Premières Nations, didactique de l’histoire et PFEQ : un enjeu épistémologique

Dans cet article, MĂ©dĂ©rick Potvin amorce une rĂ©flexion concernant la question de la dĂ©colonisation des savoirs en histoire et Ă  l’Ă©cole.

Écrit par Médérick Potvin

Mis en ligne le 3 mai 2022

Quiconque s’intéresse à l’histoire de l’éducation au Québec sait que les programmes ont connu de nombreuses transformations à travers le temps afin de s’adapter aux nouvelles percées pédagogiques, didactiques et disciplinaires.

Pour le cours d’histoire nationale, cela s’est fait dans une transition allant d’une histoire nationaliste traitant exclusivement de la perspective canadienne-française et visant à former de bons catholiques, vers un cours reconnaissant le caractère interprétatif de la discipline et soucieux de mieux représenter les réalités plurielles des groupes sociaux et culturels.

Il est bien évidemment impossible de toucher à tout en histoire, que ce soit dans l’exercice de la discipline ou dans son enseignement. Mais quel est l’impact des cours d’histoire sur les personnes qui ne sont pas issues de la majorité d’ascendance canadienne-française ?

Dans le cadre scolaire, la perspective de la majorité l’emporte souvent sur le reste. Pour les Premières Nations, cela est d’autant moins anodin puisque leur présence sur le territoire précède de loin toutes les autres nations et cultures. Et il va sans dire, les États-nations dans lesquels elles vivent aujourd’hui se sont construits à leurs dépens.

Le présent article se base sur une série d’entretiens non directifs auprès de neuf répondants adultes, ayant fait leurs études postsecondaires et issus des nations innue et atikamekw. Il s’agit d’une étude exploratoire cherchant à documenter la conscience historique de personnes issues de communautés innues et atikamekws, à offrir une réflexion critique quant aux modèles de conscience historique existants en didactique de l’histoire, mais aussi à réfléchir aux limites des programmes d’histoire tels que conçus par le ministère de l’Éducation du Québec.

Le tout, grâce à l’aide du centre Nikanité et du Centre d’amitié autochtone de Chicoutimi1. Mentionnons que sans leur précieuse collaboration et leur confiance, un tel projet aurait été impossible. Cet article vise non seulement à vous présenter les résultats de cette recherche, mais aussi à amorcer une réflexion concernant la question de la décolonisation des savoirs en histoire et à l’école.

Le PFEQ, la didactique de l’histoire et les savoirs autochtones

Avant de plonger dans les rĂ©sultats de recherche, il importe de jeter quelques bases, c’est-Ă -dire les fondements Ă©pistĂ©mologiques du programme par compĂ©tences d’histoire nationale ; les notions de pensĂ©e et de conscience historique ; et la relation au passĂ© des apprenants issus de nations autochtones.  

Tout d’abord, il faut préciser que les mutations connues à travers le temps par les programmes d’histoire au Québec s’inscrivent dans un contexte épistémologique qui dépasse le monde de l’éducation. En effet, les différents programmes suivent de près ou de loin l’évolution de la discipline historienne elle-même.

Comme le mentionne Dumont (2014, p. 17), l’histoire « a Ă©tĂ© tour Ă  tour rĂ©cit, discours, chroniques, explication, dĂ©monstration », se complexifiant et adoptant initialement un discours critique envers les sources qu’elle utilise et plus tard se critiquant elle-mĂŞme comme discipline. Partant du paradigme positiviste du XIXe siècle, l’histoire moderne est maintenant bien consciente de sa part de subjectivitĂ© (Dumont 2014).

Malgré les changements à travers le temps, l’histoire demeure tout de même une recherche de la vérité, une recherche de sens. Cette recherche se fait à travers différentes représentations du passé, constituées à l’aide des traces laissées et de la méthode historienne. C’est cette dernière qui confère à la discipline historique son caractère scientifique et la distingue des autres récits portant sur le passé (Martineau, 2010).

