À l'embarquement transcription
Le fait qu’un important port de mer se développe à Montréal est essentiellement causé, ou le résultat, de la géographie et d’un obstacle majeur à la navigation qui s’appelle les rapides de Lachine.
À Montréal, on prend un peu pour acquis les rapides de Lachine, mais il est bon de se rappeler qu’il s’agit de rapides très importants. Évidemment, on ne les voit pas beaucoup à Montréal donc c’est peut-être pour cela qu’on mesure moins leur importance.
Ils s’étendent sur une dizaine de kilomètres, et sur ces dix kilomètres, il y a un dénivelé, un changement de niveau de treize mètres, ce qui est énorme, mais en même temps, il y a un rétrécissement du Saint-Laurent.
On va donc du lac Saint-Louis par un rétrécissement et ensuite au bassin de La Prairie. Donc le changement de niveau avec le rétrécissement fait en sorte qu’il y a un débit très très fort, des rapides très puissants et donc c’est impossible pour des navires de franchir ces rapides et Montréal — ce qui va devenir Montréal — est donc un lieu de rupture de charge, ce qui veut dire un lieu où essentiellement on doit changer le mode de transport, on doit donc décharger le navire passager et passer à un autre mode de transport pour continuer sur la route.
Donc Montréal devient un lieu de rupture fondamental dans le transport et il y a donc une incitation à ce qu’un port, potentiellement un port, s’y développe.
Si l'on regarde dans la longue durée l’évolution du port, il faut imaginer le port, ce qu’était le port vers 1815 par exemple. Par ce qu’il y a des cartes, des documents qui nous renseignent.
Vers 1815, le port de Montréal a très peu changé depuis ce qu’il était à l’époque de la Nouvelle-France. Ça veut dire que c’est donc un port rudimentaire, un port primitif si l’on veut, où il y a très peu d’installations et d’infrastructures. Certains marchands ont construit des quais de bois pour répondre à leurs propres besoins.
Il n’y a pas vraiment d’investissements ou de présence marquée des autorités publiques pour améliorer le port. Ça veut dire que, grosso modo, ce sont les caractéristiques physiques du lieu qui déterminent comment le port fonctionne, comment il est occupé.
On peut distinguer deux parties du port — la partie est — les gens qui connaissent Montréal vont penser à la section près de la place Jacques Cartier, du quai de l’Horloge et du marché Bonsecours — dans cette zone-là. Donc, c’est une zone où l’eau est moins profonde et donc, il y a des berges qui descendent graduellement et c’est un lieu où les navires — les petits bateaux — des goélettes, des canots, des bateaux, etc. peuvent accoster et décharger leur cargaison. Souvent, les marchands locaux et les cultivateurs qui vont vers le marché vont accoster là pour ensuite amener leurs marchandises vers la place Jacques-Cartier.
Et ensuite, il y a une deuxième partie du port — plus à l’ouest — à peu près vis-à-vis de ce qui est aujourd’hui le musée Pointe-à-Callière, dans ce secteur, où l’eau est plus profonde et où la zone est davantage protégée parce qu’il y a une île qui est maintenant disparue sous des quais et des jetées, mais qui offrait une certaine protection et donc les navires — les grands voiliers — pouvaient accoster dans ce secteur et avoir une protection du courant. Donc, on a cette division spatiale, si l'on veut, entre un espace davantage pour les navires de taille plus modeste, davantage des navires, des bateaux qui desservent, qui sont liés à la navigation intérieure et les navires transatlantiques, les grands voiliers qui sont plutôt dans la partie ouest.
Et donc, on a cette distinction entre commerce local, marchandise locale plutôt à l’est et acteurs de l’international plutôt dans la partie ouest du port.
Donc ça, c’est la situation vers 1815. Ce que l’on va voir ensuite, si l’on réfléchit à l’évolution, il y a un autre moment qui caractérise la période grosso modo après 1840, puisque dans les années 1830 il y a des investissements pour améliorer — avec la création de la commission du port de Montréal — et donc après 1840, là commence à prendre forme un port, on pourrait dire un port plus moderne selon les normes de l’époque.
Donc à partir de 1840, si l'on pouvait reculer dans le temps et visiter le port de Montréal, on verrait essentiellement un port où maintenant il y a eu des travaux importants.
On a rehaussé, uniformisé, la rue qui donne sur le port — la rue de la Commune. On a envouté la petite rivière qui créait une rupture près de ce qui est aujourd’hui le musée Pointe-à-Callière. Donc a recouvert ce cours d’eau. Donc, on a vraiment un front uni.
On a créé des quais linéaires le long de cette rue qui donne sur le port. Et l'on a aménagé des jetées qui s’avancent dans l’eau plus profonde.
On a recouvert cette petite île que j’évoquais. Et l'on a créé aussi des bassins qui vont permettre à des navires d’accoster et de décharger leurs produits.
