Lorsque le musée fait place aux perspectives autochtones
Fondé par David Ross McCord, un avide collectionneur passionné d’histoire, le Musée McCord existe à Montréal depuis 100 ans. Si le noyau initial des collections du musée reflète l’intérêt de son fondateur pour les Premiers Peuples et les grands événements de l’histoire du Canada, de nombreux objets proviennent aussi des collections de la Natural History Society of Montréal, créée en 1827, de même que des musées de l’Université McGill, dont le Redpath, qui se sont départis de leurs collections ethnographiques au fil du temps. Enfin, plusieurs donations privées sont venues bonifier la collection du Musée McCord qui est aujourd’hui le gardien d’une riche et unique collection.
La collection Cultures autochtones
Constituée de plus de 16 000 artéfacts archéologiques et objets historiques racontant près de 12 000 ans d’histoire, la collection Cultures autochtones est parmi les plus significatives au pays, notamment pour la diversité et la qualité remarquables des objets qui la composent.
Témoins éloquents de la culture matérielle des Premières Nations, des Inuits et des Métis au Canada principalement, mais également de certaines régions des États-Unis, de la Sibérie et du Groenland, ces objets sont le reflet de la magnificence des cultures autochtones, de la grande diversité de leurs expressions artistiques ainsi que de leur extraordinaire capacité d’adopter et d’incorporer les influences étrangères.
Ces objets évoquent des traditions, des conceptions du monde et des connaissances plusieurs fois centenaires qui ont toujours leur pertinence aujourd’hui. Il va de soi que la gestion, la documentation et la mise en valeur d’une telle collection doivent s’opérer en considérant les sensibilités actuelles et en faisant place aux voix et perspectives autochtones.
Gestion et accès aux objets
Le Musée McCord est engagé depuis plusieurs années dans une démarche visant à accroître la pertinence et l’accessibilité de cette collection auprès des nations autochtones, et à veiller à ce que son rayonnement reflète leurs préoccupations et leurs perspectives contemporaines. Être sensible et à l’écoute des conceptions et protocoles autochtones est primordial pour le maintien de bonnes relations avec les communautés dont le musée conserve les objets. Par exemple, non seulement certains objets conservés ne sont jamais exposés, mais ils sont aussi cachés de la vue dans les espaces d’entreposage, et ce, à la demande des communautés concernées. C’est le cas entre autres de masques iroquoiens de nature spirituelle. Afin de respecter les protocoles et préoccupations des communautés d’origine, le musée accueille des représentants annuellement pour réaliser des cérémonies en lien avec ces objets.
Toujours dans le but d’être pertinent pour les individus et communautés autochtones, le musée s’engage à faire son possible pour rendre accessible ce patrimoine culturel aux représentants des nations et communautés concernées. Par exemple, un artiste inuk qui souhaite observer des reproductions miniatures de canots kayaks pour un projet personnel peut demander à travailler quelques heures directement en présence des objets qui l’intéressent et ainsi bénéficier d’un accès privilégié avec des objets de sa culture. Et si un chercheur haïda, pour prendre un autre exemple, a besoin d’images spécifiques d’un objet de sa culture afin d’en faire une reproduction dans sa communauté située à l’extrême ouest du pays, le conservateur se fait un point d’honneur d’aller dans la réserve pour prendre les photographies selon les directives du chercheur et ainsi capter les angles précis qui lui permettront de comprendre comment l’objet est construit et assemblé.
Documentation des objets
Une des tâches qui incombe au conservateur du musée est la documentation des objets qui constituent la collection. Exercice fascinant autant que fastidieux à l’occasion, la reconstitution de l’histoire des objets doit se faire avec une grande précaution. Comme les musées sont dépositaires d’objets accumulés au fil des années, l’état des connaissances sur ceux-ci est souvent tributaire des pratiques de collecte du passé de même que des intérêts et points de vue des collectionneurs d’une autre époque. Et comme les cultures autochtones ont longtemps été méconnues et stéréotypées, l’idée que l’on se faisait sur certains éléments de leur culture matérielle peut traverser le temps jusqu’à nous. C’est ainsi que les colliers de wampum, ces importants objets de nature diplomatique et cérémonielle, se sont retrouvés dans certaines collections numismatiques au pays…! Cela signifie que l’information qui accompagne l’objet, lorsque présente — ce qui n’est pas toujours le cas — n’est pas forcément garante de vérité. Pour le conservateur et le chercheur en culture matérielle, cette rareté d’information valide ou vérifiée demande de faire preuve d’ingéniosité, de varier les sources le plus possible, de les mettre en perspective et de ne pas hésiter à les remettre en question.
Le Musée McCord reconnaÎt aussi que le savoir en lien avec les objets qu’il conserve se trouve bien souvent en dehors de ses murs. Lorsque des chercheurs, artistes ou AÎnés autochtones indiquent au musée que tel objet signifie telle ou telle chose ou était utilisé dans un contexte précis, les membres de l’équipe muséale font en sorte d’inclure ce savoir local ou communautaire dans leur base de données afin que l’histoire ou la symbolique de l’objet soient mieux comprises. C’est ainsi que la description de la majorité des objets haïdas de la collection du Musée McCord a pu bénéficier du regard expert de l’éminent artiste Robert Davidson lors du développement de l’exposition Art haïda : Les voies d’une langue ancienne (2006), et que la plupart des vêtements inuits ont pu être catalogués avec l’aide de membres des communautés inuites par Betty Kobayashi Issenman, commissaire de l’exposition IVALU : Traditions du vêtement inuit (1988-1989).
