Transcription Écrire sa vie!
[Musique]
Alors, merci beaucoup, Mme Bertrand, d'être ici avec nous aujourd'hui. Vous avez réalisé des centaines, voire des milliers de projets dans votre vie. Qu'est-ce qui vous a amenée à concevoir ce projet-ci, ce beau projet qui s'intitule Écrire sa vie?
Écrire sa vie, c'est la pandémie. J'étais parmi ces vieilles-là qu'il fallait mettre de côté, puis qu'il ne fallait pas les voir, qu'elles soient enfermées, parce qu'elles devaient propager la maladie et en mourir — beaucoup en sont mortes. Et puis un jour, c'est une longue histoire, une fille qui m'appelle, qui me dit « C'est Pâques bientôt », c'était en mars, « C'est Pâques bientôt, j'aimerais ça que vous écriviez pour une résidence un petit mot. »
Alors je dis, « Ah non, j'ai mieux que ça, un mot, il n'y a pas de suite à ça. = Non, je vais leur montrer à écrire leur biographie. » Parce que j'ai enseigné pendant 26 ans, 25, à l'INIS. J'enseignais l'écriture dramatique. Alors je sais comment il faut faire une biographie. Alors elle me dit « Ah oui, c'est bon ».
Puis après ça, je ferme le téléphone et je me dis « Mais c'est tellement bon cette idée-là, des fois je pense que c'est moi qui n’ai pas les idées, mais c'est moi. C'est tellement bon que je vais l'offrir à aussi d'autres. » Je téléphone, moi je consulte l'Institut de gériatrie de l'Université de Montréal et j'ai un médecin qui s'occupe de moi et je l'appelle. Et je lui dis que je viens d'avoir une idée, pour aider les personnes âgées à « ’toffer » pendant cette pandémie, à écrire la biographie.
Il me dit « c'est tellement bon, je veux ça moi, je veux ça, à l’Institut de gériatrie puis je vous offre notre site ». Le docteur Lussier, David Lussier. Alors, j'ai dit « bien c'est correct ». Alors, il me présente une fille qui s'appelle Maude, qui dit « je vais tout vous organiser ça » parce que moi je ne suis pas bien bonne, je suis bonne dans certaines affaires, mais dans l'autre je ne suis pas bien bonne. Organiser un site, je ne suis pas bonne. Alors j'ai dit « bon c'est correct si quelqu'un s'en occupe ».
Et là je donne des cours très simples, comment commencer, parce que les femmes que je rencontrais dans la vie et qui me disaient « j'aimerais ça écrire ma biographie, je sais pas par où commencer. » Alors j'ai dit « bon voici qu'est-ce qu'il faut faire ».
Je pense qu'il y en avait une douzaine et on a publié ça. et j'ai dit prenez votre temps, peut-être qu'en juin ce sera fini, mais ne pensant pas que ça marcherait autant que ça. La première semaine, des biographies de trois pages, je dis non, il faut que ce soit plus long que ça. Et puis je donne vraiment comment faire, et là c'est rentré, on en a eu 2000.
Alors un projet conçu pour les aînés, un projet qui a suscité un grand enthousiasme et surtout de la part des femmes, c'est intéressant. Y a-t-il des histoires, des récits autobiographiques qui vous ont particulièrement touché, des histoires qui vous ont surprise?
Et parce que, tu sais, nos parents nous ont parlé de ce qui se passait, mais tu ne penses pas que ça s'est passé comme ça. Pourquoi ces femmes-là? Et ce qui était étonnant, peu de Montréal et de Québec. Des régions.
Donc des personnes qui ont grandi à la campagne.
Et qui vivent encore à la campagne. Et qui sont des régions dont on n'entend jamais parler. À la télévision on nous montre beaucoup de Montréal, beaucoup de Québec, mais les régions, on les oublie un peu. Alors ça, c'était étonnant. Ce qui était aussi étonnant, c'est que c'était plus qu'une biographie. C'était un exutoire. C'était, j'allais dire, confession. Confession. Tu sais, je pense à une femme, 22 enfants. 22. Comment peut-on avoir 22 enfants?
Et elle raconte comment les hommes n'avaient pas de moyens de contraception. Les hommes étaient secrets, ne parlaient pas. Il fallait qu'ils gagnent la vie de 22. Alors ça prenait tout le temps. Ces femmes-là étaient très seules. Pourquoi ces femmes-là n'ont pas pu dire non, n'ont pas pu ne pas avoir tant d'enfants. Les prêtres allaient tous les mois.
