Des phares dans la communauté
L'éducation existait sur le continent africain bien avant la colonisation et le développement de la traite des esclaves. Les sociétés africaines disposaient d'écoles traditionnelles où l’information, les connaissances et les compétences étaient transmises aux membres de la communauté. Entre le XVIe et le XIXe siècle, l'esclavage massif des Africains par les colonisateurs européens a arraché des millions de personnes à leur foyer et à leur culture, perturbant ces premiers systèmes d'apprentissage. Le déplacement des personnes d'ascendance africaine provoqué par l'esclavage a donné naissance à une importante population noire dans les colonies nord‑américaines britanniques de Nouvelle‑Écosse, du Nouveau‑Brunswick, du Bas‑Canada (aujourd'hui le Québec) et du Haut‑Canada (aujourd'hui le sud de l'Ontario) vers le milieu des années 1800. Nombre de ces personnes avaient échappé à l'esclavage aux États‑Unis ou étaient arrivées dans la région dans le cadre de la migration des Loyalistes noirs pendant et après la révolution américaine. D'autres encore (ou leurs descendants) avaient vécu en esclavage dans les colonies britanniques d'Amérique du Nord avant l'abolition de l'esclavage dans l'Empire britannique en 1834. Après l'esclavage, les Noirs canadiens ont continué à subir diverses formes de discrimination sociale et institutionnelle, notamment dans le système scolaire public.
Les débuts de l'enseignement en Amérique du Nord britannique ont été marqués par des influences publiques, privées et religieuses. Mais dans les années 1840, les colonies d'Amérique du Nord britannique ont créé une structure normalisée pour l’enseignement, reflétant le désir croissant des réformateurs de l'éducation de former des citoyens idéaux, censés posséder les connaissances et les valeurs morales adéquates. Plus le nombre d'écoles financées par l'État augmentait dans la région qui allait devenir le Canada, plus les limites fixées pour créer des environnements d'apprentissage idéaux pour les élèves étaient strictes.
Dans les régions à forte population noire, les restrictions sociales, économiques et éducatives limitent l'accès des Noirs à l'égalité en matière d'éducation. Cette situation est officialisée par des lois telles que la loi de 1850 pour l'amélioration de l'établissement et de l'entretien des écoles communes dans le Haut‑Canada, également connue sous le nom Common Schools Act. Mise en œuvre la même année que la loi américaine sur les esclaves fugitifs (Fugitive Slave Act), qui permettait aux esclavagistes de traquer et de capturer les esclaves en quête de liberté qui s'étaient échappés des États esclavagistes du Sud vers les États libres du Nord, la Common Schools Act a institutionnalisé la ségrégation raciale et religieuse en autorisant la création d'écoles séparées pour les Noirs et les minorités religieuses au Canada‑Ouest (que l’on appellera Haut‑Canada après 1841). La loi stipule qu'il est du devoir d'une commission scolaire, [TRADUCTION] « sur demande écrite d'au moins douze chefs de famille résidents, d'autoriser la création d'une ou de plusieurs écoles séparées pour les protestants, les catholiques romains ou les gens de couleur. »
En théorie, cette loi devait permettre aux familles d'opter pour des écoles séparées pour leurs enfants, mais en réalité, les préjugés locaux imposaient souvent des écoles ségréguées aux familles noires. Dans de nombreuses communautés, les mœurs locales dictaient la création d'écoles séparées pour les Noirs, car les parents blancs, les membres du conseil municipal et les administrateurs d’écoles cherchaient à préserver les écoles publiques exclusivement blanches et s'opposaient à l'intégration. Dans ses dossiers reprenant des témoignages de première main des résidents noirs du Canada‑Ouest, l'abolitionniste américain Benjamin Drew note à propos de la ville de Chatham : [TRADUCTION] « Les préjugés contre la race africaine sont ici très fortement marqués. Il n'était pas d'usage de percevoir des taxes scolaires auprès des personnes de couleur. Mais il y a trois ou quatre ans, un administrateur a imposé une taxe scolaire à certains des citoyens les plus riches de cette classe. Ces derniers envoyèrent donc immédiatement leurs enfants à l'école publique. Lorsque ces enfants prirent place en classe, les enfants blancs qui se trouvaient près d’eux quittèrent leur banc. Au bout d'un jour ou deux, tous les enfants blancs avaient été retirés de l’école, laissant le professeur seul avec ses élèves de couleur. »
