Découverte macabre

Une cage en fer ressuscite l’histoire de La Corriveau — la sorcière du folklore québécois.
par André Pelchat Mis en ligne le 9 octobre 2024

En septembre 2013, un élément inhabituel apparaît dans les médias québécois : la cage de La Corriveau a été retrouvée. Cette découverte fait les manchettes et l’objet de nombreux commentaires. De quoi s’agit-il et pourquoi attire-t-elle tant l’attention?

En 2011, Claudia Méndez, bénévole et guide touristique à la Société d’histoire de Lévis, à Lévis, au Québec, tombe sur un artefact surprenant au Peabody Museum de Salem, dans le Massachusetts. L’exosquelette en fer forgé est identifié comme ayant été utilisé pour l’exposition du « corps de Mme Dodier » après l’exécution de celle-ci en 1763. Claudia Méndez connaissait suffisamment l’histoire du Québec pour savoir que Dodier était le nom de femme mariée de celle que les Québécois appelaient « La Corriveau » dans la légende canadienne-française. 

L’objet sinistre sera transporté au Musée de la civilisation de Québec pour être authentifié et, en octobre 2015, les experts confirment qu’il s’agit bien de la tristement célèbre « cage de La Corriveau ». Bien que pratiquement inconnue dans le reste de l’Amérique du Nord, l’histoire de la femme qui a été emprisonnée dans cette cage fait partie de l’histoire, des légendes et du folklore du Québec. 

Selon l’historien Luc Lacourcière, dans toute l’histoire du Québec, « il n’y a pas de femme qui ait une plus mauvaise réputation que Marie-Josephte Corriveau ». La Corriveau est née à Saint-Vallier-de-Bellechasse, en face de la ville de Québec, en 1733. En 1749, elle épouse Charles Bouchard. De leur union naîtront trois enfants et tout semble aller pour le mieux jusqu’à ce que Bouchard meure en 1760 de « fièvres putrides », un diagnostic que personne ne semble avoir mis en doute à l’époque. Plus tard, on commencera à suspecter Marie-Josephte d’avoir empoisonné Charles ou de lui avoir peut-être versé du plomb fondu dans l’oreille pendant son sommeil. Finalement, la rumeur laisse entendre que pas moins de sept maris sont morts de sa main, mais ces récits ne sont que pure invention. 

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Après la mort de Charles (en présence d’un prêtre et de plusieurs témoins, dont aucun n’a vu quoi que ce soit de suspect), Marie-Josephte se cherche un autre mari, comme on peut s’y attendre de la part d’une jeune veuve avec des enfants. En 1761, elle se remarie avec un fermier nommé Louis-Étienne Dodier. La nouvelle union est tumultueuse. Le couple se dispute fréquemment et Dodier est également en conflit avec son beau-père, Joseph Corriveau, principalement, semble-t-il, pour des questions d’argent et de gestion de la ferme. La famille est très pauvre pendant les années difficiles de l’occupation militaire britannique qui suivent immédiatement la conquête de la Nouvelle-France. 

Le 27 janvier 1763, un voisin trouve Louis Dodier sans vie dans l’écurie, étalé dans une mare de sang. Dans un premier temps, le capitaine de milice appelé à enquêter pense que Dodier a été « tué par son cheval », ce que l’officier écrit dans son rapport au major James Abercrombie, commandant des troupes britanniques dans la région. Mais une rumeur se répand bientôt parmi les voisins, selon laquelle Joseph Corriveau aurait tué son gendre, et en février, les proches de Dodier portent plainte, ce qui incite le général James Murray, gouverneur de la région, à ordonner l’ouverture d’une enquête. Le corps de Dodier est exhumé et le docteur George Fraser procède à une autopsie. Le 14 février, il déclare qu’ « aucune des blessures trouvées sur le corps de Dodier n’a pu être faite par un cheval ». Joseph Corriveau et sa fille sont arrêtés. 

Le procès se déroule à Québec, au couvent des Ursulines. Le Québec étant sous autorité militaire, les procédures se déroulent devant un tribunal militaire composé d’un jury de douze officiers britanniques, dont aucun ne connaît le français, la seule langue comprise par l’accusé et les témoins. La plupart des témoignages sont fondés sur des « ragots et des ouï-dire », note Lacourcière, et mettent principalement l’accent sur l’inimitié entre la victime, sa femme et son beau-père. Certains témoins dépeignent également Marie-Josephte comme une femme aux mœurs légères, mais aucune preuve ne permet de conclure qu’elle a été infidèle à son mari ou qu’elle s’est comportée de manière inappropriée par rapport à ce que l’on attendait d’une épouse de l’époque. Le 9 avril, Joseph Corriveau est reconnu coupable et condamné à la pendaison. Marie-Josephte, déclarée complice, est condamnée à soixante coups de fouet et à être marquée au fer rouge d’un M sur la main, qui signifie meurtrier. 

