Souvenons-nous d’Elizabeth II, reine du Canada
Après un règne sans précédent sur le Royaume-Uni, le Canada et treize autres pays du monde, Elizabeth II est décédée au château de Balmoral, en Écosse, le 8 septembre. La reine était entourée de sa famille, dont l’héritier du trône, le prince Charles et son épouse Camilla, de ses autres fils, le prince Andrew et le prince Edward, de sa fille, la princesse Anne, et de son petit-fils, le prince William. Le prince Harry était en route depuis sa résidence en Californie. Elizabeth II rejoint dans la mort son époux, le prince Philip, duc d’Édimbourg.
Des foules de personnes en deuil se sont rassemblées devant les portes de Balmoral ainsi qu’au palais de Buckinham à Londres. Des condoléances sont arrivées de la part de dirigeants du monde entier. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a écrit sur Twitter : « C’est avec le cœur lourd que nous avons appris le décès de Sa Majesté la reine Elizabeth II, la souveraine qui a régné le plus longtemps sur le Canada. Elle était une présence constante dans nos vies - et le service de Sa Majesté envers le Canada et les Canadiens sera pour toujours une partie importante de l’histoire de notre pays. »
« Le règne de Sa Majesté s’est étendu sur plusieurs décennies et les Canadiens se souviendront toujours de sa sagesse, de sa compassion et de sa gentillesse, » a-t-il ajouté.
Le 2 juin 1953, la reine Elizabeth II est couronnée dans l’abbaye de Westminster lors d’une messe de couronnement très semblable à celle qui avait été écrite plus de mille ans auparavant. Pour la nouvelle reine, cependant, deux changements majeurs viennent modifier la tradition séculaire. Le premier est l’élargissement de l’audience pouvant assister à l’intronisation. Le père de la reine, le roi George VI, avait donné l’autorisation à la BBC naissante de filmer la procession vers l’abbaye pour son propre couronnement en 1937, mais Elizabeth II est allée jusqu’à autoriser les caméras à entrer dans l’abbaye pour filmer toute la cérémonie, à l’exception de l’onction. Le couronnement devient alors la toute première retransmission télévisée transatlantique, les images ayant été envoyées par avion de Grande-Bretagne au Canada pour permettre aux Canadiens de regarder la cérémonie le jour même. Parallèlement, l’élargissement des possibilités de transport aérien permet à des milliers de Canadiens d’assister aux célébrations du couronnement à la Maison du Canada, l’édifice qui abrite le Haut-commissariat du Canada au Royaume-Uni, ainsi que dans d’autres lieux entourant l’événement.
Deuxième différence entre le couronnement de la reine et les cérémonies précédentes : la nature du serment. George VI a été le premier monarque à visiter le Canada en tant que souverain en 1939 et il est devenu chef du Commonwealth en 1949. En 1947, Eugène Marquis, député libéral de Kamouraska, au Québec, déclare à la Chambre des communes que le monarque ne devrait plus être connu officiellement comme le roi des « Dominions britanniques d’outre-mer » mais comme le roi « du Canada ». Sa proposition est adoptée par le ministère canadien des Affaires extérieures.
En 1953, l’archevêque de Canterbury fait prêter un nouveau serment de couronnement à Élisabeth II : « Promettez-vous solennellement et jurez-vous de gouverner les peuples du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l’Union sud-africaine, du Pakistan et de Ceylan [aujourd’hui Sri Lanka], ainsi que de vos possessions et autres territoires, à l’un d’entre eux appartenant ou appartenant, selon leurs lois et coutumes respectives? ». Élisabeth II sera le premier monarque à passer l’ensemble de son règne à la tête du Commonwealth, composé de nations égales, au lieu de l’Empire britannique et de dominions autonomes.
Pour la reine Elizabeth II, succéder au trône signifie renoncer à la vie relativement privée dont elle a bénéficié au début de son mariage, alors que Philip poursuivait sa carrière dans la marine.