Ce type de situation est si courant que, même s’il est convaincu que les personnes d'ascendance africaine ont le droit de fréquenter les écoles publiques, Egerton Ryerson, le surintendant de l'éducation du Canada‑Ouest, est souvent confronté à des contribuables et des administrateurs blancs qui veulent imposer une ségrégation raciale. En soumettant à la législature une disposition prévoyant la création d'écoles séparées pour les Noirs, Ryerson déclare que, bien qu'il ait essayé de convaincre les contribuables de s’opposer à la discrimination raciale, [TRADUCTION] « les préjugés – en particulier les préjugés de caste, aussi peu chrétiens et absurdes qu'ils soient – sont plus forts que la loi elle-même. »
Malgré ces sentiments, la ségrégation raciale dans les écoles du Canada‑Ouest reste inégale et dispersée. Parfois, lorsqu'ils se voient refuser l'accès aux écoles communes, les parents noirs acceptent des écoles séparées pour leurs enfants. Dans d'autres cas, ils insistent en écrivant des lettres aux administrateurs locaux, exigeant l'égalité d'accès à l'école. Ainsi, dans des régions comme Toronto et Hamilton, il existe des écoles intégrées, tandis qu'à Niagara, St. Catharines, Dresden, Simcoe et Chatham, les écoles ségréguées demeurent la norme.
Le Canada‑Ouest n'est pas la seule administration à instituer une loi conduisant à la création d'écoles séparées. La Nouvelle‑Écosse s’est dotée d’une structure similaire, où la loi instaure l'enseignement gratuit et obligatoire pour les enfants d'âge primaire, tout en autorisant les sections locales du conseil de l'instruction publique à « permettre la création de départements distincts sous le même toit ou dans des locaux séparés pour les élèves de sexe ou de couleur différents » - en d'autres termes, à autoriser la création d'écoles ségréguées en fonction de la race.
Lorsque des écoles séparées pour les Noirs étaient créées, elles avaient souvent du mal à retenir leurs élèves, recevaient des fournitures inadéquates, restaient sous‑financées et n’étaient que temporairement ouvertes. Malgré ces difficultés, les enseignants noirs ont joué un rôle essentiel dans l'éducation des élèves noirs à une époque où ces enfants étaient souvent exclus des écoles communes et contraints de s'inscrire dans un système ségrégationniste. Ces éducateurs n'étaient pas seulement des leaders et des activistes communautaires dans le domaine de l'éducation, mais ils jouaient également un rôle important au sein d'autres institutions, notamment les églises, les clubs sociaux et les entreprises.
La vie d'enseignantes telles que Mary Ann Shadd Cary et Mary Bibb témoigne de la longue présence des femmes noires dans le domaine de l'éducation. Ces deux femmes sont toutes deux des Américaines qui ont immigré au Canada‑Ouest après l'adoption de la Fugitive Slave Act en 1850, aux États‑Unis. Mary Ann Shadd Cary est surtout connue comme abolitionniste et rédactrice en chef du journal Provincial Freeman, qu'elle publie de 1853 à 1857. Cependant, après s'être installée à Sandwich (aujourd'hui Windsor, Ontario) en 1851, Mary Ann Shadd Cary ouvre une école intégrée et recueille des fonds pour construire un nouveau bâtiment pour les élèves. Tout en enseignant à l'école, elle trouve le temps d’agir comme activiste et devient un personnage central de la société antiesclavagiste locale. Malgré tous ses efforts, l'école ferme ses portes en 1853 en raison d'un manque de fonds.