Mais la veille de l’exécution de Joseph, un revirement extraordinaire se produit. Lorsque le prêtre vient entendre la confession de Joseph et le préparer à sa mort, ce dernier affirme soudain qu’il a menti pour protéger sa fille et qu’en réalité, c’est elle qui a commis le crime. Ses aveux de dernière minute sont attribuables, selon lui, à sa peur d’aller en enfer. Cette déclaration manifestement intéressée suffit au gouverneur Murray pour ordonner un réexamen des déclarations des deux accusés. Marie-Josephte finit par signer des aveux dans lesquels elle reconnaît avoir tué Dodier à coups de hache « à cause des mauvais traitements qu’il lui faisait subir ». Joseph est libéré et Marie-Josephte est condamnée à la pendaison. Elle est mise à mort le 18 avril, et la légende de La Corriveau naîtra peu après.

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Ce qui frappe l’imagination du public, c’est la décision de Murray d’exposer le corps de la jeune femme dans une cage en fer de forme humaine, suspendue à un carrefour de La Pointe-de-Lévis, sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent. On n’avait jamais rien vu de tel, et l’exposition macabre suscite l’émoi de la population locale. Pour faire une farce morbide, un groupe de jeunes gens démonte la cage et la transporte jusqu’au cimetière local. La cage sera enterrée dans le cimetière au bout de quarante jours, avant d’être exhumée en 1849. On découvre alors qu’elle ne contient plus qu’ « un os de jambe », selon l’écrivain du 19e siècle, Philippe-Joseph Aubert de Gaspé. 

La cage macabre, ou gibet, est brièvement exposée à Montréal, « chez M. Leclerc », selon le journal La Minerve, puis, rapporte Le Canadien, chez un certain M. Hall, sur la Côte du Palais, à Québec. La cage, qui aurait été volée, selon le poète et auteur Louis Fréchette, sera finalement vendue au forain américain P.T. Barnum. Par la suite, toute trace de la cage disparaît jusqu’à ce que Claudia Méndez la retrouve par hasard à Salem. Depuis, des chercheurs ont découvert que la cage faisait partie, en 1899, des objets appartenant au musée de Boston et qu’un guide touristique l’incluait dans une description des collections de l’Essex Institute à Salem.

Après sa mort, la Corriveau devient un personnage connu du folklore canadien-français. Dans son roman de cape et d’épée The Golden Dog, publié en 1877, l’écrivain William Kirby en fait une empoisonneuse de métier, descendante d’un alchimiste italien lié aux Borgia, rien de moins. Aubert de Gaspé, dans Les Anciens Canadiens (1866), nous fournit l’un des premiers récits écrits du conte populaire classique impliquant La Corriveau et sa cage. 

Dans sa version, un homme nommé François Dubé, le père du narrateur, se promène la nuit sur la rive du Saint-Laurent à Lévis et entend un « bruit de tic-tac ». Soudain, il sent « deux grosses mains sèches, comme les pattes d’un ours, qui lui serrent les épaules ». Terrifié, il tourne la tête et aperçoit La Corriveau qui s’accroche à lui. Elle passe ses bras à travers les barreaux de sa cage et tente de grimper sur son dos ». La Corriveau dit à l’homme qu’elle veut qu’il la transporte à l’Île d’Orléans, où ses amies sorcières tiennent un sabbat. La Corriveau ne peut pas traverser le Saint-Laurent seule, car c’est un fleuve « béni ».

François entend les sorcières sur l’île qui lui crient : « Tu viens, chien fainéant? Amène-nous notre amie! Nous avons 14 400 rondes à faire avant le chant du coq et nous devons partir! ». 

La Corriveau dit à Dubé : « Eh bien, si tu ne me portes pas là, je t’étranglerai et je me rendrai au sabbat en chevauchant ton âme! ». Ce qu’elle fait. Mais François ne meurt pas. Il perd connaissance et se réveille au matin dans une tranchée boueuse près de la route. Il se lève péniblement et trouve sa bouteille d’eau de vie à proximité. Il veut en boire une gorgée mais... elle est vide. Apparemment, « la sorcière avait tout bu! ».

Depuis des générations, des variantes de cette histoire sont racontées dans les familles canadiennes-françaises. Ma grand-mère m’en a raconté une très semblable que j’ai trouvée effrayante. Le nom du voyageur change, mais La Corriveau dans sa cage, grimpant sur le dos de l’homme et voulant se rendre au sabbat des sorcières, reste une constante. 

Les histoires de créatures qui s’accrochent au dos d’un voyageur se retrouvent dans les contes populaires du monde entier – même Sinbad dans les Mille et une nuits. Mais au Québec, ce motif familier renvoie à un personnage historique réel, La Corriveau, et à un artefact réel, la cage dans laquelle son corps a été exposé. C’est pourquoi la découverte de cette cage dans un musée est si frappante : pour un Québécois qui a entendu ce conte effrayant dans son enfance, la découverte de la cage de La Corriveau serait comparable à la découverte de la pantoufle de Cendrillon ou de la lampe d’Aladin!

En 2015, trois experts distincts en arrivent à la conclusion que la cage retrouvée au Massachusetts est bien celle qui a servi à exposer le corps de Marie-Josephte Corriveau. Selon Jérôme Morissette, restaurateur d’œuvres d’art spécialisé dans les métaux, la corrosion uniforme des bandes de fer « exclut d’emblée la possibilité qu’il s’agisse d’une reconstitution ». C’est ainsi que l’histoire de la Corriveau est soudainement entrée dans l’histoire.

Cet article est paru dans le numéro December 2018-January 2019 du magazine Canada’s History.

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