La mystérieuse madone

La science lève le voile sur un artefact vieux de plusieurs siècles.

Texte par Monique Benoit et Karine Léonard Brouillet

Mis en ligne le 13 décembre 2022

La médaille dévotionnelle portant l’image de la Vierge Marie est arrivée à l’Institut canadien de conservation en 2018 en très mauvais état. En effet, la plaque était enfouie dans la voûte de la chapelle Notre‑Dame‑de‑Bon‑Secours, dans le Vieux‑Montréal, depuis près de trois cents ans.

Cette plaque d’impression recyclée datant de la première moitié du XVIIe siècle, qui ressemble en fait à un modeste rectangle de cuivre gravé, représente la Vierge Marie tenant l’enfant Jésus dans ses bras tout en écrasant un dragon représentant le Diable. Autour de la Vierge et de l’enfant, une oriflamme porte une inscription latine, en négatif : « O saevis inimica Virgo belluis da dextram misero et tecum me tolle per undas ». La première partie de l’inscription, « saevis inimica Virgo belluis », que l’on pourrait traduire par « Ô vierge, ennemie des monstres », est une citation tirée d’une ode du poète romain Horace. La deuxième partie de l’inscription, « da dextram misero et tecum me tolle per undas », se traduit par « donne à l’indigent la main droite secourable, et il parcourra les mers ». Il s’agit d’une citation du poème épique L’Énéide, écrit par le poète romain Virgile. Aucune des deux citations originales ne fait référence à la Vierge Marie, puisque les deux poètes vivaient à l’époque préchrétienne.

La plaque – qui mesure environ neuf centimètres de largeur par onze centimètres de hauteur – a été incorporée à la pierre de fondation de la chapelle lors de la bénédiction rituelle qui accompagnait la pose de la première pierre, le 30 juin 1675. La chapelle a été fondée par Marguerite Bourgeoys, l’une des pionnières de la Nouvelle‑France. Enseignante et membre laïque de la Congrégation catholique de Notre‑Dame à Troyes, en France, Marguerite Bourgeoys arrive à Montréal en 1653 à la demande du gouverneur français de l’île, Paul de Chomedey de Maisonneuve. Là, elle se consacre bénévolement à l’éducation catholique des enfants autochtones et des enfants des colons français. Elle fonde également la Congrégation de Notre‑Dame à Montréal, la première communauté religieuse féminine non cloîtrée en Amérique du Nord.

L’inscription sur la médaille dévotionnelle a sans doute une résonance personnelle pour Marguerite. En effet, elle fait partie des administrateurs principaux de la colonie et, à ce titre, traversera l’océan Atlantique sept fois avant sa mort, en 1700.

Lorsque la chapelle originale de Notre‑Dame‑de‑Bon‑Secours est détruite par un incendie en 1754, la plaque est récupérée. Elle est ensuite insérée dans une pierre de fondation de la nouvelle chapelle construite en 1771. Elle y restera jusqu’en 1945, année où la plaque sera découverte lors de travaux de rénovation de la voûte au sous‑sol de la chapelle.

Au moment de sa découverte, la plaque était brisée en deux morceaux, ses arêtes étaient déformées et des trous de fixation avaient été percés sur son contour. Elle a été retirée de la pierre de fondation et les conservateurs du Site historique Marguerite‑Bourgeoys, auquel la chapelle appartenait, ont décidé de l’exposer. La plaque a été fixée sur un support d’exposition en carton rembourré et décorée sur le pourtour de bronzine, selon les modes de mise en exposition de l’époque. Aucune photographie du verso n’a été prise.

La révision de l’exposition permanente du Site en 2018 présentait une occasion idéale pour effectuer des travaux de recherche et de conservation sur certains de ses objets les plus précieux destinés à être exposés dans les nouveaux espaces d’exposition. C’est ainsi qu’a débuté la collaboration entre le Site historique Marguerite‑Bourgeoys et l’Institut canadien de conservation (ICC). 

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En tant qu’organisme de service spécial au sein du ministère du Patrimoine canadien, l’ICC dispose d’une équipe de près de quarante conservateurs et scientifiques qui veillent à ce que les collections du patrimoine canadien soient préservées et restent accessibles aujourd’hui et pour les années à venir.

Un traitement de conservation commence toujours par une évaluation et une documentation. La plaque a fait l’objet d’une inspection visuelle, suivie d’un examen scientifique, de recherches historiques et de consultations avec les représentants du Site historique Marguerite‑Bourgeoys.

Dans le cadre de l’examen scientifique, et avant d’entreprendre tout travail de conservation, l’ICC a pris des radiographies numériques de la plaque alors qu’elle se trouvait encore sur son support d’exposition en carton. Lorsque les images sont apparues à l’écran, les conservateurs sont restés perplexes face à un ensemble de lignes qui semblaient irradier à partir d’un point commun. En manipulant le contraste entre les zones claires et sombres pour obtenir des images plus définies des différentes parties de l’objet, les conservateurs ont découvert une image différente à l’envers de la plaque, cachée par le carton rembourré. Il s’agissait en fait d’un cadran solaire de fabrication artisanale. Considérant qu’aucune image historique ni témoignage n’existe de cette partie de l’objet, c’est là une révélation de grande importance, soulevant de nombreuses questions quant à sa nature.

