaciaire et a été abandonné sur le sous-sol rocheux. Sur les grès, au sud, il est souvent trop mince, trop pierreux ou sableux, et incultivable; vers le Saint-Laurent, sur les dolomies, les calcaires et les shales, il est plus épais, plus argileux et plus fertile.3
Argiles
Les argiles, matériaux de très petite taille sont :
Les argiles sont marines, lacustres ou fluviales. Les argiles marines, constituées du matériel fin résultant de l’érosion glaciaire et remanié par la mer, ont colmaté les dépressions et vallées préglaciaires et peuvent dépasser 50 mètres d’épaisseur. Quant aux argiles lacustres et fluviales, elles ont été déposées sur l'argile marine lors des derniers épisodes de l’émersion des terres.4
Combinés à l’eau salée, d’importants dépôts d’argiles marines ont vu le jour. Les terres relativement peu fertiles faibles en contenus organiques des BTSL sont constituées de ces argiles.
Les sables et les graviers résultent de l’accumulation de débris charriés sur des distances plus ou moins longues sur les anciennes plages qui se sont succédé au cours du relèvement du continent.
Extension maximale des glaces lors du wisconsinien : https://monurl.ca/wiscons
Extension maximale de la mer de Champlain : https://monurl.ca/btslchamplain ; https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Champlain_Sea.png, CC BY-SA 3.0 ; https://commons.wikimedia.org/w/index. php?curid=145612798
Le fleuve Saint-Laurent
Le Saint-Laurent est au cœur de la colonisation du territoire québécois. La porte d’entrée du continent nord-américain, longtemps vue comme un passage prometteur vers les Indes. Il semblerait que Champlain ait produit une carte du territoire oriental de ce qui allait devenir le Canada, mais ce document n’a jamais été retrouvé. Marc Lescarbot a produit le premier document cartographique qui nous soit parvenu. Cette carte dessinée avec les moyens de l’époque impressionne par ses nombreux détails et nous illustre l’importance du fleuve pour la colonisation du territoire.
Marc Lescarbot, 1609, Archives nationales du Québec : https://monurl.ca/lescarbot1609
Le fleuve prend naissance en aval de l’exutoire du dernier Grand Lac, le lac Ontario. Il draine un territoire de près 1 600 000 km2. Les chiffres varient d’un auteur à l’autre concernant les quantités d’eau douce contenue dans le bassin Saint-Laurent-Grands Lacs. Ceux-ci oscillent entre 18 et 25 % des réserves mondiales. Au Québec, ses principaux affluents sont :
- la rivière des Outaouais (2 100 m3/s) ;
- la rivière Saint-Maurice (663 m3/s) ;
- la rivière Richelieu (355 m3/s) ;
- la rivière Saint-François (190 m3/s) ;
- la rivière Chaudière (109 m3/s) ;
- la rivière Yamaska (87 m3/s) ;
- la rivière Saint-Charles ;
- la rivière Jacques-Cartier ;
- le Fjord du Saguenay (1 460 m3/s) ;
- la rivière Manicouagan (877 m3/s) ;
- la rivière aux Outardes (391 m3/s) ;
- la rivière Betsiamites (323 m3/s).5
Ces cours d’eau ont constitué autant d’attraits pour la colonisation et l’installation permanente de nouveaux arrivants.
Le climat
Les réserves d’eau abondantes nécessitent un climat humide. La région Saint-Laurent-Grands Lacs bénéficie d’un climat continental humide (Dfb selon la classification de Koppen) caractérisé par une saison d’été relativement chaude (juillet : moyenne de juillet 20-22 degrés) et une saison hivernale froide, parfois très froide (moyenne de janvier -10 degrés). Ces moyennes sont valables pour les BTSL. Quant aux précipitations, elles varient de 900 à 1200 mm annuellement réparties assez également au cours de l’année.
Par Adam Peterson — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://monurl.ca/climkoppen ; https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=50647632
La végétation
Si le climat a relativement peu changé depuis deux siècles (les changements climatiques sont trop récents pour tirer des conclusions valables (Note de l’auteur)), on ne peut en dire de même pour la végétation. Les zones végétatives restent les mêmes malgré les modifications anthropiques de l’occupation du territoire. L’utilisation de ce dernier a transformé complètement le sud du Québec, le faisant passer de zone forestière à zone agricole intensive.