Pas qu’un simple conteur, l’historien moderne pousse son rĂ©cit plus loin : il ne se contente pas de relater des faits, il les interprète et cherche ainsi Ă  expliquer le passĂ© (Martineau, 2010) tout en tentant de comprendre les valeurs et motivations d’une Ă©poque (l’empathie historique).

L’histoire n’est donc pas le simple cadre de référence d’une collectivité, elle est plutôt un processus de pensée critique qui nous aide à nous libérer de la tyrannie du moment présent en le mettant en perspective avec notre passé (Dumont, 2014 ; Martineau 2010).

Mis au service de l’unitĂ© nationale Ă  partir du 19e siècle et jusqu’aux annĂ©es 1960, l’enseignement de l’histoire se tournera peu Ă  peu vers une logique d’enseignement citoyen dans les dĂ©cennies suivantes, permettant aux Ă©lèves de se familiariser de plus en plus Ă  la discipline historienne.

LĂ  oĂą les apprenants se contentaient d’apprendre par cĹ“ur un rĂ©cit, ils doivent maintenant apprendre Ă  l’aide des bases de la pensĂ©e historienne (Cardin 2005) ; Dumont, 2014 ; Martineau, 2010). En parallèle, le contenu de la matière n’est plus considĂ©rĂ© comme une fin en soi. Il vise le dĂ©veloppement de compĂ©tences (Cardin, 2005), qui permettront Ă  terme d’atteindre les visĂ©es du programme qui sont :

  • Amener les Ă©lèves Ă  comprendre le prĂ©sent Ă  la lumière du passé ; (MELS 2007)
  • PrĂ©parer les Ă©lèves Ă  participer de façon responsable, en tant que citoyen.ne., Ă  la dĂ©libĂ©ration, aux choix de sociĂ©tĂ© et au vivre-ensemble dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, pluraliste et ouverte sur un monde complexe. (MELS, 2007)

En résumé, l’histoire se doit d’outiller les élèves dans leur rôle de futur.e.s citoyen.ne.s, en leur fournissant les outils critiques nécessaires issus de la méthode historienne.

Ce caractère citoyen Ă  la formation en histoire fait des cours un Ă©lĂ©ment clĂ© dans la dĂ©marche de rĂ©paration et de rĂ©conciliation entre Autochtones et Allochtones. Il suffit de regarder du cĂ´tĂ© de la Commission de vĂ©ritĂ© et rĂ©conciliation de 2015, qui formule de nombreuses recommandations en ce sens. Du nombre, mentionnons :

  • Recommandation 4 : La Commission recommande que chaque gouvernement provincial et territorial procède Ă  un examen des programmes d’études actuellement offerts dans les Ă©coles publiques afin de dĂ©terminer, le cas Ă©chĂ©ant, ce qu’ils enseignent au sujet des pensionnats indiens.
  • Recommandation 5 : La Commission recommande que les ministères provinciaux et territoriaux de l’Éducation travaillent de concert avec la Commission afin d’élaborer, Ă  l’intention des Ă©coles publiques, du matĂ©riel didactique relatif aux pensionnats indiens adaptĂ© Ă  l’âge de l’élève.
  • Recommandation 6 : La Commission recommande que chaque gouvernement provincial et territorial Ă©labore, de concert avec la Commission, des campagnes de sensibilisation visant Ă  instruire le grand public Ă  propos de l’histoire des pensionnats indiens et de leurs sĂ©quelles sur leur territoire (Commission de vĂ©ritĂ© et rĂ©conciliation du Canada 2015:134)

S’il n’existe aucune garantie quant à l’application des recommandations de la commission, la place réservée aux pensionnats indiens dans le nouveau programme d’histoire du Québec et du Canada semble témoigner de l’écho du rapport.

Mais si, à première vue, l’intention d’offrir un cursus faisant une plus grande place aux Premières Nations au sein de l’enseignement de l’histoire du Québec et du Canada est en soi louable, nous croyons ici qu’il est nécessaire de faire la lumière sur le rapport trouble qui existe entre la didactique de l’histoire telle que conçue en Occident et les savoirs autochtones.