Après la fermeture de son école, Mary Ann Shadd Cary continue d'utiliser le Provincial Freeman pour défendre l'accès des élèves noirs à l'éducation. Le 25 avril 1857, elle met en garde ses lecteurs contre l'infiltration dans les écoles du Canada de « livres américains, préconisant la création d’institutions séparées pro‑esclavagistes, républicaines et prêchant la haine des Noirs ». Dans un article intitulé « The things most needed », Mary Ann Shadd Cary écrit que ce que souhaitent [TRADUCTION] « les gens de couleur du Canada, c'est une bonne éducation britannique, une instruction approfondie au moyen de livres scolaires britanniques, prodiguée par des enseignants britanniques dans l'âme – ainsi qu’une instruction religieuse dans les églises de la province sans distinction, par des prédicateurs qualifiés, qu'ils soient blancs ou noirs – et non pas comme c'est le cas aujourd'hui dans des lieux que nous sommes les seuls à fréquenter, dirigés par des ignorants; ces éléments essentiels, et un enseignement régulier sur les principes et la politique du Canada conservateur, représentent tout ce que nous souhaitons à l'heure actuelle. »
Mary Ann Shadd Cary et Mary Bibb interviennent dès les débuts de l'enseignement séparé au Canada, mais elles établissent également un lien entre l'accès des Noirs à l'éducation et les principes de la lutte contre l'esclavage, de l'émancipation et de la liberté. Malgré certaines différences idéologiques, les pédagogies de Mary Ann Shadd Cary et de Mary Bibb reposent sur la conviction que l'éducation est essentielle à l'égalité des personnes d'ascendance africaine. Ces femmes suivront leur formation pédagogique aux États‑Unis avant de s'installer au Canada, en grande partie parce que les écoles pour enseignants, connues sous le nom d'écoles normales, ne seront instituées au pays qu'après 1847. Dans certains cas, même après leur création, les enseignantes noires n'ont pas le droit de fréquenter les écoles normales canadiennes. Dans les États libres des États‑Unis, il y a une petite ouverture pour la formation d'éducateurs noirs sous les auspices d'institutions religieuses ou abolitionnistes, de missions, d'églises et de particuliers. L'Oberlin College en Ohio, par exemple, commence à admettre des étudiants noirs en 1835, mais avant la guerre civile américaine, de telles possibilités étaient rares.
Comme Mary Bibb et Mary Ann Shadd Cary, de nombreux autres enseignants noirs sont formés à l'étranger. Au Nouveau‑Brunswick, aucune loi officielle n'exige une éducation séparée pour les enfants noirs, mais la ségrégation « de fait » entraîne la création d’écoles entièrement noires pour servir cette population. Bien qu'il ne soit pas illégal pour les éducateurs blancs d'enseigner dans des écoles noires, aucun cas n'a été rapporté. Les écoles noires séparées ont du mal à recruter des enseignants qualifiés car elles sont chroniquement sous‑financées, ce qui freine considérablement leur pérennité.
Par exemple, en 1834, une école séparée est ouverte à Willow Grove, une colonie noire du Nouveau‑Brunswick fondée par des réfugiés américains qui ont fui l'esclavage avec l'aide de la marine royale britannique pendant la guerre de 1812. Après plusieurs pétitions de membres de la communauté noire, l'école finit par retenir les services d'un éducateur noir originaire des Caraïbes, Robert Lindsay Saunders. Cependant, Saunders démissionne en 1844 après avoir essuyé les critiques des inspecteurs du conseil et des citoyens de Willow Grove. Dans d'autres cas, la présence d'hommes comme Arthur Richardson met en évidence les racines diasporiques complexes des enseignants noirs au Nouveau‑Brunswick.
Bien qu'aucune loi officielle ne leur interdise d'enseigner dans les écoles publiques, les enseignants noirs sont confrontés à des pratiques d'embauche discriminatoires qui limitent leur accès à l'emploi dans la province. La carrière de Mary Matilda Winslow suit une trajectoire similaire à celle d’Arthur Richardson. Née à Woodstock, au Nouveau‑Brunswick, elle obtient un baccalauréat ès arts en lettres classiques à l'Université du Nouveau‑Brunswick en 1905. Bien qu'elle ait reçu les plus hautes distinctions, Mme Winslow ne parvient pas à trouver un emploi et quitte le Nouveau‑Brunswick pour devenir doyenne du département d'éducation du Central College d'Alabama, un établissement exclusivement féminin. Comme presque toutes les écoles publiques blanches refusent de les embaucher, certains des éducateurs noirs les plus estimés et les mieux formés trouvent un emploi dans les grandes communautés noires de Nouvelle‑Écosse, du Canada‑Ouest ou des États‑Unis.