Paysages régionaux
Le Québec méridional est subdivisé en 153 unités de paysages distincts. Robitaille et Saucier (1998) ont dirigé une étude révélatrice à ce sujet.
Les facteurs écologiques retenus sont :
- la géologie ;
- les dépôts ;
- de surface ;
- le relief ;
- l’altitude ;
- l’hydrologie ;
- le bioclimat.
Deux paysages régionaux occupent la région d’étude, soient celle de Montréal et celle de Saint-Jean-sur-Richelieu.
Paysage de Montréal
La région de Montréal comprend la ville du même nom, mais surtout une bonne partie de la Rive-Sud jusqu’au lac Saint-Pierre, incluant la rive gauche du Richelieu. Cette plaine de basse altitude de 38m de moyenne n’est ponctuée que des collines d’Oka (montérégienne)et de la montagne de Rigaud qui n’est pas une montérégienne car beaucoup plus âgée (plus de 550M d’années) et du mont Royal.6
Les calcaires de l’ancien fond marin de l’océan Iapetus constituent les assises qui sont recouvertes de till épais. Le fleuve Saint-Laurent domine nettement la région et l’archipel de Montréal de plus d’une quarantaine d’îles. Le Saint-Laurent s’élargit par endroits pour former les lacs Saint-François, des Deux-Montagnes et Saint-Pierre. Les rivières des Outaouais et Richelieu occupent les bordures ouest et sud du territoire. La saison de croissance compte de 180 à 190 jours et les précipitations avoisinent les 1000 mm.
Paysage de Saint-Jean-sur-Richelieu
La région du même nom se situe au sud de la région de Montréal. Assise sur les calcaires qui ont été poussés à la surface lors de la fermeture d’Iapetus, on y retrouve aussi les intrusions de magma qui constituent certaines montérégiennes dont Saint-Grégoire, Saint-Bruno, Saint-Hilaire, Rougemont et Yamaska. Du till glaciaire épais recouvre la majeure partie du territoire et des dépôts organiques (terre noire) se retrouvent dans la partie sud. Le fleuve Saint-Laurent et la rivière Richelieu et la partie nord du lac Champlain (territoire québécois) constituent les éléments hydrologiques les plus importants de ce paysage. La plaine occupe ce territoire avec une altitude moyenne de 58 m et une pente avoisinant 1 %. On y retrouve le climat le plus doux au Québec comptant de 190 à 200 jours de saison de croissance accompagnés de précipitations d’environ 1000 mm annuellement.
Les premiers observateurs du territoire
Plusieurs documents historiques font référence à l’arrivée de Jacques Cartier en terre d’Amérique du Nord. En son temps, Samuel de Champlain a entraîné un peuplement définitif d’Européens de France et d’ailleurs sur le territoire. Champlain a fait une description sommaire de ses observations pour le bénéfice du roi de France dans le but de favoriser des crédits pour la nouvelle colonie.
Pehr Kalm
Tout juste avant la conquête, Pehr Kalm, un naturaliste généraliste suédois, élève d’Anders Celsius et de Carl Linné7 fut choisi pour effectuer en 1748 et 1749 une expédition en Amérique du Nord afin de colliger des informations utiles à l’agriculture suédoise. Le climat du Canada étant semblable à celui de la Suède, son mandat fut de porter attention à cette région. Kalm put explorer le territoire québécois de la Nouvelle-France avec le concours des autorités locales au cours de l’été 1749. Sa description des BTSL s’avère être la première description connue relativement systématique du territoire.8 Jean-François Nadeau et Dave Noël (Le Devoir, 19 mai 2022) tracent un portrait de ce visiteur très intéressé aux cultures et à la culture des gens de l’époque.
Ses descriptions nous permettent d’en savoir davantage sur l’occupation du territoire dans les environs de Montréal sur les deux rives du fleuve. « … le pays présente partout la même physionomie, c’est-à-dire qu’il est partout plat, abaissé, sans nul signe de déclivités, ni de rochers. »9
Aux environs de Montréal, Kalm décrit les champs : « Les champs des environs sont vastes et plats, ensemencés en majeure partie en blé,… en pois et comportent aussi un peu d’avoine. »10
Kalm déplore le type de crus du fleuve Saint-Laurent.