En didactique de l’histoire, lorsque l’on s’intéresse à la relation au passé des apprenants, on se réfère généralement à la conscience historique. Si les définitions de ce concept abondent, il est possible d’esquisser une définition sur laquelle la majorité des didacticiens s’entendent. Selon (Gadamer 1963), la conscience historique est le comportement qui pousse l’être humain à interpréter le passé pour comprendre le présent et envisager le futur.

Elle est Ă  diffĂ©rencier de la pensĂ©e historique qui, elle, consiste en « un processus, une suite d’opĂ©rations propre Ă  l’histoire dont l’objectif est l’interprĂ©tation du passé » (Duquette 2011) p. 20). Concrètement, la pensĂ©e historique correspond Ă  une forme de pensĂ©e critique, ou de mĂ©thode propre Ă  la discipline historique.

Autrement dit, user de pensĂ©e historique, c’est ĂŞtre capable de faire de l’histoire, de faire une interprĂ©tation critique du passĂ© tout en Ă©vitant le prĂ©sentisme dans son analyse2 (Duquette, 2011 ; (Seixas 2006). La conscience historique, pour sa part, est le positionnement de l’individu par rapport au temps (Duquette, 2011 ; (RĂĽsen 2004).

Pour Duquette (2011), lorsque l’individu use de la pensée historique pour interpréter le passé, il développe une conscience historique réflexive, c’est-à-dire qu’il est à même de porter un regard critique sur ses interprétations du passé. Ce sont là des conceptions importantes en didactique de l’histoire, qui sont ancrées dans les pratiques de la discipline historienne et qui trouvent écho dans le PFEQ.

En parallèle, la relation au passé et aux savoirs chez les Premières Nations découle d’une tradition épistémologique qui leur est propre. Marker (2011) la définit par ce qu’il appelle les quatre chemins vers la montagne.

  1. La nature circulaire du temps — En Occident, le temps est conçu de manière linĂ©aire, suivant une certaine progression au fil des Ă©vènements. Chez les Premières Nations, le temps ne possède pas cette nature, il est plutĂ´t circulaire. Se basant sur les travaux du linguiste Whorf (1997) auprès des Hopis en AmĂ©rique du Sud, Marker dĂ©crit leur conception du temps comme « a spiralling of events and themes that appear and reappear within circles of seasons » [« une spirale d’évènements et de thèmes qui apparaissent et rĂ©apparaissent dans des cercles de saisons »] (Marker 2011. p. 100), oĂą les Ă©vènements font Ă©cho au passĂ© et transcendent les Ă©poques et les annĂ©es (Marker 2011).
  2. La relation avec le territoire et les non-humains â€” Le territoire et les non-humains jouent un rĂ´le Ă©gal Ă  l’action humaine et sont parfois dotĂ©s d’une agentivitĂ©. Cela s’inscrit en Ă©quation avec le rapport spirituel que ces cultures entretiennent avec le territoire ainsi qu’avec la faune et la flore. Il s’agit d’une diffĂ©rence marquĂ©e avec la conception occidentale de l’histoire, oĂą les humains sont les seuls acteurs dotĂ©s d’agentivitĂ©.
  3. La relation de l’histoire avec le territoire ancestral â€” L’histoire implique toujours des choix d’échelles. Pour les Premières Nations, l’accent est mis sur le local. Il ne faut pas croire ici que celles-ci ne s’intĂ©ressent pas aux Ă©vènements historiques de grande Ă©chelle, mais simplement que l’angle d’entrĂ©e se fera toujours en lien avec l’impact sur la communautĂ© et le territoire ancestral. Ă€ cela se combine le savoir traditionnel servant d’allĂ©gorie afin de comprendre d’oĂą ils viennent et pourquoi les choses sont telles qu’elles le sont.
  4. La colonisation et ses consĂ©quences â€” Des siècles de colonisation ont naturellement laissĂ© des marques chez les populations autochtones, et leur rapport au passĂ© n’y a pas Ă©chappĂ©. Il est important de comprendre que la colonisation n’avait pas seulement comme objectif de chasser les Premières Nations des terres, elle visait Ă©galement Ă  assimiler ces populations, Ă  dĂ©truire leurs cultures et leurs modes de vie, car jugĂ©s moins civilisĂ©s que le mode de vie europĂ©en (Marker 2011). Devant les dĂ©fis posĂ©s par la colonisation, les populations autochtones ont adoptĂ© des stratĂ©gies diverses et nuancĂ©es Ă  travers le temps, parfois en rĂ©sistant et parfois en s’adaptant Ă  cette nouvelle rĂ©alitĂ© en faisant leurs certaines croyances ou pratiques des colonisateurs.

