French Connection

L’histoire de Saint-Pierre-et-Miquelon est liée à celle du Canada depuis des siècles.
Texte par Nancy Payne Mis en ligne le 31 janvier 2025

Lorsque quatre mille kilomètres de mers froides du Nord vous séparent de la mère patrie et qu’un jeune pays étranger se profile à l’horizon, vous ressentez sans doute le besoin impérieux de développer une culture qui vous est propre. L’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, une « collectivité d’outre-mer » française d’environ six mille habitants située juste au large de la péninsule de Burin, à Terre-Neuve, parvient à être à la fois rude comme le Nouveau Monde et raffiné comme l’Ancien Monde – c’est-à-dire résolument français, mais avec une histoire unique qui est presque inséparable de celle du Canada. 

Lorsque notre ferry en provenance de Fortune, à Terre-Neuve-et-Labrador, entre dans le port de Saint-Pierre, la première chose que nous voyons, ce sont des maisons colorées qui s’élèvent le long d’un rocher géant qui émerge de l’océan. Le paysage nous dit que nous sommes toujours à Terre-Neuve, mais les drapeaux tricolores et les camionnettes de livraison Citroën crient « Vous êtes en France! ». Mon fils aîné veut acheter des timbres et découvre qu’il ne lui reste qu’une vingtaine de minutes avant que le bureau de poste ne ferme pour le reste de la journée... puis pour le week-end. Nous sommes bien en territoire français. 

Lauriane, notre guide qui nous présente l’architecture locale, souligne que les maisons ont été construites – et, en raison des incendies fréquents, reconstruites – au fil des siècles en utilisant du bois importé du Canada. Tous les aspects de la vie à Saint-Pierre sont subventionnés par le gouvernement français, y compris les bardeaux en bois véritable et la peinture dont on revêt régulièrement les maisons. 

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Lorsque le gouvernement collaborationniste de Vichy prend le pouvoir en France en 1940, pendant la Seconde Guerre mondiale, le Canada se trouve soudain confronté à une présence hostile à proximité de ses côtes. La province voisine de Terre-Neuve, alors encore une colonie britannique, et le Canada craignent tous deux que l’Allemagne n’utilise Saint-Pierre comme base pour lancer une attaque. Alors que la Grande-Bretagne rejette la proposition de Terre-Neuve d’envahir l’archipel, le Canada soutient discrètement les plans visant à le libérer. Lors d’une pause devant le monument aux morts, Lauriane nous explique que le 24 décembre 1940, un petit groupe de Français de la zone libre débarque à Saint-Pierre et ramène le gouverneur sur l’un de leurs navires. L’opération durera moins d’une heure. Le jour de Noël, les habitants votent en faveur du putsch, faisant de Saint-Pierre la première partie de la France à être libérée. 

Le Canada joue également un rôle important dans la période la plus prospère de l’histoire de Saint-Pierre : la prohibition. Les distilleries canadiennes continuent de produire de l’alcool et le vendent légalement en passant par l’avant-poste français, où d’immenses entrepôts se dressent bientôt le long du front de mer. Les contrebandiers d’alcool envoient leurs commandes par courrier ou par télégraphe, et des équipes bien organisées de Saint-Pierrais (résidents de l’île) transportent les bouteilles demandées sur des chariots ou des traîneaux jusqu’aux quais, en vue d’une éventuelle vente aux États-Unis. « Nos rues étaient littéralement pavées des bénéfices de la prohibition », nous explique Jean-Pierre, notre guide pour l’après-midi. 

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Le lendemain matin, j’embarque très tôt sur un ferry à destination de l’île voisine de Miquelon, tandis que mes fils adolescents restent sur place pour explorer les sites touristiques, tels qu’un cimetière dont les tombes sont exposées au-dessus du sol, et pour goûter à la crème glacée locale. Mon ferry est bondé d’excursionnistes et de propriétaires de chalets; apparemment, de nombreux habitants fuient l’agitation de Saint-Pierre (5 500 habitants) pour passer leurs vacances à Langlade, qui était autrefois une île distincte, mais qui est désormais reliée à Miquelon par un banc de sable. Nous jetons l’ancre au large et montons à bord d’un Zodiac, où l’équipage empile dangereusement des glacières, des bagages et, naturellement, de grands contenants en plastique remplis de pâtisseries soigneusement emballées. 

Le chauffeur nous emmène, un couple d’Américains et moi, visiter la paisible Miquelon, sous le soleil et la brise d’un dimanche tranquille. En me promenant dans le village, également appelé Miquelon, je suis surprise de voir des potagers florissants dans les cours soigneusement clôturées. On retrouve à Miquelon de petites exploitations agricoles et maraîchères, puisque la terre y est sablonneuse et relativement fertile par rapport à celle de Saint-Pierre, plus rocheuse. 

Au centre du village, à côté de l’église Notre-Dame-des-Ardilliers, se dresse un monument à la mémoire des Acadiens qui ont été parmi les premiers colons permanents de l’archipel. Ils s’y sont installés après avoir été expulsés de ce qui forme aujourd’hui les provinces maritimes, lors du Grand Dérangement du milieu du XVIIe siècle. Les histoires de nos deux pays sont étroitement reliées, comme on peut le constater. 

Les tragédies qui se déroulent dans les eaux de Saint-Pierre-et-Miquelon font également partie de ces histoires. Plus de six cents navires y ont fait naufrage depuis les années 1800; des navires canadiens ont même été perdus au cours des dernières décennies. Vous pouvez découvrir l’histoire des naufrages au musée Archipélitude, situé dans une ancienne école en face du port de Saint-Pierre, sur l’île aux Marins. L’île, qui abrite aujourd’hui essentiellement des chalets, propose également aux visiteurs un monument aux morts et des sentiers de randonnée. 

Pour les Canadiens habitués à être éclipsés par tout ce qui est américain, il peut être étrange de voir notre pays passer pour le voisin dominateur. Par exemple, les Saint-Pierrais se sont sentis écrasés par l’effondrement des stocks de morue de la côte Est et le moratoire imposé par le Canada dans les années 1990. 

Tous ceux qui s’intéressent aux histoires de notre passé trouveront particulièrement fascinant de découvrir de nouvelles perspectives dans ce petit coin de France unique. 

Cet article est paru dans le numéro August-September 2019 du magazine Canada’s History.

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