Territoire algonquin
Le territoire traditionnel des Algonquins a toujours compris la vallée de l’Outaouais et les terres adjacentes, à cheval sur la frontière de ce qui est aujourd’hui le Québec et l’Ontario. Contrairement à la majeure partie de l’Ontario et aux Prairies, les terres algonquines n’ont jamais fait l’objet d’un Traité de partage du territoire. Le titre de propriété des Algonquins continue d’exister.
Le territoire de la Nation algonquine vers 1850-1867. Cette carte est provisoire. Les frontières reposent sur les résultats des recherches menées à ce jour et pourraient être appelées à changer (Secrétariat de la Nation algonquine, 2018).
La carte montre également les parties de la frontière couvertes par la Proclamation royale de 1763, émise par le Roi George III à l’issue de la Guerre de Sept Ans. La Proclamation contient des dispositions importantes concernant les droits des Premières Nations relativement à leurs territoires traditionnels.
Avant l’arrivée des Européens, les ancêtres des Algonquins d’aujourd’hui étaient déjà bien établis dans la vallée de l’Outaouais. À l’origine, le peuple que l’on appelle aujourd’hui les Algonquins portait des noms différents. Le prêtre jésuite Pierre-François Xavier de Charlevoix, dans son Journal d’un voyage dans l’Amérique septentrionale de 1744, parle des Algonquins, Nipissings, Timiskamings, Têtes-de-Boules et Gens des Terres. À la fin du 19e siècle, le terme « Algonquin » est retenu pour désigner le peuple occupant le bassin hydrographique de la rivière des Outaouais. Il avait pour voisins les Mohawks (à l’est), les Attikameks et les Cris (au nord-est et au nord) et les Anishinaabes (à l’ouest et au sud).
Actuellement, il y a dix Premières Nations algonquines reconnues comptant près de onze mille membres. Neuf de ces communautés se trouvent au Québec : Kitigan Zibi, Barriere Lake, Kitcisakik, Lac Simon, Abitibiwinni, Long Point, Timiskaming, Kebaowek et Wolf Lake. Pikwakanagan est en Ontario. Trois autres Premières Nations en Ontario sont en partie d’origine algonquine, par filiation : Temagami, Wahgoshig et Matachewan.
Avant l’arrivée du chemin de fer, les voies d’eau étaient les principales voies de communication et de transport. La rivière des Outaouais était l’autoroute qui reliait le Saint- Laurent et la partie supérieure des Grands Lacs et les terres intérieures du Nord. Dans les Relations des Jésuites de 1636, on note que les Algonquins et les Nipissings contrôlent cette route stratégique : « Les Hurons et les Français installés en pays huron et qui souhaitent descendre jusqu’ici, traversent en premier lieu les territoires des Nipissings, et longent l’Île des Allumettes, dont les habitants leur causent chaque année des problèmes, en exigeant un droit de passage pour tous les canots des Hurons, des Ottawas et des Français. »
Comme le documente Gilles Havard dans La Grande Paix de Montréal de 1701 : les voies de la diplomatie franco-amérindienne, les Français ont bénéficié commercialement et militairement de cet accès aux hautes terres du pays que leur garantissait leur alliance avec les Algonquins et les Nipissings. Mais d’après ce que l’on peut voir dans les livres de comptes de la Compagnie de la Baie d’Hudson qui ont été conservés (par exemple ceux de Fort Albany en 1695), les Algonquins s’adonnaient également au commerce avec les Anglais à la baie James, si cela signifiait de meilleures affaires.
En partie pour équilibrer les pouvoirs et en partie pour accélérer le processus, les Anglais et les Français ont eu recours aux pratiques et protocoles des Premières Nations dans leurs relations politiques, commerciales et militaires avec les Algonquins et d’autres nations, notamment en offrant des présents, en échangeant des ceintures wampum et en établissant des Traités. Par exemple, en juillet 1759, Sir William Johnson, qui administrait les relations avec les Autochtones pour les Britanniques, a tenu conseil avec les Chippeways (Anishinaabes) et relate ainsi ses échanges avec Tequakareigh, un de leurs Chefs : « Avec une ficelle et deux ceintures wampum, je lui souhaite la bienvenue et lui serre la main. À la deuxième, qui est une ceinture noire, je lui prends la hache des mains et je lui recommande, à lui et à toutes les nations environnantes, une entente de chasse et de commerce, ce qui vaut mieux que de se quereller avec les Anglais ».
