Score de guerre froide pour les Canadiens
Une série de huit parties opposant des joueurs professionnels de la Ligue nationale de hockey aux joueurs « amateurs »» de l’Union soviétique s’est mise en branle le 2 septembre 1972 à Montréal. Vingt‐sept jours plus tard, les équipes présentes dans le vétuste Palais des sports de Loujniki — avec un dossier identique de trois victoires, trois défaites et un match nul — s’apprêtent à croiser le fer dans une ultime confrontation de guerre froide sur glace.
Équipe Canada doit remporter deux parties de suite à Moscou pour jouer le 28 septembre la huitième partie décisive. Trois mille Canadiens se sont envolés vers Moscou afin d’assister aux quatre dernières parties de la série. Des millions d’autres verront à la télévision Paul Henderson compter un but dans la dernière minute de jeu et mettre un terme à une remontée victorieuse de 6 à 5.
J’ignore ce que vous avez fait une fois la série terminée — ou comment vous vous sentiez —, mais il fallait être sur place pour vraiment saisir le moment. L’émotion ne pouvait être plus à son comble.
On a vu les joueurs d’Équipe Canada quitter la patinoire, index pointés au ciel, et les partisans canadiens — un très grand nombre en larmes — entonner avec émotion l’« Ô Canada » On a vu Ken Dryden, le gardien de but, traverser à fond de train la patinoire et se jeter sur la masse de coéquipiers qui enserrait Henderson dans une touchante manifestation d’amour.
L’expression la plus souvent répétée après cette remontée classique a été « off the floor ». « We came off the floor » (Nous avons plané), a dit l’entraÎneur‐adjoint John Ferguson. L’expression résonne toujours aujourd’hui.
Les Soviétiques bénéficient d’une avance de deux buts au début de la troisième période, mais semblent abasourdis lorsque Phil Esposito porte la marque à 5 à 4 en marquant son deuxième but.
Puis il y a une mêlée devant le but des Soviétiques. À la treizième minute, Yvan Cournoyer marque un des plus gros buts de sa carrière — mais la lumière rouge ne s’allume pas. L’arbitre a levé le bras pour signaler le but, mais le geste n’est pas vu par tous. Alan Eagleson, le directeur général de l’Association des joueurs de la Ligue nationale de hockey, est furieux car il craint que le but soit refusé.
M. Eagleson se précipite vers la patinoire depuis son siège dans les estrades, mais se heurte à un mur de policiers russes. Repoussé par un agent, il le bouscule à son tour. En un instant une demi‐douzaine de policiers l’empoignent et l’entraînent, qui en poussant, qui en tirant, vers la sortie la plus proche.
Témoins de la scène, plusieurs joueurs d’Équipe Canada accourent afin de sortir Eagleson de sa position fâcheuse. Ils lui font enjamber les bandes puis l’escortent vers le banc canadien de l’autre côté de la patinoire. C’est à ce moment que les portes à chaque extrémité de l’aréna s’ouvrent pour laisser entrer des dizaines de policiers, fusils en bandoulière. En quelques minutes, les policiers forment autour de tout le groupe un cordon serré, menaçant.
Rien n’a permis de savoir si l’incident a eu un effet sur les joueurs, mais, à mon avis, ce fut le cas. Après avoir pioché durant deux périodes pour demeurer en vie, après avoir entamé la troisième période en recul de deux buts, Équipe Canada a trouvé l’inspiration nécessaire pour jouer comme jamais auparavant.
Henderson a compté le but gagnant dans la sixième et la septième parties. Dans la dernière minute, il se retrouve devant le gardien soviétique, Vladislav Tretiak. Il lance la rondelle ... qui lui revient dans un rebond. Il la reprend et lance de nouveau. La lumière ne s’est pas encore allumée que déjà les joueurs lèvent leurs bâtons dans les airs. Dryden traverse la patinoire et les joueurs sautent par‐dessus les bandes. Dans les estrades, les Canadiens se lèvent et se regardent incrédules. Les gens qui ne se connaissent pas se jettent dans les bras les uns des autres dans une mer de drapeaux rouges canadiens. L’ultime partie de la série du siècle n’a pas été la plus belle partie entre toutes. Les émotions étaient fortes et les coudes portés haut durant tout le match. À un certain moment, des joueurs canadiens ont lancé des chaises sur la patinoire en guise de protestation contre une pénalité, et les spectateurs canadiens se sont levés et mis à scander : « Let’s go home! Let’s go home! » (Rentrons à la maison).
Alors, pourquoi cette victoire est‐elle si particulière?
À cette époque, presque vingt ans s’étaient écoulés depuis mes débuts comme chroniqueur des grandes compétitions sportives. J’ai toujours évité de manifester mes préférences — encore aujourd’hui d’ailleurs. Une équipe gagne, une équipe perd; le hockey n’est qu’un jeu. Mais je dois avouer que j’ai bondi sur mes pieds comme le reste des Canadiens à la suite du but de Henderson. Mes cris perçants se sont mêlés aux leurs. Les Canadiens qui étaient sur place, et les autres, se souviennent encore de ce but comme le plus formidable entre tous.
En lire davantage:
Pour qui résonne le métal : les malheureux Canucks voient leurs rêves de coupe anéantis.
Thèmes associés à cet article
Publicité