Donc, on a une situation où il y a des améliorations importantes. Et en plus, vers 1840, la fin des années 1840, on a aussi une phase d’amélioration de l’articulation entre le canal de Lachine et le port de Montréal.
Le canal existait déjà, mais il y a des travaux nouveaux dans les années 1840. Et donc, l’entrée du canal, la partie qui jouxte le port, va être adaptée aussi aux besoins du commerce international pour favoriser l’arrimage entre le commerce qui vient du centre du continent et les exportations.
Donc le port, et cette articulation canal de Lachine/port et les améliorations d’infrastructures, vont vraiment débuter dans les années 1840. Et l'on a un port où il y a un développement plus cohérent et important.
En fait, c’est un peu comme un roman-feuilleton lorsque l’on cherche à retracer l’histoire du port. Il y a plusieurs épisodes ou plusieurs moments forts.
Et un des moments très importants de transformation — et qui laisse encore des traces aujourd’hui — c’est la période de la fin 19ᵉ tournant du 20ᵉ siècle.
Donc, c’est une période où Montréal est devenue une grande métropole canadienne.
Il faut penser à toute la croissance de l’économie canadienne, du commerce international. C’est une période d’expansion dans l’Ouest canadien.
Donc, il y a une population beaucoup plus importante, de nouveaux besoins en termes de produits d’importation, mais aussi de produits d’exportation. Donc, le trafic maritime augmente énormément pendant cette période et c’est aussi l’époque où l’on a maintenant non plus des voiliers, mais des vapeurs transocéaniques avec une capacité beaucoup plus grande.
Donc, la question, le défi, à ce moment-là, c’est comment moderniser, transformer le port pour accueillir ces navires de plus forts tonnages, avec une capacité beaucoup plus grande, et comment faire en sorte que l’activité portuaire se déroule plus rapidement, que Montréal soit un port efficace où les navires sont déchargés/rechargés et peuvent repartir rapidement.
Donc, la Commission du Havre de Montréal va investir vraiment dans un programme très ambitieux de modernisation, et ce qui va le caractériser, c’est vraiment une transformation dans l’architecture on pourrait dire ou l’ingénierie des quais.
On va construire ce qu’on appelle des quais à haut niveau. Donc, on va vraiment rehausser le niveau des quais, on va accroître la capacité donc le nombre de quais. Et l'on va — le fait qu’on ait des quais maintenant plus nombreux, avec des jetées aussi qui sont de haut niveau — va faire en sorte qu’on va aussi pouvoir installer des hangars permanents sur les quais, ce qui va modifier le paysage.
Donc, c’est une époque où l’on va construire des quais qui sont encore là aujourd’hui — le quai Jacques-Cartier le quai Alexandra, le quai King-Edward les aménagements de la jetée Bickerdike, les quais de la Pointe-du-Moulin.
Donc, plusieurs des points de repère physiques du port actuel datent de cette époque.
Un autre moment fort dans l’histoire du port de Montréal, si l'on pouvait remonter dans le temps et remonter aux années 1920, on aurait vraiment une image de l’âge d’or du port de Montréal.
C’est une tendance qui s’affiche au début du 20ᵉ siècle, mais qui vraiment s’affirme après la Première Guerre mondiale et c’est vraiment la période où Montréal est le grand port céréalier.
Ça veut dire que Montréal est l’un des grands ports, certainement l’un des plus importants ports de l’Amérique du Nord. Mais pour le commerce des céréales, le transport des céréales — donc le blé principalement, la farine — Montréal est l’un des grands ports mondiaux.
Certains disent même le plus important port céréalier du monde à cette époque à cause de l’importance des exportations du blé canadien qui viennent des Prairies canadiennes — de la Saskatchewan, du Manitoba principalement — et qui vont être exportées vers l’Europe qui est en train de se remettre de la crise de la Première Guerre mondiale et des conséquences de la Première Guerre mondiale.
À partir de 1900 — début des années 1900 — et ça se poursuit dans les années 20, on va doter le port de Montréal des équipements nécessaires pour accueillir, entreposer, puis ensuite expédier ce blé. Donc, c’est l’époque de la construction des grands silos.
Il y avait les premiers silos plus modestes dans les années 1890, mais là vraiment on construit vraiment ces grands silos en béton qui sont des chefs-d’œuvre d’art moderne selon Le Corbusier.
Donc, on va construire trois grands silos dans le Vieux-Port de Montréal — le silo nº2 devant le marché Bonsecours, le silo nº1 qui était à peu près vis-à-vis de la Pointe-à-Callière, et le silo nº 5 qui a survécu et qu’on connait encore aujourd’hui et qui est même plus grand aujourd’hui qu’il ne l’était à l’époque.