À ce moment précis de la Guerre de Sept Ans, alors que la lutte que se livrent les Français et les Britanniques pour contrôler l’Amérique du Nord septentrionale tire à sa fin, les Britanniques s’efforcent d’obtenir la neutralité des alliés autochtones des Français, voire à conclure des alliances. Il s’agit notamment des Algonquins, qui contrôlent les voies maritimes permettant d’accéder à Montréal et à Québec. Vers la fin d’août 1760, Johnson conclut un Traité avec neuf Premières Nations à Swegatchy (Oswegatchie) près de l’endroit aujourd’hui appelé Ogdensburg, New York, « où ces Nations conviennent de rester neutres à condition que nous les traitions en amis à partir de maintenant et que nous oubliions nos confrontations du passé ». Selon les Premières Nations, le Traité de Swegatchy comportait la garantie que les Britanniques « nous accordent le droit d’occuper les terres sur lesquelles nous vivons, en paix et en tranquillité ». Ce Traité ouvrait aux Britanniques la route vers Montréal.
L’article 40 des articles de la capitulation de Montréal, rédigés par le gouverneur français Pierre de Rigaud de Vaudreuil et acceptés par les Anglais le 8 septembre 1760, prévoit que les anciens alliés autochtones de la France « restent sur les terres qu’ils habitent, s’ils le souhaitent. Ils ne doivent en aucun cas être maltraités. » Les Britanniques concluent également un Traité directement avec les Premières Nations à Kahnawake les 15 et 16 septembre 1760, qui confirme les modalités de cette paix. Dans les mois suivants, les officiers britanniques rassurent régulièrement les anciens alliés des Français et leur promettent de ne pas porter préjudice à leurs droits au territoire.
Par exemple, le 11 juillet 1761, le général Jeffrey Amherst écrit à Johnson : « Les Indiens peuvent être assurés que je les protégerai sur leurs terres; qu’ils en disposent ou non, la décision leur revient entièrement; je ne les obligerai jamais à céder ces terres, mais protégerai celles qu’ils occupent. Je n’ai aucune intention d’interférer avec leurs territoires, sauf pour y installer les postes que je juge nécessaires afin de garantir la protection de ce pays pour le Roi. »
Malheureusement, ces promesses ne sont pas toujours tenues, menant à des frictions et à une rébellion intertribale contre les Anglais, dirigée par Pontiac, un Chef de guerre Odawa. La Proclamation royale de 1763 du Roi George III visait en partie à fournir aux Premières Nations des garanties additionnelles que les « fraudes et abus » et la mainmise des colons sur leurs territoires cesseraient. Elle reconnaît les droits territoriaux préexistants des Premières Nations et établit les principes d’un processus officiel de négociation de Traités, où les terres autochtones ne peuvent être cédées par ces derniers qu’avec leur accord et contre compensation équitable.
Les Algonquins sont des acteurs de ces événements. Ils sont présents lors de la négociation des Traités de Swegatchy et de Kahnawake et ont reçu des copies de la Proclamation royale. Ils ont également conservé des ceintures wampum qui remontent à cette époque; elles racontent en quelque sorte les événements et les engagements qui ont été pris. Ces ceintures ont été présentées au premier ministre du pays et aux premiers ministres des provinces lors de la conférence des premiers ministres de mars 1987 à Ottawa. Le Chef Solomon Matchewan, son fils Jean-Maurice et une délégation d’Algonquins expliquent aux ministres ce que symbolisent les ceintures, incluant le pacte dit des Three Figure Covenant : « Le représentant de la nation française d’un côté et le représentant de la nation anglaise de l’autre, au centre se trouvent les Premières Nations. Il a été convenu à cette époque que les nations indiennes seraient toujours les chefs de leurs territoires et que tout ce qui devait être négocié devait l’être avec le peuple indien... »
« Ce pacte a été confirmé par les articles de la capitulation de 1760 et la Proclamation royale de 1763. Il est important que cette rencontre ait lieu en territoire algonquin. Notre peuple n’a jamais cédé ce territoire; néanmoins, on nous oblige à rester dans des réserves. Ce n’est pas ce que nos ancêtres avaient négocié. Ce pacte, qui a été conclu avec les Anglais et les Français, et qui est représenté sur ces ceintures wampum, s’est peut-être effacé de vos mémoires, mais il est resté bien vivant dans les nôtres. »
The Timber Raft, par Frances Anne Hopkins, 1868, montre des billots que l’on fait flotter sur une rivière du Québec afin de les transformer. Au 19e siècle, on a commencé à voir arriver un afflux de bûcherons non autochtones qui récoltaient le bois sur les territoires traditionnels algonquins.