Après avoir consulté des experts, les conservateurs de l’ICC en concluent que l’objet a servi au moins trois rôles dans son histoire : plaque d’imprimerie, cadran solaire et médaille dévotionnelle. L’objet a vraisemblablement commencé sa carrière dans une imprimerie, probablement en Europe, avant d’être réutilisé comme cadran solaire en Nouvelle‑France, et enfin comme médaille dévotionnelle insérée dans la pierre de fondation de la chapelle Notre‑Dame‑de‑Bon‑Secours.

Avec l’accord du Site historique Marguerite‑Bourgeoys, l’ICC opte pour un plan de traitement permettant l’appréciation des deux faces de l’objet et visant sa préservation et sa mise en valeur en tant que témoignage du passé. La restauratrice a donc détaché la plaque de son support de carton rembourré avant de la nettoyer. Un tel nettoyage suppose le retrait des accrétions et croûtes de corrosion qui masquaient le cadran solaire, sans en abîmer la surface d’origine. La restauratrice a fabriqué sur mesure des outils adaptés au projet, qu’elle a ensuite utilisés de concert avec des instruments de dentiste, des micrograttoirs et même une perceuse dentaire. Au cours de plus de 75 heures de travail minutieux sous binoculaire, le cadran solaire a progressivement révélé ses formes. Maintenant nettoyées, les deux parties de l’objet ont été réunies à l’aide d’un adhésif moderne.

Le travail de restauration physique est maintenant terminé et la plaque est exposée au Site historique Marguerite-Bourgeoys, dans le Vieux-Montréal. Cependant, les recherches historiques ne font que commencer car la plaque soulève de nombreuses questions. Elle présente les caractéristiques d’une plaque d’imprimerie, bien qu’elle ait été présente en Nouvelle‑France en 1675, alors que l’imprimerie y est interdite par le roi Louis XIV qui cherche à empêcher la circulation d’idées séditieuses ou révolutionnaires. Comment a‑t‑elle été utilisée et pourquoi a‑t‑elle été transportée dans la colonie?

La plaque est ensuite recyclée en cadran solaire, peut‑être pour permettre aux missionnaires de mesurer le temps écoulé entre les prières. Un principe intéressant des cadrans solaires est qu’ils doivent être calibrés selon un lieu géographique spécifique pour adéquatement représenter le passage du temps. Une investigation approfondie des caractéristiques du cadran solaire pourrait donc révéler une part de son origine. Les motifs de l’inscription latine, qui trouve son origine dans les œuvres d’anciens poètes romains, sur cet objet de dévotion catholique restent un mystère.


Signes célestes

Les images sur la plaque située sous la chapelle Notre‑Dame‑de‑Bon‑Secours peuvent avoir des significations multiples.

L’auréole de Marie composée de douze étoiles est une image récurrente dans l’iconographie catholique, mais son interprétation a changé au cours des siècles. Elle peut symboliser les douze tribus d’Israël, les douze apôtres ou les douze grâces de Marie, une liste de ses caractéristiques bienveillantes et miraculeuses.

Les rayons de lumière qui entourent Marie représentent sa gloire.

Le cœur ardent percé de deux croissants de lune est difficile à interpréter. Le cœur ardent représente probablement l’amour brûlant de Marie pour Dieu. Dans le symbolisme catholique, un cœur transpercé représente souvent la douleur ressentie par Marie lors de la crucifixion de Jésus, mais la raison pour laquelle ce cœur est transpercé spécifiquement par des croissants de lune n’est pas claire.

L’écusson est un symbole complexe dont l’interprétation est sujette à débat. La gerbe de blé peut symboliser la fertilité et la renaissance, ainsi que la richesse et l’abondance. Les fleurs peuvent être des roses, souvent utilisées pour représenter la beauté et la perfection de Marie. Le cœur et la lune peuvent représenter le cœur de Marie.

La lune est traditionnellement un symbole féminin qui représente la fertilité, mais elle peut aussi représenter la nuit et la mort. Saint Bernard de Clairvaux, un mystique médiéval, voyait la lune comme un symbole de l’Église catholique : Tout comme la lune reflète la lumière du soleil, l’Église reflète la lumière de Dieu. 

Le dragon représente le péché ou le diable. Marie écrase le péché en donnant naissance à Jésus.

Le lieu et la date de création du cadran solaire sont inconnus. Cependant, les Jésuites étaient reconnus pour être des experts dans la création de cadrans solaires. Il est possible qu’un prêtre jésuite ait gravé le cadran solaire au dos de la plaque d’impression pour suivre le passage temps dans un avant‑poste missionnaire éloigné. 

Cet article était initialement intitulé « Une médaille aux multiples facettes »

Les autrices aimeraient remercier Mylène Choquette (Technologue principale en documentation scientifique, ICC), Marie-Hélène Foisy (gestionnaire, ICC) et Stéphan Martel (Directeur adjoint et responsable de la recherche, Site historique Marguerite-Bourgeoys) pour leur contribution à cet article.

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