Donc, on construit ces énormes silos et ensuite, pour favoriser le transport du blé des navires qui arrivent de l’intérieur vers les silos, et ensuite recharger les navires transocéaniques, il y a les tours marines et il y a des convoyeurs, il y a toute une infrastructure qui se greffe autour des silos et qui va être vraiment très très imposante dans le paysage du port de Montréal.
Donc ça, c’est un premier élément important. Et se greffe à cela évidemment les chemins de fer, parce qu’une partie importante du blé arrive par chemin de fer et va même dans le cas du silo nº 5, les voies ferrées traversent à l’intérieur le silo pour décharger le blé.
Donc, cette articulation voies ferrées/réseau ferroviaire/port est très très importante. Mais une autre construction importante de cette époque et qui est aussi, on pourrait dire, un triomphe de la vision des commissaires du port, c’est la construction de l’entrepôt frigorifique qui est encore présent aujourd’hui dans la partie est du port de Montréal.
Donc, il y a l’entrepôt et ensuite une usine de réfrigération importante aussi qui y est rattachée. Et cet entrepôt frigorifique, qui est construit au début des années 20, témoigne aussi de l’importance de tous les autres produits alimentaires qui passaient par Montréal, soit comme produit à exporter — le fromage, le beurre par exemple — mais aussi tous les produits plus exotiques qui sont importés vers Montréal et entreposés avant d’être expédier ailleurs au Canada.
À partir des années 1880-1890, à cause de la croissance du trafic maritime, on est devant des milliers de navires qui arrivent tous les ans — de divers types — qui arrivent au port de Montréal. Donc se pose la question de comment répondre à cette demande. Et l'on va commencer à envisager une extension du port vers l’est, puisqu’on ne peut pas évidemment l’étendre vers l’ouest facilement à cause des rapides de Lachine, il y a des obstacles assez importants.
Donc, ce sont des investissements pour aménager des quais, donc exproprier des terrains, aménager des quais et prolonger le port, la capacité d’accueil portuaire vers l’est. D’abord vers Hochelaga-Maisonneuve, qui sont des banlieues de Montréal à l’époque. Ces développements-là ont lieu dans les années 1880-90, début du 20ᵉ siècle.
Et ensuite, autour de la Première Guerre mondiale, on va commencer aussi à envisager des développements plus à l’est, vers la Longue-Pointe, Pointe-aux-Trembles, Montréal-Est, et c’est dans la partie est vraiment, plutôt après 1920 que là les développements vont se faire notamment avec le développement de l’industrie pétrolière et donc les raffineries qui vont s’installer dans l’est.
Le port va déborder de ses limites traditionnelles et prendre de l’expansion vers l’est de Montréal également.
Cette rupture entre l’espace résidentiel, l’espace habité et le fleuve va aussi caractériser une grande partie de l’Est montréalais.
À partir du moment où l’on va aménager la Voie maritime du Saint-Laurent, ça veut dire qu’il devient possible de continuer, de faire un trajet non interrompu en remontant le Saint-Laurent jusqu’aux Grands Lacs. Donc Montréal, pour certains types de trafics, cesse d’être un arrêt obligatoire et l’on va assister à un certain déclin du port.
Cette situation concurrentielle face à d’autres ports canadiens et nord-américains est aussi fragilisée. Donc on va assister à une réflexion de la part des dirigeants du port de Montréal de comment faire face à cette situation.
Dans les années 1960, avec le virage technologique vers les conteneurs et donc un nouveau type de transport des marchandises, va se poser la question de comment Montréal va s’adapter à cette nouvelle technologie, cette nouvelle façon de faire dans le transport maritime ?
On va réfléchir et finalement décider que Montréal doit prendre ce virage, mais que l’espace requis pour aménager un terminal de conteneurs, ce n’est pas dans le Vieux-Montréal qu’on pourra le faire.
Donc, la décision va être prise de déplacer le port, d’investir pour créer cette nouvelle infrastructure portuaire dans l’Est montréalais.
À partir du début des années 1970, quand cette décision est prise, on va mettre fin aux activités portuaires dans le Vieux-Port, dans ce qu’on appelle aujourd’hui le Vieux-Port, et ça va entrainer ensuite les réflexions sur quel va être l’avenir de cet espace. Comment le requalifier, le transformer ?
À partir des années 1980, une série de travaux va commencer, des consultations, et l'on commence à voir le port qu’on connait aujourd’hui comme un lieu touristique, un lieu de fréquentation, un lieu aussi qui continue à susciter des réflexions quant à son avenir.
La réalité contemporaine prend forme après 1980.
À Montréal comme dans plusieurs villes portuaires, où le port traditionnel a cessé d’être actif, s’est posée la question de quel allait être l’avenir de cet espace ?