Les longues tournées du Commonwealth au cours des premières années de son règne séparent parfois la reine de ses enfants pendant des mois. Les boîtes rouges de documents d’État sont livrées tous les jours, sauf à Noël et à Pâques, quel que soit le lieu de résidence de la reine. Tout au long de son règne, elle s’acquittera de ses obligations royales avec une diligence sans faille, faisant toujours passer ses obligations publiques avant sa vie privée.
En 1947, alors qu’elle n’a que vingt et un ans, la future reine Élisabeth II déclare dans une émission de radio en Afrique du Sud, lors de sa première tournée du Commonwealth : « Je déclare devant vous tous que toute ma vie, qu’elle soit longue ou courte, sera consacrée à votre service et au service de notre grande famille impériale, à laquelle nous appartenons tous. »
Couronnée reine du Canada, la reine allait tisser avec les Canadiens une relation personnelle inégalée par tous ses prédécesseurs.
Les jeunes années
La nouvelle reine était bien connue des Canadiens depuis sa naissance, le 21 avril 1926, au 17 Bruton Street, la résidence londonienne de ses grands-parents maternels, Claude et Cecilia Bowes-Lyon, le comte et la comtesse de Strathmore et Kinghorne. La nouvelle princesse est nommée Elizabeth Alexandra Mary en l’honneur de sa mère, de son arrière-grand-mère et de sa grand-mère respectivement. Ses parents sont Lady Elizabeth Bowes-Lyon, une aristocrate écossaise, et le prince Albert, duc d’York, deuxième fils du roi George V. Le Toronto Globe annonce en première page « Naissance d’une fille pour la duchesse d’York », tandis que d’autres journaux canadiens soulignent la façon dont ses parents, grands-parents et autres membres de la famille ont comblé la petite princesse de cadeaux et de vêtements. Elizabeth et sa sœur, la princesse Margaret (qui deviendra plus tard la comtesse de Snowdon), grandissent sous le regard du public, notamment après l’abdication de leur oncle, Édouard VIII, en 1936, et l’accession au trône de leur père la même année. Afin de symboliser la continuité avec le règne de son père, le roi George V, le prince Albert choisit George, son deuxième prénom, pour monter sur le trône en tant que roi George VI.
En 1939, George VI et son épouse — désormais reine Elizabeth, la reine consort - traversent le Canada en train, devenant ainsi le premier couple royal régnant à entreprendre une tournée canadienne. À l’origine, la tournée avait été prévue pour mettre en valeur le rôle du roi George VI en tant que souverain d’une couronne canadienne distincte après l’introduction du Statut de Westminster. Toutefois, avec les menaces de guerre en Europe, ce voyage revêt une nouvelle signification politique, puisqu’il est destiné à renforcer le sentiment pro-britannique. Les enfants royaux restent en Grande-Bretagne en raison du calendrier rigoureux des engagements publics de la tournée. Alors que le train royal longe les rives du lac Supérieur, la reine Elizabeth écrit à sa fille, la future reine Elizabeth II, « Le Canada est un très beau pays — j’espère que tu le verras un jour ».
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est question que la famille royale s’installe au Canada pour la durée des hostilités. En 1940, le gouvernement canadien, sous la direction du Premier ministre William Lyon Mackenzie King, fait l’acquisition du château de Hatley (qui fait aujourd’hui partie de la Royal Roads University, en périphérie de Victoria), peut-être dans l’intention de l’offrir comme résidence à la famille royale en cas d’invasion allemande de l’Angleterre. Mais la famille royale est déterminée à rester en Grande-Bretagne et en 1945, la future reine Elizabeth II sert en tant que mécanicienne dans l’Auxiliary Territorial Service, la branche féminine de l’armée britannique.
Après la guerre, la princesse Elizabeth épouse le lieutenant Philip Mountbatten le 20 novembre 1947. Bien qu’il soit né prince Philip de Grèce et du Danemark, Philip est devenu citoyen britannique et a renoncé à sa place dans la succession aux trônes grec et danois pour devenir duc d’Édimbourg et époux de la future reine. (Il était le sixième dans l’ordre de succession au trône de Grèce, et était un prétendant encore plus lointain au trône du Danemark). Elizabeth et Philip auront quatre enfants — le prince Charles (1948), la princesse Anne (1950), le prince Andrew (1960) et le prince Edward (1964) — huit petits-enfants et douze arrière-petits-enfants.
