De protecteur à bourreau

La réputation de Macdonald au Canada français change en fonction de ses décisions politiques. 

Écrit par Frédéric Boily. Traduction par Natalie Boisvert. 

Mis en ligne le 1 février 2019

Le 6 octobre 2018, la statue de John A. Macdonald à la Place du Canada, au centre‑ville de Montréal, est encore une fois vandalisée, cette fois par un « groupe local d’activistes anticolonialistes, antiracistes, anticapitalistes anonyme » selon le Montreal Gazette. La statue avait été éclaboussée de peinture plus tôt cette année-là et décapitée en 1992, probablement en signe de protestation contre l’Accord de Charlotte­town.

Même si l’incident s’est produit au Québec, il semble qu’il ne soit pas lié au traitement réservé par Macdonald aux Canadiens-Français ou aux Québécois, mais plutôt à ses actions contre les Autochtones du Canada, toujours marqués par le legs douloureux de Macdonald.

Pour les francophones, d’un autre côté, ce personnage a été en grande partie oublié et laisse la population indifférente. Lors des premiers jours du Canada, cependant, les Canadiens-Français l’admiraient.

Les relations entre les Canadiens‑Français et John A. Macdonald étaient plutôt positives pendant les vingt premières années du Canada. Ses conservateurs trouvaient davantage d’alliés que d’opposants parmi les francophones, surtout chez les membres de l’Église catholique romaine, qui avaient appuyé la Confédération en 1867.

À l’époque, de nombreux Canadiens-Français catholiques étaient effrayés par les libéraux radicaux — « Les Rouges », dirigés par les frères Antoine-Aimé et Éric Dorion — considérés par plusieurs comme des opposants extrémistes de l’Église. En revanche, pour les catholiques canadiens‑français, la Confédération, telle que défendue par John A. Macdonald et George-Étienne Cartier, semblait la meilleure protection contre une annexion à la république américaine.

Dans ce contexte, Macdonald n’était peut-être pas présenté comme un sauveur, mais à tout le moins comme un danger bien moins menaçant qu’une possibilité d’assimilation à la culture américaine.

Dans le documentaire de l’Office national du film de 1960 intitulé Le chanoine Lionel Groulx, historien, l’historien national Lionel Groulx raconte une histoire de son enfance. Lors d’une élection factice organisée dans son école primaire, le chanoine se souvient d’avoir joué le rôle de Macdonald.

Il se souvient très bien d’avoir prononcé ces paroles : « Nous sommes les fils de Sir John A. Macdonald et de Sir George-Étienne Cartier. Nous ne reculerons pas devant les fils de Dorion et de George Brown ». Le jeune Groulx incarnait bien la personnalité du chef Tory, tel que se l’imaginaient les catholiques canadiens-français.

Néanmoins, c’est vers la même époque que les relations entre les Conservateurs de Macdonald et les Canadiens‑Français commencent à tourner au vinaigre, alors que ces derniers doutent de l’engagement de  Macdonald envers les droits des francophones.

À partir de 1871, selon Susan Mann Trofimenkoff dans son ouvrage de 1986 intitulé Visions nationales: Une histoire du Québec, les Ultramontains de la province – pour qui l’Église avait préséance sur le reste de la société – pressent le gouvernement Macdonald de protéger les droits des Acadiens du Nouveau-Brunswick en désavouant la loi provinciale visant à mettre fin au financement des écoles catholiques dans la province.

Malgré les pressions exercées par de nombreux législateurs du Québec, Macdonald refuse, craignant une opposition encore plus féroce des membres de son propre parti, les Orangistes, des conservateurs anticatholiques originaires d’Irlande.

Macdonald défend donc la position selon laquelle la Confédération a été fondée sur la reconnaissance des distinctions culturelles et nationales des provinces, ainsi que sur le principe d’autonomie provinciale, une position qu’il avait adoptée même avant 1867.

En effet, le 6 février 1865, Macdonald avait affirmé dans un discours devant la Chambre d’assemblée, que la population du Bas‑Canada cherchait à protéger « l’individualité » culturelle de la province.

Ce constat rend impossible toute union législative entre les entités provinciales, un résultat que favorisait personnellement Mac­donald. Il reprend le même argument – soit l’obligation de respecter la volonté du Bas-Canada – lors du débat sur les écoles du Nouveau-Brunswick à la Chambre des communes, le 14 mai 1873. « Le Bas-Canada représente une race et une langue différentes.

La majorité pratique une religion qui est minoritaire dans l’ensemble du Dominion, et cette minorité réclame à juste titre qu’on la protège d’une union législative… ». Paradoxalement, le respect des compétences provinciales du Bas-Canada empêche alors Macdonald de soutenir les Canadiens-Français ailleurs au pays. 