Parfois, les éducateurs noirs parviennent à trouver un emploi dans d'autres communautés marquées par la ségrégation, ce qui met en évidence les structures complexes et bien ancrées de l'éducation séparée. Ce sera le cas pour plusieurs générations de la famille Alexander, qui ont enseigné dans des pensionnats autochtones au début du XXe siècle.
Les ancêtres de la famille Alexander étaient d'anciens esclaves du Kentucky qui se sont installés dans le canton d'Anderdon, près d'Amherstburg, au Canada‑Ouest, dans les années 1840. Né à Anderdon en 1847, John H. Alexander suivra une formation pour devenir enseignant et ensuite directeur de l'école King Street à Amherstburg, où il travaillera pendant trente ans à partir de 1879. [TRADUCTION] « En raison de ses compétences, de sa connaissance des jeunes et de sa compréhension bienveillante de leurs difficultés, à l'école comme dans la vie, il était aimé de tous ses élèves et leur a donné un excellent exemple qui a permis à nombre d'entre eux de réussir dans des villes américaines et canadiennes », peut‑on lire dans le journal Amherstburg Echo.
Les filles de John H. Alexander, Mae et Ethel, ainsi que son fils Arthur, sont tous devenus enseignants à leur tour. En 1914, Mae et Ethel Alexander répondent à une annonce de la commission scolaire des Six Nations à la recherche d'éducateurs. Leur frère les rejoint deux ans plus tard, après avoir enseigné pendant trois ans à la Buxton Mission School – une école fondée dans le sud rural de l'Ontario par le révérend abolitionniste William King, qui dispensait un enseignement classique aux enfants noirs, en particulier à ceux dont les familles avaient fui l'esclavage aux États‑Unis.
Les trois enfants, ainsi que la femme d'Arthur, Ethel, vivaient dans la résidence de l'enseignant à Ohsweken, une communauté de la réserve des Six Nations de Grand River, près de Brantford, en Ontario. Dans le cadre du projet d'histoire orale de Buxton, réalisé dans les années 1970, Arthur et Ethel Alexander sont interviewés sur leur expérience. [TRADUCTION] « Je pense avoir assez bien vécu ici. Je referais la même chose, a déclaré Arthur. J'ai eu l'occasion d'aller ailleurs, mais je n'y voyais aucun avantage. Donc je suis resté ici, et je ne le regrette pas. »
Après avoir quitté la réserve des Six Nations, Mae est retournée enseigner à Amherstburg, tandis qu'Ethel s'est finalement installée au Honduras britannique (aujourd'hui le Belize) pour poursuivre sa carrière dans l'enseignement. Le fils d'Arthur, Arthur Alexander, a ensuite enseigné dans la région de Buxton, en Ontario, pendant quarante ans. Comme les possibilités d'emploi étaient limitées ailleurs au Canada, les longues carrières en enseignement de la famille Alexander témoignent de l'influence des éducateurs noirs sur les systèmes scolaires, tant au Canada qu'à l'étranger.
Dans les années 1950, la population étudiante canadienne augmente rapidement. Les administrateurs de conseils scolaires prennent plusieurs mesures pour remédier à la pénurie croissante d'enseignants résultant de l'augmentation de la population du pays, notamment en révisant les exigences en matière de formation. Les éducateurs noirs profitent des cours de formation d'urgence pour acquérir les qualifications requises et bénéficient de conditions d'admission plus souples, conçues pour recruter des enseignants dans l'ensemble du Commonwealth britannique. On embauche ainsi un nombre croissant d'éducateurs noirs, en particulier dans les écoles des zones urbaines, notamment à Toronto.
Bien que Toronto compte une importante population noire depuis les années 1800 – en grande partie en raison de la migration des Loyalistes noirs et des Afro‑Américains fuyant l'esclavage aux États‑Unis – aucun éducateur noir n'avait été employé dans les écoles publiques de la ville jusqu'à l'embauche de Wilson Brooks en 1952.