Les visites royale
Alors qu’elle n’est encore que princesse, Elizabeth effectue sa première visite au Canada en 1951. Elle remplace son père, en traitement pour un cancer du poumon. À l’instar de William et Catherine (le duc et la duchesse de Cambridge), la princesse Elizabeth et le prince Philip, duc d’Édimbourg, semblent alors représenter une monarchie moderne qui se rapproche des jeunes. Ils arrivent en avion plutôt qu’en bateau et Philip porte un chapeau de cow-boy blanc au rodéo de Calgary. Tout au long de la tournée, ils reçoivent un accueil chaleureux. Une photo du jeune couple royal en train de faire de la danse carrée à Rideau Hall, à Ottawa, deviendra une carte de Noël populaire au Canada. Il y a aussi des moments de spontanéité, comme celui où le jeune couple, après une chute de neige à la fin de l’automne, construit un bonhomme de neige qu’il baptise Monsieur Churchill. À l’époque, Philip fait de l’ombre à Elizabeth, qui semble réservée et sérieuse par rapport à son mari, très sociable, mais les choses évolueront avec le temps.
Quand Elizabeth revient au Canada en 1957, c’est cette fois en tant que reine Elizabeth II. Fait notable : elle est la première souveraine à inaugurer le Parlement du Canada en personne. Deux ans plus tard, accompagnée du prince Philip, elle visite la totalité des provinces et des territoires, lors de la plus longue tournée royale de l’histoire du Canada. Cette tournée donnera d’ailleurs naissance à l’un des premiers débats sur le Canada et la monarchie, lorsque la journaliste de la CBC Joyce Davidson déclare : « Comme la plupart des Canadiens, je suis indifférente à la visite de la reine. » Elle ajoute que les Canadiens sont « agacés » d’être encore « dépendants » d’un monarque étranger. Ces commentaires ne manquent pas de susciter la controverse, et le maire de Toronto, Nathan Phillips, réplique que « Mme Davidson ne parle pas au nom de tous les Canadiens ». Les discussions et les débats sur la place de la monarchie au Canada deviennent, par la suite, un élément incontournable des tournées royales.
En 1964, alors qu’elle est en tournée au Canada en pleine Révolution tranquille au Québec, la reine est accueillie à Québec par des manifestants qui scandent « Elizabeth, reste à la maison! ». La réaction ne se fait pas attendre et la police attaque indistinctement manifestants et journalistes à coups de matraque. Les journalistes québécois baptiseront le 10 octobre 1964 « le samedi de la matraque ». Imperturbable, la reine, parfaitement bilingue, déclare dans un discours à l’assemblée législative du Québec qu’elle est « heureuse qu’il existe un endroit dans le Commonwealth où elle peut s’exprimer en français ». La monarchie reste relativement impopulaire au Québec et le prince Charles fait face à des manifestants lors d’une visite à Montréal en 2009.
Les visites de la reine et de sa famille au Canada se multiplient au cours des années 1970, alors même que l’iconographie royale perd de son importance au sein du gouvernement canadien. En 1970, la reine, Philip, Charles et Anne se rendent dans des communautés éloignées le long du cercle polaire pour marquer le centième anniversaire des Territoires du Nord-Ouest et affirmer implicitement la souveraineté canadienne sur l’Arctique. En 1973, la reine prononce un discours à l’hôtel Royal York de Toronto, dans lequel elle fait l’éloge de la société multiculturelle du Canada et déclare : « C’est en tant que reine du Canada que je suis ici - reine du Canada et de tous les Canadiens, pas seulement d’une ou deux souches ancestrales. »
À la fin des années 1970, le deuxième fils de la reine, le prince Andrew, fréquente brièvement la Lakefield College School près de Peterborough, en Ontario, et la reine entreprend de fréquentes tournées royales. Elle inaugure les Jeux olympiques de 1976 à Montréal, où sa fille Anne participe aux épreuves équestres. En 1977, elle fête son jubilé d’argent par une tournée de six jours au Canada. Un an plus tard, elle inaugure les Jeux du Commonwealth à Edmonton, où elle fait la remarque suivante : « Je commence à bien connaître notre pays. »
1982 marque sans doute la visite la plus importante de la reine au Canada sur le plan historique et politique, puisqu’elle participe au rapatriement de la Constitution du Canada. En 1984, elle commémore le bicentenaire de la création de la colonie (aujourd’hui province) du Nouveau-Brunswick et de l’arrivée des loyalistes britanniques dans une région devenue depuis l’Ontario. En 1990, elle rencontre à Calgary des membres des Premières nations signataires du Traité no 7, signé en 1877 avec l’arrière-arrière-grand-mère d’Elizabeth, la reine Victoria.
