Transcription textuelle de la vidéo L’âge d’or
Montréal, avant d’être la ville du vice et des plaisirs, pour bien des gens c’est d’abord la capitale économique du Canada et c’est une grande ville portuaire. C’est le deuxième port céréalier en Amérique du nord, donc on peut dire que Montréal, c’est le New York du Canada et quand on est une grande ville comme ça, évidemment, de tous temps, il y a toujours eu de la délinquance et de la pauvreté.
Il y a des gens qui viennent de partout dans le monde, alors c’était déjà Montréal avant des années 1910, 1920, mais ce qui va se passer, c’est que aux États-Unis, grands mouvements de ligues de tempérance, donc qui veulent interdire l’alcool.
L’alcool c’est quand même, on doit le dire, à l’époque, autant au Canada qu’aux États-Unis, un énorme problème social qui touche beaucoup les classes ouvrières et donc les ligues de tempérance veulent faire œuvre social, mais ce faisant elles vont réussir à convaincre le gouvernement de carrément interdire la production et la commercialisation de l’alcool, et il va se passer le même phénomène au Canada, et plusieurs provinces vont décider de faire la même chose, sauf le Québec, parce que – je ne sais pas si c’est à cause du caractère latin des québécois, mais la solution, ça va être plutôt que de l’interdire, c’est de l’encadrer, et le gouvernement va créer ce qui s’appelle maintenant la Société des alcools du Québec, qui était la Commission des Liqueurs.
Donc, oui, c’était un peu compliqué d’aller acheter une bouteille d’alcool : il fallait faire la file, on sortait avec un sac de papier, il ne fallait pas que ça paraisse, mais tout ça va faire que la tolérance va s’installer ici et les Américains vont découvrir que, à quelques kilomètres de leurs frontières, il y a une grande ville qui permet de boire et, bien, on va décider de faire un certain tourisme très particulier à Montréal, et, avec les Américains va venir aussi l’argent des Américains et l’argent du crime organisé américain.
Alors, il va y avoir une prolifération de clubs, de cabarets qui vont animer la vie montréalaise, la rue Sainte-Catherine, et aussi dans l’ouest de la ville, et avec ça va venir aussi la consommation de produits moins licites, les drogues et évidemment le jeu et les bordels, donc la prostitution, et c’est vraiment ce qui va transformer le vieux centre-ville de Montréal qui va devenir ce qu’on va appeler à l’époque, ce qu’on appelle encore même s’il n’existe plus le Red Light.
Le quartier du Red Light est un quartier pour lequel on peut dire qu’il y a deux vies : sa vie du jour et il y a sa vie de soir. La vie de jour ça semble un quartier régulier de Montréal : on a les petites épiceries, les écoles, des familles ouvrières qui y habitent, il y a des petits commerces de quartier, des cinémas.
Il y a vraiment une vie de jour régulière bien tranquille, mais, quand tombe le jour, le quartier s’allume pour la nuit et là, il y a vraiment toute une autre vie. Alors c’est celle des cabarets, c’est celle des bars, des restaurants, des cinémas où là on a un mélange de gens ordinaires qui viennent aux spectacles, mais on a aussi celle des coulisses, celle des ruelles, où on va retrouver les danseuses, les chanteurs, des artistes de façon générale, mais aussi la pègre, le bookie, l’effeuilleuse, la prostituée, le travesti, le gambler, et c’est un monde qui s’entrecroise, qui s’entrelace, qui des fois se frotte un peu. Il y a vraiment tout un univers dans le Red Light.
Sainte-Catherine est illuminée. Il faut imaginer que Sainte-Catherine est un peu ce qu’est aujourd’hui Las Vegas, que le Red Light est un peu ça, que le Montréal nightlife, c’est un peu le Las Vegas d’aujourd’hui et que Sainte-Catherine est sa Strip.
C’est vraiment cette image-là. Et c’est de l’activité tout le temps, tout le temps. Les figures marquantes de ce Montréal la nuit, il y en a vraiment beaucoup. C’est riche, c’est dense. On a nos vedettes locales : Oscar Peterson, grand pianiste jazz. On a des vedettes internationales qui viennent : on peut penser aux vedettes américaines Frank Sinatra, Sammy Davis Jr, Ella Fitzgerald qui viennent sur les scènes à Montréal dans les années 1940-1950.
On a des gens de la France, donc Édith Piaf, Charles Aznavour, Patachou, Armand Monroe: je pense que ça vaut la peine de le mentionner. Il est peut-être moins connu, mais c’est parce que il va animer le premier spectacle, le premier cabaret uniquement homosexuel à Montréal en 1957. Et mais on a aussi des personnages qui font partie du monde illicite, qui sont aussi des vedettes un peu en soit. On peut penser à Harry Davis, Harry Ship, Vic Cotroni.
Ce sont les King pins de la mafia montréalaise, mais on les connaît. Ce ne sont pas des personnages qui sont effacés complètement, c’est des personnages qui pour certains possèdent même des clubs : Vic Cotroni va être propriétaire du Faisan Doré, et le Faisan Doré était un club excessivement important à Montréal à l’époque.
Donc, comme je disais, la faune se mélange entre le licite et l’illicite. On a des personnages aussi qui font partie du monde illégal, mais qui sont plus peut-être du domaine féminin.
