Trudeau, fils du Québec/père Canada T.02
Ce nouvel ouvrage de Max et Monique Nemni est le second volume d’une trilogie. Dans Les Années de jeunesse, le premier tome, les auteurs avaient choqué de nombreux lecteurs en révélant que le premier ministre Pierre Trudeau avait été, dans sa jeunesse, un ardent défenseur de la doctrine corporatiste, autoritaire et ultramontaine alors en vogue au sein de l’élite canadienne-française. Dans ce second volume, Max et Monique Nemni nous décrivent la conversion de Trudeau vers les valeurs de gauche démocratiques et antinationalistes, ainsi que sa montée en tant que personnage central de la défense du fédéralisme au Québec, avant son saut en politique fédérale, en 1965.
Nous voyons ce jeune Canadien français faire une volte-face complète dans les années 1940, au contact des penseurs et des intellectuels d’Harvard. Il y découvre le constitutionnalisme (on parlerait aujourd’hui de démocratie libérale), un concept qu’il n’avait jamais exploré auparavant. Selon les auteurs, cela expliquerait en grande partie pourquoi ses notes en sciences politiques étaient plus faibles qu’en économie : il était soudainement confronté à des concepts qui ébranlaient des idées alors profondément ancrées en lui.
Selon les auteurs, Trudeau, après cette « illumination politique », a commencé à se préparer à son rôle d’homme d’État. Toutes ses actions, même si elles nous ont parfois paru téméraires, doivent être interprétées dans ce contexte particulier.
De façon générale, le tome 2 est très bien documenté et même réellement passionnant. On y découvre le côté religieux de Trudeau, à ma grande surprise. Je savais qu’il était catholique et qu’il prenait la religion au sérieux, mais je ne me doutais pas qu’il s’en remettait aux autorités de l’Église à de nombreux égards, « au point de demander la permission de lire des livres interdits figurant à l’index (Index Librorum Prohibitorum). » Les auteurs précisent qu’à l’âge de trente et un ans, alors qu’il travaillait pour le Conseil privé, il demanda à monseigneur Vachon, archevêque d’Ottawa, la permission de lire diverses publications interdites : « L’état de grâce me protégera des dangers dénoncés par le Saint-Père et la Sacrée Congrégation de l’Index… »
De telles paroles, venant d’un Québécois qui a connu la Révolution tranquille et qui a été témoin du déclin de l’Église, contribuent à faire de Trudeau un personnage très particulier. Elles nous rappellent également qu’il a grandi dans un Québec très différent de ce qu’il est aujourd’hui. Le passé est, en effet, un pays étranger et, pourtant, les auteurs ne semblent voir aucune contradiction entre cette servitude devant les règles du Vatican et l’importance qu’accordait notre héros aux libertés personnelles, un sujet sur lequel il a d’ailleurs abondamment écrit.
Et voilà où le bât blesse : si l’on se fie aux auteurs, Pierre Elliott Trudeau est un personnage quasi messianique. Il n’a jamais tort, et ceux qui osent le contredire ou le critiquer sont des séparatistes (il y en avait beaucoup), des gens qui ont des préjugés à son égard (le journaliste et politicien André Laurendeau) ou qui sont aveuglés par l’antipathie qu’ils ressentent pour lui (le journaliste et futur chef du Parti libéral du Québec, Claude Ryan), des gens qui le haïssent de façon obsessionnelle (l’historien Michel Brunet), qui lui en veulent personnellement (la féministe et sénatrice Thérèse Casgrain) ou des gens souffrant carrément de maladie mentale (l’auteur Hubert Aquin).
Et, bien sûr, le héros est toujours présent là où il faut. Par exemple, on a toujours cru qu’un accident de ski avait empêché Trudeau de participer à la grève à Radio-Canada en 1958. Mais, selon les Nemni, Trudeau y a pris part : il a même assisté à un concert pour les grévistes et, à une autre occasion, a fait la fête en leur compagnie jusqu’à six heures du matin… pour ensuite prendre le premier vol en direction de l’Asie. Peut-on parler d’un véritable engagement?
Trudeau : La formation d’un homme d’État est une biographie agréable à lire sur un personnage historique d’envergure, mais elle tourne parfois à l’hagiographie.
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