Entre 1766 et 1861, une série d’instructions royales, d’ordonnances et de lois confirment et reprennent les assurances qui ont été faites par les Britanniques concernant la protection des territoires autochtones, incluant les protections contre toute incursion non autorisée.
La proclamation de Guy Carleton, gouverneur de Québec, datée du 22 décembre 1766, en est un exemple : « Le lieutenant-gouverneur et le Conseil de cette province enjoignent tous les habitants et leur ordonnent d’éviter tout conflit avec les Indiens et de les traiter comme des amis et frères ayant droit à la protection royale de Sa Majesté; si lesdits habitants installent une colonie sur les terres des Indiens, ils devront l’abandonner sans délai, sous peine de quoi ils seront poursuivis pour avoir troublé la paix dans la province avec toute la rigueur de la loi ».
Cependant, pour diverses raisons, les assurances concernant la protection des territoires autochtones et la nécessité de conclure des Traités avant toute activité de colonisation, assurances fournies par les Britanniques à partir de 1760, ne s’appliquent pas aux Algonquins et à leurs territoires.
La pression pour occuper une plus grande partie du territoire s’intensifie après la fin de la Révolution américaine de 1783, lorsque les loyalistes britanniques remontent vers le Canada pour s’y installer. Les Algonquins s’en inquiètent et demandent au gouvernement de protéger leurs terres et de négocier des Traités avant que toute colonisation puisse avoir lieu.
Lors d’un conseil entre les Nipissings, les Algonquins et le colonel John Campbell, tenu le 14 juillet 1794, les Chefs se plaignent que les pressions exercées par les colons obligent d’autres tribus à empiéter sur leurs territoires de chasse et « que nous ne pouvons plus subvenir aux besoins de nos familles, nous mourrons de faim l’hiver et ne pouvons plus payer nos dettes. » Ils demandent également que les colons ne leur prennent pas plus de terres et que l’un d’entre eux, en particulier, soit expulsé : « Il y en a un parmi eux, le capitaine Fortune, qui nous cause de graves problèmes. Il nous empêche d’installer nos filets sur la rivière, disant que le poisson lui appartient, et il nous empêche même de chasser la perdrix, affirmant qu’elles lui appartiennent. Il nous empêche de prendre du bois pour faire bouillir l’eau et détruit même nos tentes et nous empêche de camper. Nous vous demandons de l’expulser avant qu’un de nos jeunes lui fasse un mauvais parti. En outre, le Maître de la Vie nous a donné les bois et les berges et le droit d’y prendre tout ce qu’il est raisonnable de prendre. »
Les bâtiments du Parlement, qui se trouvent sur un promontoire surplombant la rivière des Outaouais, se trouvent sur des territoires traditionnels algonquins. Les revendications territoriales des Algonquins couvrent environ 36 000 kilomètres carrés dans l’est de l’Ontario – une région habitée par plus de 1,2 million de personnes.
