Des soins pour tous
Winnipeg, février 1914
— Attendez! Arrêtez! s’écria Tommy tandis que son bonnet s’envolait. Les deux garçons qui tiraient le traîneau s’arrêtèrent brusquement, et Tommy tomba dans le banc de neige avec ses béquilles. Il se redressa en grimaçant et alla chercher son bonnet en boitant.
— On a dit qu’on t’amènerait à l’école à l’heure, lança Jerzy avec un grand sourire, mais seulement si tu t’accroches!
Tommy ne pouvait pas leur en vouloir. Après tout, il s’était attendu à rester coincé à la maison avec ses béquilles pendant des mois. Alors, quand ses amis étaient arrivés ce matin-là avec un traîneau, leur gentillesse l’avait laissé sans voix.
En faisant semblant d’être fâché, Anton déposa délicatement les béquilles à côté de Tommy. — Sais-tu quand elle va guérir, cette jambe?
— Je ne sais pas, répondit Tommy en soupirant. Ils m’ont opéré bien des fois, mais ça ne guérit jamais vraiment. J’espère que ça sera différent cette fois-ci.
Ses amis hochèrent la tête. Ils venaient eux aussi de familles d’immigrants pauvres. Tommy était né en Écosse, mais heureusement, il ne les regardait pas de haut parce qu’ils arrivaient de Pologne et d’Ukraine. Ils savaient tous ce que c’était de ne pas pouvoir se payer un médecin.
— La cloche sonne! s’écria Tommy. Pouvez-vous tirer plus vite?
— Tiens bien ta tuque! lança Anton en baissant la tête pour foncer vers l’école malgré le vent.
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Tommy tira la mince couverture de l’hôpital jusqu’à son menton. Même si tout le monde était gentil, il aurait bien aimé être n’importe où ailleurs. Et cesser d’avoir tout le temps mal à la jambe.
Ses parents discutaient à l’extérieur de sa chambre, d’une voix inquiète et tellement basse qu’il ne comprit que quelques mots ici et là : « trop cher » et « pas d’autre choix ».
Sa mère laissa échapper un petit sanglot quand ils revinrent se poster à côté du lit. Le visage de son père affichait une douleur d’un autre genre. — Le médecin dit que l’infection est maintenant dans ton os, Tom. La seule chose qu’il reste à faire, c’est de te couper la jambe.
Tommy n’en croyait pas ses oreilles. — Il y a une opération plus compliquée, mais elle coûterait une petite fortune... commença sa mère. Tu te débrouilles bien avec tes béquilles, et tu vas avoir beaucoup d’aide.
Il avait envie de vomir, mais il savait que ses parents avaient raison. Il n’y avait rien à faire. Il ne pourrait plus jamais courir ni sauter. Il se retint de crier, les dents serrées. Le médecin qui fit irruption dans la chambre avait sûrement senti leur détresse, mais il n’en laissa rien paraître.
— Vous êtes les Douglas? Je suis le Dr Smith. Il paraît que Tommy a besoin d’une opération spéciale? demanda-t-il.
— Oui, mais nous n’en avons vraiment pas les moyens, répondit le père de Tommy.
— Ne vous en faites pas, dit le Dr Smith en souriant à Tommy. Si ça ne te dérange pas que mes étudiants assistent à l’opération, je serai heureux de la faire gratuitement.
En un instant, l’atmosphère de la chambre se détendit. Les Douglas en pleuraient presque de joie.
— Oh, docteur Smith! On ne vous remerciera jamais assez! dit Mme Douglas.
— Tu as entendu ça, mon garçon? ajouta M. Douglas. Tu vas être comme neuf!
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Le Dr Smith et ses étudiants étaient rassemblés autour du lit de Tommy. — Vous vous souvenez sûrement de ce gamin que j’ai opéré, disait le médecin. Il avait été question de lui amputer complètement la jambe, mais je dirais que notre patient se remet très bien. — J’espère que tu es d’accord, Tommy, ajouta-t-il en lui faisant un clin d’oeil.
Il se tourna vers les étudiants. — L’opération s’est bien passée, et je m’attends à ce qu’il puisse jouir d’une vie normale. Même si, évidemment, c’est bien dommage qu’il ne puisse pas plier son genou.
Tommy faillit éclater de rire. — Mais, docteur, je peux le plier! Pour le prouver, il leva sa jambe pliée et la redressa bien haut au-dessus du lit, ce qui faillit faire tomber les lunettes d’un des étudiants. Tout le monde se mit à rire en entendant cette bonne nouvelle inattendue.
Après le départ du Dr Smith et de ses étudiants, Tommy et ses parents se retrouvèrent seuls dans la chambre. — Je n’en reviens pas de la chance qu’on a eue, dit Mme Douglas pour la centième fois environ.
— C’est un homme bon, ce Dr Smith, dit M. Douglas pour la deux centième fois environ.
Mais la question qui trottait dans la tête de Tommy, il se l’était posée encore plus souvent. — Oui, j’ai eu de la chance, dit-il. Et le Dr Smith est bon, en effet. Mais qu’est-ce qui arrive à tous les autres enfants qui n’ont pas rencontré quelqu’un comme lui? Qui n’ont pas eu ma chance?
— Il ne faut pas t’en faire, Tommy, répondit son père en soupirant. Ta tâche, c’est de guérir.
— Mais ce n’est pas juste, protesta Tommy. Tout simplement pas juste.
— Tu as raison, dit sa mère en lui posant un baiser sur le front. Ce n’est pas juste. Mais c’est comme ça.
Quand Tommy Douglas était un petit garçon, en Écosse, il est tombé sur une pierre et s’est coupé le genou. Sa blessure s’est aggravée et, avant que sa famille déménage au Canada, il a subi des opérations pour essayer de régler le problème. Il n’a jamais bien guéri, et sa famille n’avait pas les moyens de payer pour l’opération qui aurait pu l’aider. À l’époque, il fallait payer pour toutes les visites chez un médecin ou à l’hôpital.
Nous avons imaginé les conversations de nos personnages, mais les grandes lignes de l’histoire sont vraies. Tommy Douglas n’a jamais oublié la gentillesse des jeunes immigrants qui étaient devenus ses amis (et, oui, qui l’amenaient à l’école en traîneau!), ni la chance qu’il a eue que le Dr R.H. Smith opère son genou gratuitement.
Il a dit plus tard : « Avec les années, j’en suis venu à penser qu’il ne devrait pas y avoir un prix à payer pour les services de santé. »
Tommy Douglas est devenu premier ministre de la Saskatchewan en 1944. Son gouvernement a créé le premier régime d’assurance-maladie au Canada, qui a rendu les soins médicaux gratuits pour tous. Ses idées ont fini par être mises en place dans tout le pays, et c’est pourquoi tu peux maintenant aller voir un médecin ou te rendre à l’urgence d’un hôpital sans que les adultes présents dans ta vie aient à s’inquiéter des coûts que cela entraînera.
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