Souvenons-nous des enfants : Réflexions des enseignants
Nous avons demandé à deux enseignants primés de réfléchir à leur propre expérience en salle de classe et de nous faire part de leurs réflexions.
Craig Brumwell
École secondaire Kitsilano, Vancouver (Colombie-Britannique)
J’enseigne depuis 34 ans à l’école secondaire Kitsilano à Vancouver, une école d’immersion anglais-français de la 8e à la 12e année, fréquentée par 1 500 élèves. Kitsilano et le quartier environnant ont été nommés en l’honneur de Khatsahlano, un ancêtre respecté du peuple Salish de la Côte dont nous occupons aujourd’hui les territoires non cédés : Musqueam, Squamish et Tsleil Waututh.
Nous avons la chance à Kitsilano d’avoir lancé un programme de réconciliation, de relations et de représentation des peuples autochtones dans toute l’école. Depuis 2019, les élèves et le personnel ont eu l’occasion d’enrichir leurs connaissances sur les enjeux autochtones, de remettre en question les stéréotypes et le legs du colonialisme, et d’envisager un avenir qui passera par la réconciliation. Les invités autochtones nous ont fait profiter de leurs enseignements grâce à des discussions en personne et en ligne, à des présentations, à des périodes de questions et réponses et au dévoilement, en direct, d’une grande œuvre d’art tissée créée pour l’école par l’artiste musqueam, Debra Sparrow.
Le conseil scolaire de Vancouver a régulièrement organisé des présentations en ligne, des visites avec des gardiens du savoir et des séances de perfectionnement professionnel pour le personnel, par le truchement de son service d’éducation autochtone.
Bien entendu, cet apprentissage s’est également poursuivi en classe, où de plus en plus d’enseignants trouvent de multiples façons d’intégrer des sujets autochtones à leur enseignement.
Malgré les progrès réalisés dans notre communauté scolaire pour améliorer notre compréhension collective des concepts de justice, de vérité et de réconciliation, l’annonce des sépultures non marquées sur le site de l’ancien pensionnat de Kamloops a été difficile pour les élèves.
Dans le cours de sciences sociales de 11e année que j’enseignais à ce moment, nous venions de terminer un module de trois mois sur les pensionnats et leur legs. Les élèves ont découvert les abus, la négligence et le traumatisme intergénérationnel, et appris que près de 6 000 enfants autochtones ont perdu la vie dans ces pensionnats. La journée suivant l’annonce des sépultures non marquées a commencé par un message diffusé dans toute l’école, où l’on demandait à tous d’observer une minute de silence. Ensuite, on a proposé aux élèves des mesures de soutien pour les aider à composer avec cette triste nouvelle. J’ai regardé le visage stupéfait de mes élèves. Certains étaient en pleurs, d’autres étaient pris de stupeur, mais la plupart sont restés le regard fixe, en silence.
Nous avions déjà discuté de la possibilité que l’on trouve des tombes dans le futur, mais la nouvelle de cette découverte nous a pris par surprise. Ces enfants perdus n’étaient plus des numéros anonymes : leur corps était enterré dans un lieu qu’ils connaissaient bien. Les élèves voulaient exprimer leurs émotions et nous avons eu recours à la stratégie du « tour de classe ». En passant d’un élève à un autre dans la classe, chacun était encouragé à décrire ses émotions par un seul mot. Ils pouvaient également passer leur tour et contribuer à l’exercice plus tard, au moment qui leur convenait. Les élèves étaient clairement furieux, en colère, tristes, et ils avaient peur. Deux élèves ont demandé à quitter la classe.
La stratégie du tour de classe s’est révélée efficace pour déterminer qui éprouvait le plus de difficultés et qui pourrait bénéficier d’une rencontre avec un conseiller ou un enseignant en études autochtones. Il était également réconfortant pour les élèves d’entendre les autres parler de leurs émotions et de comprendre qu’ils n’étaient pas seuls. Nous avons poursuivi l’exercice avec une discussion où les élèves étaient invités à exprimer leur colère et à parler des prochaines étapes.