L'évolution de la formation et de l'immigration après la Seconde Guerre mondiale a également permis à des enseignants noirs formés à l'étranger d’accéder aux systèmes scolaires canadiens. Dans les années 1960, des instituteurs jamaïcains ont été recrutés pour travailler dans les écoles de l'Alberta. Leurs diplômes n'étant pas pleinement reconnus, ces enseignants recevaient souvent le niveau d'accréditation le plus bas de la province et devaient refaire leurs études avant de pouvoir progresser. Néanmoins, les enseignants des Caraïbes formés à l'étranger arrivent avec des compétences très recherchées, une formation approfondie dans leur pays d'origine et une expérience de l'enseignement en salles de classe. Bon nombre des éducateurs noirs qui ont répondu à la pénurie d'enseignants finissent par former la Mico Old Students Association, du nom du Mico University College de Kingston, en Jamaïque, où ils ont été formés. Plusieurs éducateurs jamaïcains ont été recrutés pour travailler dans les régions septentrionales comptant un grand nombre d'élèves autochtones.
Mais il n’y a pas que les enseignants noirs formés à l’étranger qui éprouvent des difficultés d’accès à l’emploi et d’équité en Alberta. Même ceux qui sont nés ici constatent que leurs expériences au sein des systèmes scolaires sont marquées par une ségrégation sociale et institutionnelle systémique. Lorsque Gwendolyn Hooks commence sa carrière d'enseignante en 1942, elle est confrontée au racisme anti‑Noirs dans les écoles, notamment à des manuels discriminatoires et à des spectacles de ménestrels noirs.
L'après‑Seconde Guerre mondiale n'a pas seulement modifié la composition des classes canadiennes : cette période est également marquée par l'évolution du discours public au sujet de l'égalité des droits et des libertés fondamentales pour tous les êtres humains. En 1948, le Canada signe la Déclaration universelle des droits de l'homme et, dans les années 1950, presque toutes les provinces adoptent des politiques interdisant la discrimination en matière d'emploi, de logement et d'utilisation des installations publiques. L'Ontario adopte la Fair Employment Practices Act en 1951, la Nouvelle‑Écosse adopte une loi sur l’équité en emploi en 1953 et le Nouveau‑Brunswick se dote d’une loi similaire en 1959. Tout cela se déroule dans un contexte de mobilisation croissante du mouvement des droits civiques aux États‑Unis, qui vise la déségrégation des écoles et des installations publiques dans le Sud. En 1954, la Nouvelle‑Écosse supprime toute référence aux « races différentes » dans sa loi sur l’éducation, éliminant ainsi légalement le concept d’écoles ségréguées – bien que des écoles séparées pour les enfants noirs continueront d'exister dans la province jusqu'en 1983, date à laquelle la dernière fermera ses portes à Lincolnville. En Ontario, le député libéral Leonard Braithwaite, premier législateur provincial noir du Canada, plaide en faveur de la suppression d’une terminologie raciale dans la Common School Act, entraînant ainsi la fermeture de la dernière école ségréguée de l'Ontario en 1964. À la fin des années 1960, le cadre juridique justifiant l'existence d'écoles ségréguées pour les enfants noirs n'existe plus.
Tout au long des XIXe et XXe siècles, les instituteurs noirs créent de nouvelles approches de l'éducation en enseignant l'histoire des Noirs, en luttant contre la discrimination institutionnelle et en encourageant la réussite de leurs semblables. Au XXe siècle, des éducateurs de Toronto, comme Marlene Green, contribuent à la création et au maintien de programmes tels que le Black Education Project et le West Indian Social and Educational Research Project.
