On ne veut pas le savoir, on veut le voir : l’engagement citoyen des élèves au secondaire

Dans cet article, l’autrice Marie-Laurence Tremblay s’interroge au sujet de l’influence qu’ont les cours d’histoire sur l’engagement citoyen des Ă©lèves.

Écrit par Marie-Laurence Tremblay

Mis en ligne le 5 juin 2024

Comme enseignante d’histoire au secondaire, j’ai observé un désintérêt des élèves pour la citoyenneté. Cette observation inquiétante est renforcée par une apolitisation croissante des jeunes et la diffusion rapide de la désinformation sur les médias sociaux qui augmente le risque de radicalisation (Fortier-Chouinard, 2021 ; Lemieux, 2019 ; Campana, 2018). Pourtant, l’éducation à la citoyenneté est une visée des cours d’histoire au secondaire (MELS, 2008 ; MELS, 2017). On souhaite développer des citoyens critiques capables de faire des choix éclairés (Gagnon, 2012) et des citoyens engagés conscients de leur collectivité et impliqués dans celle-ci (Landry, 2009 ; Ladrière et al., S.d.). Or, est-ce le cas ? Il est primordial de s’inquiéter de l’influence des cours d’histoire sur l’engagement citoyen des élèves.

Nous avons rencontré cinq groupes de quatre élèves de 5e secondaire (n=20) pour connaître le sens qu’ils donnent à leur engagement citoyen et le rapport du cours d’histoire dans celui-ci. Mais, il ne nous suffisait pas de discuter avec eux, nous voulions aussi constater leur engagement citoyen dans l’action. C’est pourquoi les élèves ont aussi participé à des débats pour voir s’ils mettaient en pratique ce qu’ils disaient.

L’engagement citoyen des élèves et le rapport du cours d’histoire

Les types de citoyennetés

Il est possible de mesurer l’engagement citoyen par quelques outils théoriques. D’abord, il existe des typologies de citoyenneté pour définir vers quelles valeurs la citoyenneté tend. Nous utilisons pour cet article la fusion de quatre modèles théoriques, celui de Galichet (2003), Westheimer (2020), Sears (2014) et Pagé (2001). Nous regroupons donc cinq types de citoyennetés :

  1. Social-communautaire : Axé sur l’aide aux autres ;
  2. Libéral : Valorise la liberté individuelle et l’économie ;
  3. Politique-participatif : Se concentre sur l’engagement politique ;
  4. Justicier social : Vise la justice et l’égalité ;
  5. Nationaliste : Met l’accent sur l’appartenance culturelle ou ethnique.

Lors des discussions avec les élèves, tous les types de citoyennetés ressortent. Ils souhaiteraient être, des justiciers sociaux en faisant valoir leur opinion, des citoyens sociaux-communautaires en aidant leur prochain, des citoyens politiques en votant et en respectant les lois, des citoyens libéraux en payant leurs impôts et ils démontrent un côté nationaliste en montrant un attachement à l’identité québécoise et à sa langue.

Lorsqu’on met les élèves en action, le type libéral et nationaliste sont évoqués plus fréquemment et ils sont à l’issue de tous les débats. Pour le débat : pour ou contre le bénévolat obligatoire au secondaire, aucun groupe n’a opté pour l’aide social-communautaire. Ils ne souhaitaient pas donner du temps personnel sur lequel ils peuvent effectuer un travail rémunéré. Ils proposent donc des alternatives plus libérales pour protéger leur temps personnel. En ce qui concerne le débat pour ou contre la motoneige récréative, aucun groupe ne souhaite restreindre la motoneige. Pour eux, chacun est responsable de faire ce qu’il souhaite.

Les dommages environnementaux et les bris occasionnés par la motoneige ne sont pas assez significatifs pour augmenter la règlementation comparés aux gains économiques et au plaisir engendrés. Une réponse plutôt libérale. Dernièrement, le débat pour ou contre le français comme langue d’étude obligatoire au Québec. Plusieurs élèves y manifestent le désir de protéger la langue française au détriment des libertés culturelles et d’autres restent au contraire plus libéraux.