Pour rendre justice à Macdonald, il faut reconnaître que sa position était difficile. D’un côté, les Canadiens‑Français hors Québec demandaient au gouvernement fédéral d’exercer ses pouvoirs pour révoquer des lois provinciales qui limitaient leurs droits, comme il avait paru justifié de le faire dans des circonstances différentes.

D’un autre côté, Macdonald faisait face à une forte résistance des provinces, surtout de l’Ontario, qui défendait ses propres compétences contre toute tentative de centralisme fédéral. En effet, à cette époque, les relations de pouvoir entre le gouvernement central et ses entités fédérées étaient en pleine transformation, et l’exercice tendait vers des pouvoirs provinciaux accrus. 

Dans ce contexte, il aurait été difficile pour Macdonald et les Conservateurs – s’ils l’avaient même souhaité – de défendre entièrement les Canadiens‑Français hors Québec, de crainte que le gouvernement fédéral ne soit accusé de vouloir s’ingérer de façon illégitime dans les affaires provinciales.

Par conséquent, même si le Québec a réussi à faire reconnaître en partie son caractère distinct, cette avancée a été réalisée, selon l’historien Jean-Charles Bonenfant, « sans égards pour le sort des minorités francophones des autres provinces ».

Néanmoins, Macdonald tient le Canada français en haute estime, sans doute en raison du fort contingent de Québécois dans son entourage. Il s’entoure de collègues canadiens‑français efficaces et de talent, en commençant par Cartier.

Mentionnons également Étienne Parent, un intellectuel de renom qui deviendra le sous‑secrétaire d’État et qui avait, selon l’historien Patrice Dutil, une profonde influence sur les perceptions de Macdon­ald à propos du Québec, ainsi que Robert Bouchette, le sous‑ministre des douanes.

Toute cette bonne volonté finira cependant par disparaître avec l’exécution du chef Métis Louis Riel. Aujourd’hui considéré comme un père de la Confédération, Louis Riel, après la Rébellion du Nord‑Ouest en 1885, sera qualifié de traître par le gouvernement Macdonald et condamné à la pendaison.

Les relations entre Macdonald et les Canadiens-Français, jusqu’alors positives, sans être entièrement cordiales, se détériorent de façon irrémédiable.

En choisissant de ne pas amnistier Riel, Macdonald et les Conservateurs savaient sans doute qu’ils provoqueraient une tempête, mais pensaient qu’elle serait de courte durée. L’autre option, soit libérer Riel, aurait déclenché un véritable ouragan en Ontario.

Le fait qu’avant cet épisode les Canadiens‑Français s’étaient peu préoccupés des Métis n’a pas joué en faveur de Riel. Macdonald pensait que son image serait quelque peu ternie par ce triste incident, sans être cependant entièrement détruite.

Au contraire, les Canadiens‑Français jugent que la pendaison de Riel fait la preuve qu’un des leurs a été tué par un gouvernement anglo-saxon résolument antifrancophone. Le chef du Parti national du Québec, Honoré Mercier, saisit l’occasion pour déloger les Conservateurs provinciaux.

Après l’affaire Riel, John A. Macdonald et les Conservateurs deviennent le « parti de la corde » aux yeux des catholiques canadiens‑français. Les Tories devront déployer des efforts considérables pour regagner la faveur de l’électorat québécois.

Cela explique peut-être pourquoi, lorsque vient le temps de célébrer le 150e anniversaire du Canada en 2017, Macdonald n’est pas réellement mis en valeur au Québec.

Certains commentateurs évoquent le fait qu’Hector-Louis Langevin, un francophone, a porté injustement le blâme pour les actions de son chef, qui fut la personne réellement responsable de la création des pensionnats autochtones. (En juin 2017, le premier ministre Justin Trudeau invoque les travaux de la Commission de vérité et réconciliation du Canada pour retirer le nom de Langevin d’un immeuble d’Ottawa abritant le bureau du premier ministre et le Bureau du conseil privé).

Macdonald est décrit sous les traits d’un personnage sombre. Mais en raison du rôle qu’il a joué dans la fondation du Canada, les monuments en son honneur doivent demeurer dans le paysage canadien.

Frédéric Boily est professeur en sciences politiques à la faculté Saint-Jean de l’Université de l’Alberta. Il a écrit plusieurs livres, dont John A. Mac­donald: Les ambiguïtés de la modération politique.

Cet article est paru dans le numéro de février-mars 2019 du magazine Canada’s History.

Cet article est aussi offert en anglais.

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