Si ces pistes Ă©pistĂ©mologiques soulevĂ©es par Marker (2011) sont intĂ©ressantes afin de comprendre la relation au passĂ© et Ă  l’histoire chez les Premières Nations, il faut toujours ĂŞtre prudent avec ce genre de gĂ©nĂ©ralisation, car les cultures autochtones ne sont pas uniformes. Au QuĂ©bec seulement, il existe 11 nations autochtones avec des histoires et cultures distinctes3.

Néanmoins, la réflexion de Marker (2011) a notamment le mérite de soulever le problème de compatibilité entre la pensée historique telle qu’on la conçoit actuellement en Occident et la relation au savoir chez les Premières Nations.

Un autre élément à prendre en considération quant au rapport au passé chez les Premiers Peuples est sans doute l’importance de la tradition orale (Nabokov 2002). Si toutes les cultures usent plus ou moins de l’oralité comme outil de transmission, et ce, malgré la présence de l’écriture, l’importance du premier par rapport au second varie grandement d’un peuple à l’autre.

Et, si en Occident, l’écrit occupe une place centrale, chez les Premières Nations, c’est loin d’être le cas (Marker 2011 ; Nabokov 2002 ; Vincent 2003). Cela fait en sorte que l’histoire telle que conçue chez les Premiers Peuples se base non sur les sources Ă©crites, mais plutĂ´t sur la transmission orale.

L’historiographie occidentale est traditionnellement méfiante vis-à-vis des supports oraux, les jugeant beaucoup moins fiables que l’écrit puisqu’ils dépendent de la mémoire, prompte à oublier des faits. Mais aussi parce que la mémoire tend à avoir un regard contemporain sur les évènements qu’elle relate (Vincent 2003).

Pourtant, comme le souligne Vincent (2003), ces problèmes auxquels la mémoire est confrontée n’épargnent pas non plus les sources écrites. En effet, nombreux sont les documents écrits à disparaitre dans le temps. Quant au regard contemporain, n’est-ce pas là un enjeu transcendant la discipline historique ?

De plus, à l’inverse des récits oraux occidentaux, la tradition autochtone use de ses propres critères de fiabilité lorsque vient le temps de transmettre un récit d’une génération à l’autre.4

Mais quelles peuvent être sur les apprenants les conséquences d’une telle distance entre les conceptions autochtones et à l’Occidentale du passé ? Si l’on se réfère à Wertsch (2000) et son étude en Estonie postsoviétique portant sur des apprenants ayant suivi leur cours d’histoire à l’époque de l’URSS, ceux issus de minorités auraient tendance à repousser le récit qu’on leur présente à l’école et à se référer plutôt à leur propre narratif du passé (Wertsch, 2000), ce qu’il appelle le « knowing but not believing » [« savoir, mais ne pas croire »].

De là, étudier la conscience historique des apprenants autochtones vis-à-vis du programme nous semble d’autant plus pertinent afin de constater s’il est possible d’observer un parallèle ici.

RĂ©sultats et constats

Les entretiens de recherche ont été analysés en fonction des modèles didactiques présentés plus haut. L’un des éléments majeurs que nous avons pu observer dans le cadre de cette étude exploratoire est sans doute la grande distance entre le récit tel que proposé par le PFEQ et celui des répondants.