Le niveau d’engagement

Ensuite, pour mesurer le niveau d’engagement des élèves, nous avons utilisé l’échelle d’engagement de Royer (2018). Qui comprend trois paliers : le désengagé avoué, le spectateur qui est intéressé à la citoyenneté sans y poser d’action, et le jeune engagé. Il faut mentionner que les élèves qui ont participé étaient d’abord volontaires, il est donc plus difficile d’observer des comportements complètement désengagés. Lors des discussions, les élèves se montrent autant citoyens spectateurs que citoyens engagés. Ils le disent eux-mêmes, si ça ne les touche pas personnellement, ils ne souhaitent pas agir. Ils manifestent tout de même leur désir d’être informés et de voter plus tard.

Lors des débats, les élèves sont majoritairement citoyens spectateurs. Ils ne souhaitent pas s’ingérer ou prendre de décisions, un facteur du type libéral qui domine. C’est le débat sur l’obligation du français qui sollicite le plus l’engagement des élèves. Les élèves s’identifient fortement au récit national québécois et à ses héros traditionnels. « Mais jamais Paul Chevalier de Maisonneuve n’aurait voulu que Montréal soit anglophone. » (Élève A-1)

Les dimensions citoyennes

Dernièrement, pour qualifier l’engagement citoyen des élèves, Sears (2014) rapporte trois dimensions à la citoyenneté.

  1. Dimension cognitive oĂą le citoyen doit ĂŞtre en mesure de mobiliser des connaissances.
  2. Dimension active, où le citoyen mobilise des compétences liées au sens critique ou à l’autonomie.
  3. Dimension affective, où le citoyen prend en compte ses valeurs ou les valeurs de sa société.

Lors des discussions, les élèves mobilisent particulièrement la dimension cognitive. Ils sont fiers de justifier leurs réponses avec des faits. C’est lors des débats que la dimension affective prend le dessus, les élèves ont de la difficulté à prendre du recul sur leurs propres valeurs et leurs émotions, ils ponctuent toujours leurs discours de connaissances, mais la dimension active est peu présente. En effet, en discussion et dans les débats, les élèves mobilisent peu de compétences. Lors de débats plus enflammés, comme dans celui sur la langue française, les élèves ne prennent plus de recul face au récit national qu’ils ont appris.

Les cours d’histoire

Même si les cours d’histoire sont axés sur le développement par compétences : en s’approchant de la démarche scientifique des historiens, les élèves peuvent être plus critiques et faire des choix plus éclairés concernant leur citoyenneté (Doussot, 2020). Or, lorsque les élèves se sont mis en action dans les débats, très peu ont mis en place une démarche. Bien que dans nos conversations avec eux, ils rapportent les bienfaits des cours d’histoire sur le sens critique et l’ouverture à plusieurs perspectives, seulement quelques élèves ont utilisé les sources mises à disposition et lorsqu’ils le faisaient c’était pour appuyer leurs propres propos. Ce n’était pas pour envisager d’autres perspectives. Les élèves ont pris position avec leurs aprioris.

Conclusion

En conclusion, il existe un fossé entre ce que les élèves disent et ce qu’ils mettent réellement en pratique. Ils sont habitués à fournir des réponses auxquelles on s’attend. Or, pour évaluer réellement l’engagement citoyen, ce dernier doit être mis en pratique.

Marie-Laurence Tremblay est étudiante à la maîtrise à l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).

Cet article est apparu Ă  l'origine dans la revue Enjeux de l’univers social. La revue est publiĂ©e par l’Association quĂ©bĂ©coise pour l’enseignement en univers social (AQEUS).

L’association quĂ©bĂ©coise pour l’enseignement en univers social est une association qui regroupe au sein du mĂŞme regroupement autant ceux qui enseignent en univers social (primaire), qu’en histoire, en gĂ©ographie, en monde contemporain et en Ă©ducation financière (secondaire). Elle regroupe autant des enseignants que des conseillers pĂ©dagogiques, des enseignants du collĂ©gial, des didacticiens universitaires, des retraitĂ©s et des Ă©tudiants universitaires. Elle rĂ©pond ainsi au vĹ“u d’un grand nombre d’enseignants de retrouver sous la mĂŞme enseigne les disciplines et les programmes de l’univers social.


Références
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Fortier-Chouinard, A. (2021). Éducation Ă  la citoyennetĂ© et politisation des jeunes au QuĂ©bec : Perspectives d’enseignant⋅e⋅s. Revue des sciences de l’Ă©ducation, 46(3), 95‑124. https://doi.org/10.7202/1075989ar

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