Une femme, elle avait son bébé de deux ans, elle passait avec son carrosse, puis le bébé de deux ans dedans. Le prêtre sortait et disait « Madame, ça fait deux ans là, qu'est-ce qui se passe ? » Alors, elles étaient forcées d'avoir toujours des enfants. Et comment ces femmes-là se plaignent maintenant de la religion? « Comment j'ai pu vivre ça? » Se plaignent du peu de mots des hommes? « Pourquoi nos hommes ne parlent pas? » « Pourquoi nos hommes ne parlaient pas? »
OK. Et lorsque les historiens et les historiennes, donc, vont consulter ces témoignages, parce qu’il y en a qui vont être conservées au Musée de la civilisation. Comment devrions-nous les analyser? Qu'est-ce qu'on va trouver d'intéressant dans ces témoignages? Y a-t-il des choses qui vont changer l'histoire, justement?
Oui, la vraie histoire du Québec. L'histoire des couples. Qu'est-ce qui formait les couples? Comment les petits gars, les petits garçons de 7 ans étaient… Comment ça se fait que toutes les filles étaient plus instruites que les gars? Parce que les les petits gars devaient aller aider leur père sur la ferme, alors que les filles allaient à l'école plus longtemps, elles avaient une septième année.
Par exemple, j'ai vu plusieurs femmes qui étaient d'anciennes professeures, mais qui avaient enseigné avec une septième année. À l'école de rang, on n'exigeait pas plus que ça. Alors des fois, elles enseignaient une septième année, puis elles avaient une septième année. Alors tout ça, ce n'est pas des secrets, je pense que vous êtes historienne, vous savez que ça a existé, mais là, ça sort de la bouche des personnes. Ce n'est pas une vue de l'esprit, ce sont des témoignages, écrits souvent dans les larmes. Et souvent, les femmes terminaient en disant « c'est la première fois que je raconte ma vie, ça m'a fait tellement bien ».
D'où le mot « exutoire » que vous avez employé.
Exutoire. Comme le confessionnal était, on a mis ça de côté, mais c'était un exutoire souvent. Tu sais, tu allais, tu te faisais pardonner, tu recommençais, mais tu avais quelqu'un à qui parler. Là, de nos jours, on n'a pas grand monde à qui parler, ce n’est pas tout le monde qui peut se payer un psy.
Mais vous étiez longtemps journaliste au Petit Journal, entre autres, où vous teniez un courrier du cœur, des chroniques sentimentales. Est-ce que les récits que ces personnes aînées ont écrits — c’est la même chose — justement, c'était ma question, est-ce que ça ressemble à ce que vous aviez vu?
C'est la continuité. Et tu ne peux faire ça que si tu es une personne comme moi qui ne juge pas. Elles savent que je ne vais pas dire, Madame, vous n'auriez pas dû, c'est dont laid, pis ce n’est pas beau. Alors elles disent tout. Elles disent tout.
Mais les lettres qui ont été envoyées au Petit Journal étaient anonymes, j'imagine?
Non, non, pas du tout.
Ah non, il y en avait qui signaient.
Ah ben oui, mais ça je l'ai fait pendant 17 ans, mais j'étais très mal vue à l'époque, très snobée par l'élite de Montréal qui trouvait qu'avoir un courrier du cœur c'était la dernière des choses. Parce qu'il y a eu un temps au Québec, vous devez le savoir, où l'élite se séparait du reste de la plèbe. C'était nous autres, on sait, vous autres vous ne savez rien, ce qui était un peu la vérité.
Mais alors que là, si tu es capable d'écrire, tu es capable de le raconter. Bon, au début, les obstacles que les gens me disaient, tu sais « Voyons, les gens t'enverront pas, ils savent pas écrire. » Mais ce n’est pas vrai du tout! Ce n’est pas vrai! Mais ça, je n’en suis pas revenue. J'avais dit aux gens âgés, « Vous avez toujours un petit enfant ou un petit fils ou une petite fille qui est bonne en...
En informatique?
Non, en informatique ou... qui est bonne en écriture et qui va vous corriger vos fautes. Et puis, il y en a qui m'ont dit, je l'ai faite avec ma petite-fille, et ça a été double emploi. Elle corrigeait mes fautes et elle me posait des questions sur ma vie, ce qu'elle n'aurait pas fait autrement. Alors, tout ça a été que du bon! Que du bon! Que du bonheur, que du bon! Je suis très contente d'avoir eu cette idée que je ne croyais jamais que ça deviendrait si gros que ça.