Dire que les enseignants noirs ont eu un impact durable sur les systèmes scolaires et les programmes d'études au Canada est un euphémisme. Leur rôle complexe et historique dans les systèmes scolaires canadiens met en lumière les liens entre leur professionnalisme et la reconnaissance de leurs compétences, les milieux de travail ségrégués et les établissements d’enseignement, ainsi que l’activisme en matière de justice sociale. Bien que confrontés à une série d’obstacles discriminatoires à tous les niveaux de leur formation, les enseignants noirs ont persévéré pour décrocher leurs diplômes et ont poursuivi leur mission d'éduquer non seulement les élèves noirs, mais aussi les autres enfants de leur communauté. À de nombreuses reprises, ils se sont battus contre la ségrégation et le sous‑financement des écoles, en particulier dans des provinces comme l'Ontario et la Nouvelle‑Écosse, où la ségrégation des écoles était autorisée par la loi. Dans d'autres cas, ils se sont servis de leur expérience de personnes d'ascendance africaine pour créer des lieux d'apprentissage inclusifs pour les enfants noirs. En fin de compte, les instituteurs noirs ont imaginé un système scolaire où tous les élèves et les enseignants seraient traités sur un même pied d'égalité, quelle que soit leur race, et où toutes les valeurs et tous les points de vue seraient respectés et entendus.
Mary Bibb
Mary Bibb ouvre sa première école pour enfants noirs dans sa maison, en 1851. Mary et son mari, Henry Bibb, fondent cette année‑là le journal Voice of the Fugitive afin de faire connaître les difficultés et les réussites des communautés noires du Canada‑Ouest, de favoriser l'immigration dans la région et d'obtenir un soutien pour le mouvement antiesclavagiste au Canada et aux États‑Unis. Mary Bibb a été formée à l'école normale de l'État du Massachusetts et a enseigné dans plusieurs écoles pour Noirs dans le nord des États‑Unis avant d'immigrer au Canada. Afua Cooper, professeure à l'Université Dalhousie, note qu'en tant qu'enseignante expérimentée, Mary Bibb s’est efforcée d’offrir des possibilités d'éducation aux élèves noirs.
Dans un article publié dans Voice of the Fugitive, le 1er janvier 1851, on peut lire ce qui suit : [TRADUCTION] « Dans le canton de Windsor, nous n'avons pas d'école, mais nous en avons grandement besoin. Sept milles [onze kilomètres] au nord de Windsor, il y a toute une colonie de gens de couleur qui ont besoin d'une école, mais n'en ont pas. Dans le canton de Sandwich, nous avons grand besoin d'une école. Mme M.E. Bibb a commencé avec 25 élèves dans sa résidence, avec l'espoir qu’on lui fournisse un lieu plus approprié, ainsi que des moyens pour poursuivre son activité correctement. Près du double d'enfants seraient heureux de fréquenter cette école, mais faute de moyens, ils ne peuvent pas le faire. »
Bien que la première école de Mary Bibb ait fermé ses portes en raison d'un soutien financier limité, elle ouvre une autre école privée en 1855 et enseigne dans une autre école en 1861. Lors de sa tournée des communautés noires du Canada‑Ouest en 1861, l'abolitionniste américain William Wells Brown écrit au sujet de la « belle et accomplie » Mary Bibb : [TRADUCTION] « Ses travaux du vivant de M. Bibb, et avec ce dernier, pour améliorer le sort des fugitifs, et ses efforts déployés depuis, sont trop bien connus pour que je les mentionne ici. Elle a ouvert une école privée d'environ 40 élèves, pour la plupart des enfants de la meilleure classe de Windsor. »
Arthur Richardson
Né aux Bermudes, Arthur Richardson est considéré comme le premier Noir à fréquenter l'Université du Nouveau‑Brunswick. Il obtient un diplôme de lettres classiques avec mention en 1886. Incapable de trouver un emploi dans la province, Richardson travaillera finalement comme enseignant et directeur au Wilberforce Educational Institute de Chatham, en Ontario, puis enseignera au Morris Brown College d'Atlanta. À propos des éducateurs noirs, il écrit : [TRADUCTION] « La majorité des enseignants noirs sont des femmes et des hommes chrétiens de haute moralité et, en tant que tels, sont des phares qui brillent dans la communauté dans laquelle ils peuvent être engagés à enseigner. Le bien qu'ils font ainsi ne se limite pas à l'école ou à la salle de classe, mais imprègne toutes les sphères de la société, ennoblissant et enrichissant les pensées et les esprits de tous ceux qu’ils rencontrent, à la fois par leur conversation chaste et par leur vie droite et pieuse ». L'oncle de Richardson, Thomas Richardson, était également éducateur et enseignait à Saint John, au Nouveau‑Brunswick.