On a toutes les Madames des bordels. On a par exemple, probablement la plus connue, c’est Anna Labelle Beauchamps qui, elle, ancienne prostituée, tranquillement va faire son chemin dans ce monde, dans cet univers-là et va devenir propriétaire de dizaines de bordels à Montréal, va devenir une femme très, très importante et très respectée, et on a l’univers des gens qui trouvent que ce Montréal-là fait peut-être pas vraiment bonne réputation, trouvent que Montréal est peut-être un peu olé-olé, trop osée, il y a trop de vices.
Et on a Pax Plante, par exemple, figure mythique de ce Montréal-là qui lui se donne pour mission personnelle de sauver Montréal des griffes de la pègre.
De 1946 à 1948, quand Pax Plante est chef de l’escouade de la moralité, il les appelle quand il fait des descentes, il appelle des journalistes, il dit : « Venez, je vais faire une descente à tel endroit ».
C’est les caméras, c’est l’article dans le journal et là, ça va être un feu roulant. Il va vraiment publiciser son travail, mais en 1948, il dérange trop. Le nouveau chef de la police, Albert Langlois, décide que trop, c’est trop.
Probablement qu’Albert Langlois a des choses peut-être à se reprocher : il est peut-être ami avec des gens avec qui il ne devrait peut-être pas, même s’il est chef de la police, et là, il dit «Non, ça suffit».
Et Albert Langlois est vraiment la bête noire de Pax Plante, mais il a le contrôle. C’est lui qui est le chef de police, donc il le met à la porte et Pax Plante n’a pas dit son dernier mot. Pax Plante va voir le propriétaire du journal Le Devoir et dit : «Moi, j’ai des choses à vous raconter». Donc de la fin de 1948 au début 1949 il va publier, semaine après semaine, des articles qui s’intitulent Montréal sous le règne de la pègre et c’est vraiment - il nomme des noms, il donne des adresses.
C’est vraiment un feu roulant d’accusations, et lui, ça fait des années et des années qu’il accumule les preuves. Je vous dirais que, là, les autorités ce n’est plus juste les autorités municipales, ça monte jusqu’au provincial et on est un peu acculé au pied du mur en se disant c’est vraiment flagrant. Les preuves sont cumulées depuis des années et des années et on va déposer une requête pour une commission d’enquête publique, qui va être acceptée, et on va commencer l’enquête Caron en 1950.
Quand on regarde cette époque-là de l’âge d’or des cabarets, évidemment on regarde aujourd’hui avec un peu de nostalgie. Alors, aujourd’hui on a encore de la prostitution, de la drogue, on a tout ça, mais tous ces commerces illicites ont changé de formes, donc ils étaient autrefois, jusque dans les années 1940-1950 dans ce qu’on appelle des bordels.
Aujourd’hui, on le sait, avec internet, bon c’est un peu plus fluide, difficile d’identifier des lieux particuliers. Alors le Red Light, qui a marqué cette époque-là, est disparu complètement ou presque dans les années 1960, 1970 et 1980 - de bons changements – et aujourd’hui avec le Quartier des Spectacles on peut dire qu’on assisté à une épuration de ce quartier-là, mais ce qui est arrivé aussi c’est que les Montréalais qui se précipitaient pour aller s’amuser dans les clubs de danse et, à l’époque, c’était sortir avec sa blonde, son chum.
Il fallait s’habiller, c’était vraiment extraordinaire. Aujourd’hui, on reste devant la télévision, on va au cinéma à Brossard ou à Laval, alors les modes de vie ont changé. Mais ce qui est fantastique, c’est que et on peut dire que le point tournant ça a été Expo 67 où, là, tout à coup, les Montréalais se sont rendus compte qu’ils pouvaient fêter ensemble de façon sécuritaire de jour ou de soir à l’extérieur, et c’est un peu ça qui a changé, je dirais, complètement la façon des Montréalais de vivre le plaisir d’être ensemble.
Donc on s’est retrouvé, dans le fond, avec des plaisirs beaucoup plus démocratiques. Il fallait quand même consommer, à l’époque, de l’alcool, il fallait avoir un peu d’argent pour aller dans les clubs. Alors, on a gardé cette idée de ville de plaisir, mais avec une autre façon d’avoir du plaisir ensemble, et c’est peut-être un peu le défi de Montréal : comment, dans le fond, réussir à encadrer ces plaisirs-là, avoir des règles, mais sans tuer la folie qui fait que Montréal a été ce qu’elle a été.
Et cette folie, ça veut dire qu’il ne faut pas moralement être trop étroit d’esprit, il faut accepter que tout n’est pas parfait tout le temps, que, oui, une ville de plaisir, il y a du bruit qui vient avec, il y a peut-être des choses qui ne sont pas toujours agréables.
Et au moment où tous les médias ont changé, au moment où les gens vivent de plus en plus en banlieue, alors Montréal, ville de plaisir, en 2025, on verra ce que c’est, mais je pense qu’on est bien parti pour avoir une façon montréalaise de fêter, et évidemment on a besoin des gens qui d’ailleurs nous rappellent qu’on est une ville de plaisir, et parfois peut-être une Sin City, ça va nous aider.
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