Et si on parle de la pandémie en tant que telle pendant quelques minutes. J'ai écouté une entrevue avec vous diffusée à Radio-Canada, dans laquelle vous avez dit avoir déjà vécu un premier confinement à l'âge de 20 ans.
Oui, j'ai été 10 mois au sanatorium.
Est-ce que le fait d'avoir déjà vécu un confinement a rendu ce deuxième confinement plus facile ou au contraire, est-ce que ça évoquait de mauvais souvenirs?
Non, non, non. Parce que ce confinement-là n'a rien à voir. J'étais dans un sanatorium privé à Sainte-Agathe où j'étais… la cure fermée, qu'ils appelaient, je ne sais pas. Et puis j'étais… on me sortait le soir, je n’étais jamais hors du lit. Fallait que je tourne mes feuilles lentement parce que mes poumons… À l'époque où j'ai fait de la tuberculose, il n'y avait pas de médicament.
Non. 45, donc avant les antibiotiques.
Avant les antibiotiques. Il n'y avait que le repos et le grand air. Et le soir, on nous sortait en plein hiver sur la galerie pour dormir. Et puis bon, ce confinement-là, j'étais célibataire, j'étais seule, ma mère se mourait de tuberculose. Mon père n'est pas venu me voir une fois parce qu'il était tanné. Ma mère a toujours fait de la tuberculose. Il était tanné de la tuberculose. En tout cas. Et puis, oui, ça m'a donné le goût de vivre. Le confinement, quand c'est fini, tu as le goût de vivre. C'est ça un peu qui résume ma vie.
C'est fascinant. Et, peut-être dernière question, donc, vous le savez, votre projet Écrire sa vie reçoit cette année le Prix d'histoire du Gouverneur général pour l'excellence des programmes communautaires. Parce que c'est un projet qui est en lien justement avec la communauté. Et donc la question que je vous poserais ce serait que représente cette reconnaissance pour vous et peut-être pour les personnes avec qui vous avez travaillé. Vous avez mentionné Maude, votre médecin.
Le docteur David. Ça représente pour eux, ils ont dû, un c'est un médecin, elle c'est une, je ne sais pas comment l'appeler, elle s'occupe des projets spéciaux de l'Institut de gériatrie. Et puis, pour eux, c'était un peu une folie. Et ils m'ont fait confiance. Et ça a l'air qu'ils ont eu raison de me faire confiance.
Oui. Et c'est un projet qui va demeurer avec nous parce qu'on a ces traces maintenant de toutes ces vies en fait.
Et j'en ai un autre, mais je ne vous en parle pas.
Un autre projet?
Un autre projet, oui. Je rencontre l'Institut de gériatrie la semaine prochaine pour un autre projet parce que tous ces gens-là, maintenant qu’ils ont écrit, veulent écrire encore. Alors, ils m'écrivent pour me dire, on pourrait-tu écrire quelque chose d'autre? Mais je ne veux pas les embarquer dans un roman parce que c'est compliqué, mais j'ai un autre projet.
Donc, ce ne seraient plus les récits autobiographiques, mais l'écriture d'une autre nature.
L'écriture. Pourquoi, tu sais, moi je me demande, il y a tellement de personnes âgées, on est plus nombreux que les jeunes en ce moment.
C’est une société vieillissante.
Mais pourquoi on ne les embarque pas dans des projets à long terme, comme écrire, monter une pièce de théâtre, qui va leur prendre l'année, qui va les occuper, qui va les passionner. Ils sont capables. C'est un manque de confiance aux personnes âgées que de penser... moi j'étais sûre qu'ils seraient capables. J'étais sûre, je n’en doutais pas une seconde. On ne pouvait pas lancer tout ça pour trois personnes.
Il y en a eu 2000. Il y a eu un moment, cet été-là, c'est l'été de la pandémie, la première année, cet été-là, il y avait des... Chez nous, je passe l’été à la la campagne, il y avait des feuilles partout, partout, partout, des biographies partout, partout, partout.
Et mes enfants, mes vieux enfants arrivaient, puis ils me disaient « on peux-tu en lire ? » Puis là, ils partaient, mais ils pensaient à lire trois pages. Puis ils lisaient tout. C'est notre vie. Et c'est pour ça que ça va s'appeler « C'est nous autres ». Parce que c'est ça nous autres. Enfin, on découvre ce que c'est que nous autres.
Mme Janette Bertrand, je vous remercie beaucoup pour cette belle entrevue et surtout pour ce beau projet qui va laisser des traces très, très concrètes.
Et je n'ai pas fini!
Non. C'est clair! Merci.
Merci.
[SILENCE]
Publicité