Et là, il y a un conflit, un combat entre les défenseurs farouches du patrimoine et ceux qui voient davantage ces lieux comme des espaces qu’on peut développer et qui sont sources de profits, de lieux de densification auxquels on peut confier de nouvelles vocations.
Je pense qu’à Montréal on voit des éléments de cette tension et l’effort de chercher un équilibre si l'on veut. Donc, on voit quand même des lieux importants qui sont disparus, des traces importantes de la vie portuaire qui sont disparues. Certains des silos qui ont été démolis.
Et là, je suis heureuse de voir qu’on retrouve une vue sur le fleuve. En même temps, il y a des lieux qui étaient des bâtiments extraordinaires.
Donc, il y a des choses qui sont disparues. Néanmoins, on a conservé beaucoup de choses, puis une volonté de conserver certaines de ces traces.
Donc, je pense qu’on peut parler certainement d’un patrimoine bâti très important. J’évoquais déjà la rue de la Commune et ses magasins-entrepôts du front de mer qui sont très nombreux.
Évidemment, il y a le marché Bonsecours qui est comme un chef-d’œuvre architectural montréalais, mais vers l’ouest, il y a toute cette rangée de magasins-entrepôts des années 1840-50-60 qui ont survécu.
Près de la Pointe-à-Callière, il y a aussi d’autres entrepôts qui sont des entrepôts des années 1840 qui ont survécu, donc qui témoignent de cette période.
Il y a évidemment le silo nº 5 qui est un bâtiment controversé, mais mal aimé, mais magnifique, je pense.
Ensuite, liés à l’activité portuaire — au niveau bâti, il y a un certain nombre de bâtiments administratifs ou de bâtiments associés à des armateurs qui sont toujours présents dans le Vieux-Montréal et qui témoignent aussi de l’activité portuaire. Il y a la maison de la Douane, près de Pointe-à-Callière.
Il y a l’ancien, ce qui était le siège social de la Commission des commissaires du port de Montréal, la compagnie Allan — la Allan Line — qui était très importante.
Donc, il y a plusieurs bâtiments qui sont présents et qui témoignent encore. Donc ça, c’est un patrimoine important, dont il faut se rappeler, apprécier et comprendre sa relation avec le port.
Et ensuite, un patrimoine iconographique important.
Je pense que si l'on a la chance à Montréal d’avoir eu énormément d’artistes qui ont fréquenté Montréal, qui ont été fascinés par le port, qui ont laissé des œuvres d’art magnifiques — au 19ᵉ et au 20ᵉ — je pense à notamment pour le 20ᵉ à Adrien Hébert, dont les tableaux du port de Montréal sont vraiment magnifiques.
Et ensuite, il y a les photographes, il y a les pionniers de la photographie, comme Notman (du studio Notman), Alexander Henderson, James Parks. Donc, de grands photographes du milieu du 19ᵉ siècle — la fin du 19ᵉ — qui ont vraiment documenté le port.
Puis évidemment en plus, il y a eu des entreprises, les commissaires du port et d’autres acteurs qui ont cherché à documenter le port et son évolution.
Donc, il y a un patrimoine iconographique, plus largement on pourrait dire un patrimoine archivistique, et il y a aussi un patrimoine archéologique. Parce que sous terre, il y a des traces importantes des premiers quais et de certaines des infrastructures.
Finalement, il y a aussi un patrimoine mémoriel important, un patrimoine commémoratif.
On a dans le port, dans le Vieux-Montréal, pas très loin du port, une statue érigée à la mémoire de John Young qui a été un des grands commissaires du port de Montréal et qui est une façon de rappeler à la mémoire un des bâtisseurs du port au 19ᵉ siècle, mais qui témoigne aussi de l’appréciation que ses contemporains avaient de cet homme et de l’importance qu’ils donnaient aussi à son travail.
À l’est, il y a le quai de l’Horloge et l'on n’oublie que le quai de l’Horloge est aussi un lieu de mémoire qui rappelle les membres de la marine marchande canadienne qui sont décédés lors de la Première Guerre mondiale et qui est aussi un rappel d’une partie de l’activité portuaire montréalaise.
Puis, je pense aussi au niveau de la toponymie, et je pense qu’on pourrait avec un peu d’imagination trouver d’autres exemples, au niveau de la toponymie il y a le quai Bickerdike, la jetée Bickerdike dont on parle, et Bickerdike c’était un commissaire du port, un marchand, un important homme d’affaires.
Donc, on a cherché de différentes façons à rappeler à la mémoire, par des noms de lieux, par des statues, des monuments, des acteurs importants du port de Montréal.
Donc, je pense qu’il y a plusieurs traces patrimoniales et si l'on est un peu curieux, et l'on fréquente le port, et l'on est sensible non seulement à l’aspect récréotouristique, mais aussi à la charge de mémoire du lieu, je pense qu’on peut découvrir beaucoup de traces de ce passé montréalais.
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