S’ensuit une longue série de requêtes auprès de diverses autorités impériales et locales dans les décennies suivantes. Une de ces requêtes des Algonquins, datant de l’automne 1824, est remise à Sir John Johnson, surintendant général des Affaires indiennes et fils de Sir William Johnson. Les Chefs remettent à John Johnson la copie originale de la Proclamation royale de 1763 qui leur a été donnée soixante ans auparavant par son père. Au bas de la proclamation, ce dernier a écrit : « À la demande de bonne foi des Algonquins, j’appose mon nom ici. John Johnson. God Save the King. »
Leurs inquiétudes vont croissantes alors que l’industrie du bois remonte la rivière des Outaouais et ses affluents au cours des premières décennies du 19e siècle. Le 29 juin 1835, James Hugues, surintendant du ministère des Affaires indiennes, envoie une requête des Algonquins et Nipissings qui brosse le tableau de la situation : « Ils affirment que leurs terrains de chasse sont entièrement ruinés par les colons blancs, à qui ces terrains ont été concédés, par les occupants qui ont pris possession de certaines parties de ce territoire, mais surtout par les bûcherons qui mettent le feu à la forêt, ce qui détruit la collecte des peaux et du castor et fait fuir le chevreuil. C’est par nécessité qu’ils tiennent à exposer leurs griefs. »
Ironiquement, le seul Traité visant les terres algonquines n’a pas été conclu par les Algonquins, mais par les Mississaugas, et concerne des territoires au nord de ce qui est aujourd’hui Kingston, en Ontario, jusqu’à la rivière des Outaouais. Un fait qui est amèrement souligné par les Chefs : « Nos requérants ont récemment appris avec surprise que la tribu des Mississaugas a vendu au gouvernement du Haut-Canada une certaine partie de nos territoires de chasse et touchent une rente pour ces mêmes territoires représentant 642 £ dix fois par année sans notre connaissance et sans notre consentement ou participation, sous quelque forme que ce soit; nos requérants réclament justice auprès de Son Excellence; ils souhaitent que la vente des Mississaugas soit annulée et que ladite rente soit payée à nos requérants. »
Malgré leurs protestations, aucun Traité territorial ne sera directement négocié avec les Algonquins et ils ne recevront aucune compensation pour leurs terres. Le bois était trop précieux et le gouvernement impérial n’était pas prêt à se battre contre les intérêts des puissants colons, à une époque où il essaie justement de se départir de ses responsabilités à l’égard des colonies et de les laisser subvenir elles-mêmes à leurs besoins. À l’époque de la Confédération, le gouvernement du Québec refusait tout simplement d’évoquer la notion de Traité et, pour sa part, le gouvernement de l’Ontario était hostile à l’idée de reconnaître les intérêts des Algonquins sur le côté sud de la rivière des Outaouais.
Cette hostilité entraîne même la création de réserves pour les Algonquins. Le peuple de Golden Lake (Pikwakanagan) est obligé d’acheter ses propres terres en 1873. Au Québec, des territoires sont réservés, de mauvaise grâce, à River Desert et à Timiskaming en 1851 ainsi qu’au Lac Simon et Rapid Lake en 1961-1962. Les Algonquins d’Abitibiwinni utilisent leurs propres fonds pour acheter leur réserve d’Amos en 1956; et le Canada achète une petite réserve pour les Kebaoweks en 1974. Aujourd’hui, trois communautés algonquines (Wolf Lake, Kitcisakik et Long Point) n’ont toujours pas de réserve qui leur appartienne. En ce qui concerne sa communauté, le Chef Harry St. Denis de Wolf Lake affirme que « la Première Nation de Wolf Lake est l’une des plus anciennes Premières Nations algonquines reconnues, mais elle demeure sans territoire, ce qui constitue un grave désavantage pour nous au moment de demander des programmes et des services pour nos membres. Nous voulons réparer cette injustice par la négociation, ou en faisant appel au Tribunal des revendications particulières ou encore aux tribunaux. »
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Ainsi aujourd’hui, 258 ans après les Traités de Swegatchy et de Kahnawake, et 255 ans après la Proclamation royale de 1763, le titre de propriété autochtone des Algonquins, qui englobe Ottawa, la capitale nationale, demeure un problème à résoudre.
Ainsi aujourd’hui, 258 ans après les Traités de Swegatchy et de Kahnawake, et 255 ans après la Proclamation royale de 1763, le titre de propriété autochtone des Algonquins, qui englobe Ottawa, la capitale nationale, demeure un problème à résoudre.
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