[…] à l’inverse de ce qui se produit pour le Nil, dont les inondations fertilisent la terre, le Saint-Laurent cause plutôt des dégâts, car il apporte avec lui une masse d’herbe et de plantes dont les graines fournissent aux champs les plus mauvaises herbes qui soient et les endommagent.11
Ces descriptions du paysage constitueraient les premières de ce type du territoire connu à l’époque comme étant la Nouvelle-France.
La cartographie de Joseph Bouchette
La cartographie québécoise (Bas-Canada) est intimement liée à ses débuts à Joseph Bouchette.
Wikipedia le décrit comme suit :
Joseph Bouchette (né le 14 mai 1774 et mort le 8 avril 1841) est un arpenteur, géographe, cartographe et militaire canadien Arpenteur-général du Bas-Canada, il joue un rôle important dans l'histoire de la topographie de ce qui est aujourd'hui le Québec.12
Le dictionnaire biographique du Canada le décrit comme ayant eu une brillante carrière militaire. Il utilisera d’ailleurs ses faits d’armes pour justifier ses demandes de crédits. Ainsi : « Le 18 février 1814, Bouchette présente devant la chambre d’Assemblée, qui le renvoie à un comité spécial, son projet de réaliser une carte à grande échelle du Bas-Canada, accompagnée d’un dictionnaire topographique ; le 23 février, le comité dépose un rapport favorable.14
Ses talents d’arpenteurs lui permettront de produire un document, La Carte topographique de la Province du Bas-Canada.
Bouchette est un personnage controversé dans l’histoire du Canada pour ses prises de position en faveur de l’Acte d’Union.15
L’impression du document a pu bénéficier de la meilleure technique de l’époque.
De 1814 à 1816, Bouchette est à Londres pour faire imprimer sa carte dans un des meilleurs ateliers de l’époque, celui de William Fadden, géographe du Roi.16
Cette représentation s’avère particulièrement intéressante, « […] elle délimite de façon quasi géométrique, 55 années après la Conquête anglaise, l’occupation du territoire d’une part par les ‘‘Canadiens’’ d’origine française, et d’autre part, par les Anglais. »17
Carte topographique de la province du Bas-Canada, feuillet 9 : https://monurl.ca/enjeuxbouchette
L’échelle du document de Bouchette est 2 ¾ milles au pouce, soit 1/174240. Pour bien comprendre cette échelle, une comparaison avec un document moderne s’avère révélatrice.
Fond de carte satellitaire, © 2010 MDA Information Systems, USGS, NASA.
La carte topographique du sud du Québec à l’échelle de 1/250000, l’équivalent de la région encadrée en rouge est disponible à l’adresse suivante : https://libguides.biblio.usherbrooke.ca/ld.php?content_id=34283337
Cette échelle nous indique le sens de développement des terres agricoles.
Le rang entre paysage et patrimoine
Le roi de France désirant mettre en valeur les terres agricoles du nouveau monde doit offrir des conditions attractives et avantageuses pour attirer de nouveaux colons de France.
Un système original de tenure des terres (inventé et appliqué en Nouvelle-France pour la toute première fois) a été développé pour tenir compte de la réalité de la Nouvelle-France. Ce système qui avait pour but de mettre le fief (propriété seigneuriale) en valeur, priorisera les terres longues et étroites afin de permettre à un plus grand nombre d’avoir accès au cours d’eau (fronteau).
On peut lire dans l’encyclopédie canadienne : « Il trouve son origine dans les premiers défrichements en Nouvelle-France. Dès 1634, le Seigneur Robert Giffard en fait l'expérience sur la côte de Beaupré près de Québec. »18
Il est connu que le peuplement de la colonie se fait à partir du fleuve, seule voie de communication digne de ce nom. Ensuite on verra apparaître des seigneuries orientées en fonction de ses affluents.
