Pleins feux sur l'histoire
Chaque printemps, les hommes de la Nouvelle-France tendaient l’oreille vers le fleuve Saint Laurent pour entendre le craquement des glaces qui annonçait l’arrivée des navires en provenance de France chargés de nourriture, d’outils, de marchandises variées, de bétail et, dans le cas d’au moins un navire par année, de jeunes filles fraîches et bonnes à marier.
Les soldats, marchands, cultivateurs et coureurs des bois se rassemblaient alors sur les quais pour voir arriver les femmes, encore un peu fatiguées de leur longue traversée. Cependant, ce n’était pas encore le moment de faire connaissance. Les futures jeunes mariées, certaines âgées de seulement douze ans, étaient rapidement entraînées vers leurs quartiers par des soeurs, qui se chargeaient de faire le tri des époux potentiels.
Les filles du Roi étaient en fait une idée de Louis XIV afin de peupler rapidement les nouvelles colonies françaises du Nouveau Monde. Souvent, de jeunes orphelines sans grand avenir, mais parfois aussi des femmes de la noblesse, étaient attirées par la promesse d’une traversée gratuite, d’une petite dot et la chance d’épouser un homme propriétaire d’une terre. Comme les hommes en Nouvelle-France étaient plus nombreux que les femmes, dans une proportion de sept contre une, ils pouvaient ainsi espérer se marier rapidement. Disons que le romantisme n’était pas vraiment au rendez-vous.
Cependant, de nombreux hommes des colonies manifestaient peu d’intérêt. Les négociants de fourrures, des hommes libres qui avaient souvent servi dans l’armée, n’avaient aucun désir de se marier. Cette situation alarma l’ambitieux administrateur de la colonie, Jean Talon, dont le travail était de favoriser la prospérité et le développement de la colonie française. Il jeta son dévolu sur les célibataires, et imposa de nouvelles règles en 1668 interdisant à tout homme de chasser et de faire le négoce s’il n’était toujours pas marié quinze jours après l’arrivée de la prochaine « cargaison » de femmes.
Même les tribunaux poussaient les célibataires vers le mariage. Dans son ouvrage intitulé Sketches of Canadian Life Under the French Regime, l’historien Joseph Kage décrit le sort du jeune François Lenois, qui plaida coupable devant les tribunaux pour avoir fait un négoce illégal avec les Amérindiens : « La sentence du juge fut certainement étonnante. François devait promettre de se marier dès qu’un prochain groupe de jeunes femmes arriverait au Canada. S’il manquait à sa promesse, il aurait à payer une amende de 150 livres.»
Les hommes à la recherche d’épouses devaient se rapporter aux sœurs et leur faire une description détaillée de leur vie. Si le prétendant était jugé acceptable, on lui présentait plusieurs femmes et il pouvait en choisir une. Les femmes n’étaient pas obligées d’accepter la proposition de mariage, et même si elles l’acceptaient, elles avaient quelques semaines pour changer d’idée, ce qui arrivait fréquemment.
Aux débuts de la colonie, la plupart des femmes se révélèrent des épouses acceptables, mais au fil du temps, le bassin de jeunes femmes convenables se tarit. Un groupe arrivé en 1669 comptait dans ses rangs des « spécimens fort rustres et difficiles à vivre », affirme le chercheur en histoire Jack Verney dans The Good Regiment. Marie de l’Incarnation, sœur supérieure du couvent des Ursulines à Québec, commença à ne demander « que des jeunes filles de la campagne, capables de travailler comme les hommes. L’expérience nous révèle que celles qui ne proviennent pas de ce milieu ne conviennent pas à la vie qui les attend ici ». Certaines femmes au passé douteux, comme les prostituées ou les femmes ayant commis d’autres crimes, étaient renvoyées en France.
La majorité des filles du Roi se marièrent et eurent de nombreux enfants, grâce aux encouragements de l’État qui versait aux familles de dix enfants et plus des pensions plus généreuses. « Les enfants qui survivent sont solides, observe Marie de l’Incarnation. Un pauvre homme peut avoir huit enfants ou plus, qui se promènent l’hiver tête et pieds nus, avec un simple petit manteau sur le dos; malgré qu’ils ne vivent que de pain et d’anguilles, ils sont gras et bien portants. »
L’héritage de ces familles robustes survit encore aujourd’hui, et de nombreux Québécois peuvent retrouver leurs ancêtres en remontant jusqu’à ces filles du Roi.
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