À cette époque, toutefois, ses enfants et leurs conjoints commencent à se faire remarquer par le public. Lors de leur tournée au Canada en 1983, Charles et Diana, prince et princesse de Galles, attirent des foules considérables, y compris des spectateurs jusque-là indifférents à la famille royale.
En 2002, la reine fait une tournée au Canada en l’honneur de son jubilé d’or, en procédant à la mise au jeu d’un match des Canucks de Vancouver. Elle visite le Canada pour la dernière fois en 2010, présidant les célébrations de la fête du Canada sur la colline du Parlement. Comme la tournée du Jubilé de la reine en 2002, la tournée de 2010 célèbre les décennies de service public de la reine. Cette tournée marque le début d’une période de regain de visibilité médiatique pour la monarchie, notamment après le mariage du prince William, petit-fils de la reine et second dans l’ordre de succession au trône, avec Catherine Middleton en 2011. Le mariage est rapidement suivi par la naissance du premier enfant du couple, le prince George, en 2013. Les naissances de la princesse Charlotte et du prince Louis suivent en 2015 et 2018.
Dix ans après avoir célébré son jubilé de diamant, la reine fête son jubilé de platine en 2022.
Un rôle politique
Lorsqu’elle accède au trône, Elizabeth II hérite d’une monarchie constitutionnelle, un système de gouvernement qui a évolué depuis le XVIIe siècle. En 1689, le roi Jacques II, catholique romain et partisan du droit divin des rois, était détrôné par sa fille Marie et son mari néerlandais, Guillaume d’Orange. Après leur accession au trône, le Parlement britannique avait demandé au roi Guillaume III et à la reine Marie II d’accepter une déclaration des droits qui garantissait qu’ils respecteraient la loi et accepteraient la suprématie juridique du Parlement. Cette « Glorieuse Révolution » a marqué le début de la transformation de l’Angleterre d’une monarchie absolue en une monarchie constitutionnelle, dans laquelle le pouvoir du monarque sera défini et limité pour la première fois.
Le Canada hérite de la monarchie constitutionnelle avec la Confédération en 1867. La déclaration Balfour de 1926, qui stipule que la Grande-Bretagne et ses dominions sont constitutionnellement égaux, donne au Canada le contrôle de sa propre politique étrangère. Quelques années plus tard, le Statut de Westminster de 1931 abolit la capacité du Parlement britannique à légiférer pour le Canada.
En vertu des lettres patentes de 1947, le gouverneur général exerce les prérogatives du souverain, notamment le fait d’accorder la sanction royale aux lois et la capacité de nommer et de suspendre les juges, les commissaires et les ministres. Dans la pratique moderne, cependant, la sanction royale est presque toujours un processus automatique, les nominations étant effectuées par le premier ministre, et le rôle du gouverneur général, comme celui de la reine, est presque entièrement cérémonial et symbolique. Le monarque, représenté par le gouverneur général, détient toutefois les pouvoirs de réserve en cas de crise constitutionnelle, lorsque, par exemple, un premier ministre refuse de quitter son poste après avoir perdu la confiance du Parlement.
La reine exerce le rôle de chef d’État du Canada en personne à deux reprises : en 1957, lorsqu’elle prononce le discours du Trône au Parlement, et en 1976, lorsqu’elle ouvre les Jeux olympiques d’été à Montréal.