Le rang comme marqueur identitaire
Le rang deviendra un marqueur identitaire pour distinguer les régimes français et britanniques. « Le rang est le modèle foncier de plus de 90 % des terres concédées dans la vallée du Saint-Laurent. Les seules exceptions dans cette vallée s’expliquent par l’ancienneté de la concession ou de contraintes physiques locales, comme le long des rivières. »19
Les Britanniques opteront pour le township ou canton et la concession exclusive de ceux-ci aux colons anglais occasionnera des frictions.
La carte ci-dessous, plan de la seigneurie Saint-Charles-de-Yamaska illustre la rivière Yamaska, le cadastre seigneurial, les chemins, le réseau hydrographique, le domaine, la dimension des lots et environ 20 noms de propriétaires (1832).20
On y voit clairement les rangs avec fronteaux sur la rivière Yamaska. Ce mode d’occupation du territoire permet à un maximum d’habitants d’avoir accès à un cours d’eau pour les raisons citées plus haut. La notion de rang simple ou double fera son apparition. Le rang permet une vie sociale marquée par l’étroitesse des lots (200 m par 2000 m). Les maisons des habitants y vivant sont relativement proches. Lorsque le concept de rang double apparaîtra, cette concentration se verra augmentée par la présence de maisons des deux côtés du chemin, les propriétés pouvant aussi se faire face. L’aspect sécuritaire relié à une plus forte présence d’individus sera apprécié de tous. Les chemins de rang prendront de plus en plus d’importance avec le temps car indispensables pour les échanges.
Plan de la seigneurie de Saint-Charles-de-Yamaska
https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3143218
Cette carte (1938) de la région de Verchères illustre clairement l’évolution du concept de rang.
https://monurl.ca/vercheres1938
Utilisation des sols sur les terres défrichées
Au début de la colonie, les premiers Européens arrivés ont défriché le plus rapidement possible les terres sur lesquelles ils vivaient afin de mettre en production des cultures de survivance.
Il appert que « les terres argileuses et humides permettront la culture du blé, dominante jusqu’au 19e siècle avec près de 60 % des terres cultivées, suivie par la culture des pois, laquelle occupera environ 15 % des terres. »21
Les mauvaises récoltes liées à un sol relativement pauvre en éléments organiques et leur surutilisation ont entraîné leur appauvrissement progressif.
Les mauvaises récoltes causées par l’appauvrissement du sol à la suite de la culture intensive du blé, jumelées à la concurrence des États-Unis et du Haut-Canada, amènent les agriculteurs de la région à réorienter leur production. Pour combler les importants besoins de foin pour les chevaux des habitants de la ville de New York et les besoins de l’industrie laitière de la région, plusieurs cultivateurs de la vallée du Richelieu s’orientent vers la culture des plantes fourragères, comme l’avoine.22
Liste des problèmes
Nous avons identifié une liste de neuf problèmes à caractères économiques pouvant faire partie de causes de la Rébellion. Cette liste n’est pas exhaustive.
- Conquête de 1763.
- Confinement de la population des Canadiens dans les seigneuries existantes par le conquérant.
- Augmentation de la population (multiplication par 2) pour la même surface.
- Surexploitation des terres par la culture du blé, monoculture qui épuise le sol, baisse des rendements.
- Pauvreté relative des sols composés essentiellement de dépôts glaciaires (till, argile, sables, graviers).
- Diminution des rendements par surexploitation et carence d’amendements.
- Diversification des cultures pour satisfaire la demande des États-Unis pour nourrir les chevaux (foin et avoine).
- Concurrence du Haut-Canada et des États-Unis.
- Pauvreté généralisée.
Par leur illustration de la diminution de la production de blé, les cartes suivantes de Greer et Robichaud en témoignent : https://monurl.ca/ble1831 ; https://monurl.ca/ble1844
Les descendants français sont confinés aux terres (seigneuries) déjà existantes et le conquérant anglais réserve le reste du territoire aux immigrants britanniques ou aux Loyalistes, authentiques ou non. Ce confinement doublé à une augmentation significative de la population aura pour conséquence un appauvrissement pécuniaire généralisé de la population. Tous ces facteurs engendreront un climat idéal pour en arriver aux événements de 1837.
Thèmes associés à cet article
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Cet article fait partie d’une série d’histoires parues initialement dans le magazine Enjeux de l’univers social de l’Association québécoise pour l’enseignement de l’univers social (AQEUS).