Ces diffĂ©rences se manifestent Ă  diffĂ©rents niveaux. En premier lieu, il y a la question de perspective gĂ©ographique du rĂ©cit (voir la figure 1), oĂą aucun rĂ©pondant n’a identifiĂ© l’État-nation comme théâtre du passĂ©. La plupart se rĂ©fèrent plutĂ´t Ă  leur territoire ancestral, ou Ă  des repères gĂ©ographiques plus larges tels que l’Île de la Tortue.

Il s’agit d’une différence marquée avec le programme de deuxième cycle du secondaire qui, du fait des contenus le composant, est définitivement ancré dans une logique d’État-nation.

Une autre diffĂ©rence importante se trouve au niveau de la critique de sources. Pour une vaste majoritĂ© de rĂ©pondants, la transmission des savoirs Ă  l’oral est mĂŞme la voie royale pour comprendre le passĂ© (voir la figure 2). Pour les rĂ©pondants, cette confiance repose sur un processus de validation profondĂ©ment ancrĂ© dans la tradition orale.

Pourtant centraux dans le rapport au passé chez les Premières Nations et reconnus comme source crédible par les tribunaux canadiens (voir l’arrêt Delgamuuckw de 1997), la tradition orale et ses critères de validation sont absents du programme. Une absence qui visiblement contribue au sentiment d’aliénation vécu par les répondants.

En effet, beaucoup parlent d’une histoire telle que conçue par les non-Autochtones — soit celle issue des livres scolaires, des livres d’histoire et de l’école — versus l’histoire et les savoirs issus de leur communautĂ© qui s’avère très diffĂ©rente de ce qu’ils avaient Ă  apprendre Ă  l’école (voir la figure 3 oĂą les rĂ©pondants devaient noter sur 5 la diffĂ©rence perçue entre les deux, 5 Ă©tant une diffĂ©rence marquĂ©e et 1 Ă©tant très similaire).

Bien sûr, de telles observations amènent également à s’interroger sur la relation des répondants avec les programmes d’histoire. Si le phénomène du « knowing but not believing » tel que formulé par Wertsch (2000) semble se matérialiser partiellement, le problème est pourtant plus profond.

En effet, dans l’étude réalisée par Wertsch (2000), la distanciation des participants par rapport au récit vu dans leur cours d’histoire découlait surtout du décalage entre le contenu notionnel et l’identité nationale des apprenants. L’Estonie et l’URSS se basant toutes deux sur une tradition écrite, il n’était pas question de paradigmes épistémologiques entrant en opposition comme dans le cas présent.

Ici, au-delà des questions de contenu, les répondants se sentent incompris par l’histoire telle que vue en classe, ou ont l’impression que le cours d’histoire délégitimise le vécu de leur communauté.

Cela signifie qu’il ne suffit pas d’intégrer de plus en plus de contenu concernant les cultures autochtones d’une itération du PFEQ à une autre, puisque l’enjeu est également épistémologique. Pour résumer, il semblerait que la véritable question ici n’est pas de savoir si nous parlons trop ou trop peu des Premières Nations en classe, mais plutôt si nous en parlons correctement (Campeau 2010).

Nous sommes d’avis qu’une partie de la solution repose sur la décolonisation des savoirs ; (Battiste 2019) offre des réflexions intéressantes en ce sens.

En effet, pour Battiste (2019), la décolonisation du curriculum passe par une intégration de la « Indigenous way of knowing » [« manière indigène de savoir »], ce qui permettrait à la fois aux élèves autochtones de se reconnaitre dans l’école, tout en rendant les autres élèves plus familiers aux cultures des Premières Nations.

Par cette « manière indigène de savoir », Battiste (2019) entend une approche de l’apprentissage qui est à la fois holistique, centrée sur la communauté et plus particulièrement sur la sagesse des Aînés, ancrée dans l’expérience de la nature, mais, surtout, qui prend en compte la spiritualité humaine dans le processus d’apprentissage chez l’individu.