Wilson Brooks
Né à Windsor (Ontario) en 1924, Wilson Brooks a servi dans l'Aviation royale du Canada pendant la Seconde Guerre mondiale. Lorsqu'il a été engagé par le Toronto Board of Education, il avait déjà enseigné aux Bermudes et était un membre actif de la communauté noire canadienne de Toronto. Dans le numéro du 25 septembre 1952 du magazine Jet, Brooks mentionne : [TRADUCTION] « Le jour de l'ouverture, la première chose que mes élèves ont remarquée à mon sujet était ma couleur. Maintenant, ils me connaissent en tant que professeur et en tant que personne. Je pense que cette première impression a disparu. Ils constatent maintenant que la couleur de la peau d'une personne n'est pas importante ».
En 1978, il participe à la fondation de l'Ontario Black History Society, qui existe toujours aujourd'hui. Les éducateurs comme Brooks ont des liens de longue date avec les communautés noires canadiennes et utilisent ces réseaux communautaires pour créer des espaces d'apprentissage pour les classes de plus en plus diversifiées du Canada. Ils ont créé des approches pédagogiques favorisant l'apprentissage de tous les enfants, mais surtout des Canadiens noirs.
Gwendolyn Hooks
Les parents de Gwendolyn Hooks ont quitté l'Oklahoma pour s'installer en Alberta, dans le cadre de la première migration de colons noirs dans la province, entre 1908 et 1911. Dans une interview accordée à l'Alberta Labour Institute en 2001, Gwendolyn Hooks parle de ses succès en tant qu'enseignante dans diverses écoles de la province. « Lorsque je suis revenue à Breton, j'enseignais à l'école Funnel, où la plupart des enfants étaient plus âgés. Certains d'entre eux étaient en neuvième ou dixième année. C'étaient de grands garçons, et c'était donc une école difficile à gérer, difficile à diriger. On nous donnait une prime de cent dollars par an, ce qui n'était pas beaucoup, mais tout de même, cent dollars par an si vous enseigniez dans l'une de ces écoles au contexte difficile, explique Mme Hooks. Dans cette école, il y avait environ six élèves noirs. Nous avons donc enseigné [et] nous avons joué à des jeux et nous sommes sortis en hiver pour faire du toboggan. Je participais à toutes les activités avec les enfants. »
Gwendolyn Hooks a pris sa retraite après trente‑cinq ans d'enseignement et a publié en 1997 The Keystone Legacy : Reflections of a Black Settler, qui met en lumière les expériences des familles pionnières noires en Alberta.
Marlene Green
En 1969, l'activiste et éducatrice Marlene Green fonde le Black Education Project (B.E.P.), un programme de tutorat après les heures de classe, afin de « donner à ses frères et sœurs de la communauté la chance de développer les compétences nécessaires à leur survie et à l’établissement d'une communauté noire forte ». Le B.E.P. défend les intérêts des élèves noirs et de leurs parents dans le système scolaire de Toronto et adopte une approche holistique en soutenant des programmes culturels et récréatifs ainsi que l'activisme communautaire.
Le programme mettait l'accent sur la pensée panafricaniste et le soutien aux luttes anticoloniales dans les Caraïbes, mais visait également une intervention pour répondre aux préoccupations sociales à l'intérieur et à l'extérieur du cadre scolaire, notamment le traitement, parfois violent, réservé aux jeunes Noirs par les forces de l'ordre. Mme Green a ensuite été chargée des relations avec la communauté pour le conseil de l'éducation de Toronto, comblant ainsi le fossé entre la communauté et l'école, et elle a coécrit le premier rapport du conseil sur les expériences des élèves noirs. Grâce à son travail avec le B.E.P., Mme Green a démontré l'importance des éducateurs noirs dans le soutien des communautés noires et dans la lutte contre les diverses formes de discrimination, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des établissements scolaires.
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