Mise en valeur et exposition
Mettre en valeur les objets autochtones dans des expositions destinées au public nécessite aussi certaines précautions et sensibilités. Au Musée McCord, les expositions sont développées avec l’aide de commissaires autochtones ou avec la contribution de comités consultatifs externes, et le contenu est généralement développé en collaboration avec les individus et communautés autochtones dont l’histoire et la culture sont présentées. Il s’agit d’une façon de donner la parole aux Autochtones, de mettre de l’avant leurs voix et témoignages, et de leur laisser la place pour se raconter au sein des murs du musée. Cette approche permet aussi de valoriser certaines perspectives en ce qui a trait à l’interprétation de l’histoire. Mettre l’emphase sur certains faits historiques qui ont contribué à la marginalisation des Autochtones et communautés culturelles est une façon de décoloniser le récit de notre histoire commune.
Lors du développement d’une exposition, le musée doit parfois tenir compte du fait que certains objets ne doivent pas être exposés au public. C’est le cas notamment des objets sacrés ou cérémoniels qui ont été fabriqués pour être utilisés et montrés dans des contextes culturels ou spirituels spécifiques. C’est seulement lorsque le musée obtient l’autorisation de la communauté d’origine d’exposer un tel objet qu’il le fait, sinon, il s’en abstient.
En guise d’exemple, le musée a commandé un nouveau teueikan (tambour cérémoniel innu qui sert notamment au chasseur pour communiquer avec l’esprit de l’animal) auprès d’artisans contemporains pour sa nouvelle exposition sur les cultures autochtones (Voix autochtones d’aujourd’hui : savoir, trauma, résilience), plutôt que d’exposer un superbe et ancien teueikan qui est conservé et dont l’origine précise est inconnue. D’un point de vue muséologique, cela peut parfois être frustrant de ne pouvoir exhiber ces objets d’une beauté unique, mais d’un point de vue du respect et du maintien des bonnes relations avec les communautés autochtones, le musée est convaincu que c’est la chose à faire.
Dans les coulisses du développement d’une exposition se cachent plusieurs enjeux qui sont généralement invisibles aux visiteurs. S’il existe actuellement plus de 640 communautés autochtones à travers le Canada, réparties en trois groupes distincts — Premières nations, Inuit, Métis —, comment s’assurer que tous se sentent représentés dans une exposition dont la surface en mètres carrés est extrêmement restreinte? Quels thèmes privilégier pour raconter l’histoire de riches et diverses cultures qui ont continué d’évoluer pendant des centaines d’années depuis le contact avec l’Europe? Comment aborder convenablement des histoires sensibles et difficiles comme les pensionnats indiens ou les femmes et filles autochtones disparues ou assassinées? Une collaboration adéquate avec les principaux concernés permet de pallier à ces difficultés.
Un autre enjeu qui peut frustrer un historien conservateur habitué d’écrire des articles scientifiques avec de multiples notes de bas de page : le nombre de mots alloués pour rédiger un panneau explicatif ou un cartel servant à décrire un objet. Alors qu’un livre entier peut être rédigé sur une réalité complexe, le musée doit parfois se contenter d’un paragraphe de 60 mots afin d’accommoder le visiteur et de tenir compte de l’inévitable fatigue muséale. Voilà un défi de condensation intéressant et stimulant!
Autochtonisation et décolonisation au Musée McCord
Le Musée McCord adopte des démarches d’autochtonisation et de décolonisation qui participent à un climat de respect et d’ouverture entre le musée et les nations autochtones. Les pratiques professionnelles intègrent depuis plus de 30 ans les savoirs et les pratiques autochtones aux expositions, aux programmes éducatifs, à la recherche et la documentation. Depuis la réouverture du musée en 1992, les expositions portant sur des sujets autochtones ont été développées en collaboration et en consultation avec des acteurs du milieu autochtones et lorsque possible, une place est faite aux artistes autochtones contemporains dans les expositions. Des expositions itinérantes autochtones ont aussi été présentées. Depuis quelques années, un programme d’artiste en résidence a permis à de nombreux artistes autochtones d’accéder aux collections du musée afin de créer leurs propres oeuvres qui sont ensuite exposées pendant quelques mois.
En plus d’avoir deux membres de nations autochtones au sein de son conseil d’administration et d’avoir engagé un conservateur autochtone, le McCord a récemment mis sur pied un comité consultatif autochtone permanent, dont le but principal est de poser un regard transversal éclairé sur les initiatives d’autochtonisation du musée.
Le musée est confiant d’adopter une approche sensée : faire de la place aux voix autochtones au sein même de la structure de l’institution et impliquer les peuples autochtones dans chaque projet qui les concerne afin de leur donner la possibilité de raconter leurs histoires et ainsi s‘assurer que leurs points de vue soient considérés et que leurs voix soient entendues.
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