Battiste (2019) signale l’importance de ne pas confondre la spiritualitĂ© autochtone avec la religion, car il s’agit plutĂ´t de la recherche du « inner knowledge that came from the connections [First Nations] had made with those physical and metaphysical elements in their territories » [« la connaissance intĂ©rieure qui provenait des liens que les [Premières nations] avaient Ă©tablis avec les Ă©lĂ©ments physiques et mĂ©taphysiques de leurs territoires » ] (Battiste, 2019, p. 174), qui est au cĹ“ur mĂŞme du rapport au savoir dans l’épistĂ©mologie autochtone.

Conclusion

Deux grands constats semblent s’imposer. Le premier se situe au niveau de la conscience historique des répondants et comment cette dernière s’accorde ou non avec les théories didactiques existantes. Le second porte sur la relation entretenue par les répondants avec l’histoire telle que présentée à l’école.

En ce qui concerne la conscience historique des répondants, nos participants confirment la distance théorique entre la conception occidentale du passé et la conception des Premières Nations qu’ont observée certains auteurs. Cela n’est pas sans conséquence pour les apprenants autochtones, puisqu’ils doivent vivre avec un programme qui n’est pas adapté à la réalité épistémologique associée à leur culture.

Nous savons que les répondants de la présente étude se sont sentis aliénés face à l’histoire apprise en classe, et qu’une partie de la solution consiste à faire une place au « way of knowing » des Premières Nations. La question est maintenant de savoir comment mettre en place un tel programme.

Il n’y a pas de réponse facile ici, puisque c’est tout un travail d’introspection vis-à-vis notre propre rapport au savoir, à l’éducation et à la décolonisation du cursus qui s’annonce. Soulignons d’ailleurs que c’est un projet qui dépasse le champ de la didactique de l’histoire.

Dans une société confrontée à de nombreux défis tels que le racisme, la crise environnementale et la préservation de la démocratie, ouvrir notre curriculum à d’autres approches aux savoirs nous permettrait non seulement de mieux comprendre le monde qui nous entoure, mais aussi de porter un regard nouveau sur nous-mêmes. Il s’agit là d’une occasion qui est non seulement inestimable, mais nécessaire.

MĂ©dĂ©rick Potvin est collaborateur au Service national du RÉCIT du domaine de l’univers social.

Cet article est apparu Ă  l'origine dans la revue Enjeux de l’univers social, volume 17, numĂ©ro 1, printemps-Ă©tĂ© 2021, p. 41-44. La revue est publiĂ©e par l’Association quĂ©bĂ©coise pour l’enseignement en univers social (AQEUS). 

L’association quĂ©bĂ©coise pour l’enseignement en univers social est une association qui regroupe au sein du mĂŞme regroupement autant ceux qui enseignent en univers social (primaire), qu’en histoire, en gĂ©ographie, en monde contemporain et en Ă©ducation financière (secondaire). Elle regroupe autant des enseignants que des conseillers pĂ©dagogiques, des enseignants du collĂ©gial, des didacticiens universitaires, des retraitĂ©s et des Ă©tudiants universitaires. Elle rĂ©pond ainsi au vĹ“u d’un grand nombre d’enseignants de retrouver sous la mĂŞme enseigne les disciplines et les programmes de l’univers social.


Notes

1. http://nikanite.uqac.ca/ et https://www.caasaguenay.ca/

2. ĂŠtre capable de comprendre le contexte social, culturel, intellectuel et Ă©motionnel d’une Ă©poque, c’est ce qu’on appelle faire preuve d’empathie historique

3. Selon le SecrĂ©tariat aux affaires autochtones du QuĂ©bec, les nations sont les suivantes : AbĂ©naquis — Algonquins — Atikamekws — Cris — Huron-Wendats — Innus — Inuits — MalĂ©cites —Micmacs — Mohawks — Naskapis

4. Il est Ă  noter que certains auteurs, comme Seixas (2012), s’interrogent sur la compatibilitĂ© de certains Ă©lĂ©ments de pensĂ©e historique, telle que l’empathie historique, et la conception du passĂ© telle que formulĂ©e par Marker (2011). Ce qui pose la question quant aux limites de la transposition des traditions Ă©pistĂ©mologiques d’une culture Ă  une autre (occidentale et autochtone).


Bibliographie

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Relié à Premières nations, Inuit et Métis