Il était crucial pour les élèves d’exprimer leurs sentiments, mais les enseignants ont jugé tout aussi important de donner aux jeunes des moyens d’agir et de se mobiliser pour amorcer un changement. À la fin de la semaine, tous les élèves ont reçu deux notocollants, un blanc et un orange. Sur le notocollant orange, ils devaient écrire un message de soutien pour les enfants perdus et les survivants des pensionnats. Sur le notocollant blanc, ils devaient écrire un message d’espoir en l’avenir — un message permettant d’entreprendre une nouvelle relation positive entre les peuples autochtones et non autochtones du Canada. On leur a également remis deux rubans : un blanc et un orange. Les notocollants ont été affichés dans le hall central. Sur la clôture entourant les terrains sportifs, le long de la 12e avenue, les élèves ont été invités à nouer leurs rubans. Ce geste était en fait leur propre engagement à préparer un avenir meilleur. On a compté plus de 3 000 rubans flottant au vent ce vendredi-là.
— Craig Brumwell, lauréat du Prix d’histoire du Gouverneur général pour l’excellence en enseignement (2015)
Geneviève Marois
École Ste-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus, Saint-Jérôme (Québec)
Mon nom est Geneviève Marois. J’enseigne au Québec, dans la ville de Saint-Jérôme, en 6e année (enfants de 11-12 ans). Notre école n’est pas en milieu défavorisé, mais, avec les années, notre cote change. Notre école d’environ 500 élèves a de plus en plus de besoins. De mon côté, j’enseigne depuis 2007 et j’ai de l’expérience surtout au 3e cycle du primaire. Pour la première fois, l’an passé, j’ai parlé avec mes élèves de l’histoire des pensionnats. Certains avaient quelques connaissances sur le sujet. Ils avaient écouté les nouvelles qui parlaient de découvertes de sépultures. Or, la majorité de mes élèves n’avaient aucune connaissance des faits.
Lors de l’annonce de la découverte de sépultures anonymes dans les pensionnats autochtones de Kamloops, mes élèves n’avaient pas beaucoup de connaissances sur le sujet. Avant d’entamer une discussion avec eux, nous avons lu un texte : « Les peuples autochtones jamais nous n’oublierons » acheté sur le site Mieux enseigner. Ce texte a pour but de sensibiliser les jeunes à la réalité autochtone et d’amener ces derniers à une prise de conscience face aux épreuves vécues par ces peuples. L’objectif de mon intervention était d’avoir des connaissances afin d’éviter de reproduire les erreurs du passé. Il est certain qu’un texte comme celui-là, qui nomme certains sévices vécus par les pensionnaires, amène des réactions. Certains élèves étaient surpris, d’autres fâchés et même tristes.
Lors de la lecture, j’ai pris des temps d’arrêt très fréquents afin de m’assurer de leur compréhension des mots, mais aussi des informations présentes. J’ai aussi fait des parallèles avec leur vie afin qu’ils comprennent bien la réalité de ces jeunes autochtones. La question qui revenait souvent : « Mais pourquoi? ».
Ce que j’ai apprécié de ce texte est qu’il démontre bien le contexte historique, politique et religieux de l’époque. Même si cela n’explique pas les gestes commis!
Lorsque vous vous préparez à avoir des discussions difficiles avec les élèves, il est important que l’activité demeure un choix de l’enseignant et non une obligation. Il faut se sentir à l’aise avec le sujet et se sentir prêt à répondre aux questions. Nous pouvons aussi déterminer nos limites avant le début de l’activité. Peut-être que l’enseignant ne désire pas parler de certains aspects comme les abus sexuels.
Il importe également de trouver ensuite un matériel qui explique bien le sujet et qui correspond à notre vision et nos limites. L’enseignant doit aussi éviter de blâmer, mais plutôt informer.
L’enseignant peut aussi diviser le tout en petites activités. Il est plus facile ainsi d’ajuster nos propos ou notre planification selon les réactions des élèves.
Il est important d’écouter les commentaires des élèves et de répondre à leurs questions. Lorsqu’on choisit de parler d’un tel sujet avec les élèves, il faut aller au fond des choses et ne pas laisser en suspens les émotions et les besoins des élèves.
On peut aussi trouver des solutions avec eux, comme la journée du chandail orange. Il faut parler des gestes de réparation. Démontrer aux enfants que le combat continue pour ces nations qui désirent seulement avoir la place qui leur revient dans notre pays. Bref, on termine sur du positif. Qu’est-ce que l’élève peut faire pour appuyer les communautés autochtones?
— Geneviève Marois, lauréate du Prix d’histoire du Gouverneur général pour l’excellence en enseignement (2016)
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