Au fil des ans, la reine Elizabeth a toujours pris au sérieux son rôle de monarque constitutionnel impartial, en restant au-dessus de la politique et en prenant soin de ne pas critiquer publiquement ses premiers ministres ou leurs politiques, mais d’aucuns auront pu lire des allusions à ses opinions politiques dans de subtiles messages. Son discours lors de la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth en 2011 à Perth, en Australie, mentionnant l’importante contribution des femmes dans la société est largement interprété par le public comme une preuve de son soutien personnel à l’introduction d’une réforme de la succession sans distinction de sexe, entrée en vigueur au Royaume-Uni et dans le Commonwealth en 2015. Le commentaire de la reine selon lequel les électeurs écossais devraient réfléchir « très attentivement » au vote du référendum, apparaît quant à lui comme une mise en garde contre l’éclatement du Royaume-Uni.
Au Canada, la reine a également joué un rôle distinct en tant qu’incarnation de la Couronne dans les relations du Canada avec les Premières nations. La Proclamation royale de 1763, inscrite dans la Loi constitutionnelle de 1982, a confirmé les droits fonciers des Premières nations. Dans nombre de ses discours, la reine a souligné la relation personnelle entre sa famille et des générations de Premières Nations. Lorsqu’elle pose la première pierre de l’Université des Premières Nations du Canada à Regina en 2005, elle déclare : « Cette pierre a été prélevée sur le terrain du château de Balmoral, dans les Highlands d’Écosse, un lieu cher à mon arrière-arrière-grand-mère, la reine Victoria. Elle symbolise le fondement des droits des peuples des Premières nations reflétés dans les traités signés avec la Couronne sous son règne. »
Si la reine voulait que la pierre serve à « rappeler la relation spéciale qui existe entre la souveraine et tous les peuples des Premières nations », la relation des peuples des Premières nations avec la Couronne est toutefois devenue plus controversée ces dernières années. En 2021, lors d’un rassemblement pour les victimes et les survivants des pensionnats, des manifestants renversent les statues de la reine Victoria et de la reine Elizabeth II devant l’Assemblée législative du Manitoba. Ainsi, les récentes tournées royales se sont concentrées sur la réconciliation avec les peuples autochtones et, en 2022, le prince Charles a reconnu les souffrances causées par le système des pensionnats lors de sa tournée du jubilé de platine au Canada.
Les citoyens naturalisés du Canada doivent prêter un serment de citoyenneté qui stipule : « Je jure (ou j’affirme solennellement) que je serai fidèle et porterai sincère allégeance à Sa Majesté la reine Elizabeth II, reine du Canada, à ses héritiers et successeurs, que j’observerai fidèlement les lois du Canada (…) et remplirai loyalement mes obligations de citoyen canadien ».
Ce serment a parfois fait l’objet d’un débat public lorsque des néo-Canadiens originaires de lieux aussi divers que la Jamaïque (autre royaume du Commonwealth) et l’Irlande (qui a obtenu son indépendance du Royaume-Uni après une violente lutte) se sont opposés à prêter serment d’allégeance à la reine. Bien que de nombreux détracteurs de la monarchie aient néanmoins respecté la reine en tant que personnalité publique et femme d’État, son décès soulève la question de savoir si le Canada doit conserver un chef d’État né à l’étranger et si la citoyenneté canadienne doit exiger l’allégeance à un monarque qui vit en Grande-Bretagne.
Une image publique
La décision de la Reine d’autoriser la télédiffusion du couronnement aura marqué le début d’un processus de plusieurs décennies consistant à présenter au public une image parfaitement contrôlée de la Reine. Elizabeth II était l’une des personnalités publiques les plus reconnaissables au monde, son visage apparaissant sur des timbres, des pièces de monnaie et des articles commémoratifs. Parallèlement, ses opinions sur l’actualité étaient inconnues, ce qui a fait de la reine un sujet de prédilection pour les romans, les pièces de théâtre, les films et les séries télévisées qui imaginent les conversations qui auraient pu avoir lieu derrière les murs du palais. La plus célèbre d’entre elles est la série Netflix The Crown.
La question de savoir dans quelle mesure les caméras et les journalistes devaient être autorisés à pénétrer dans la vie privée de la famille royale a fait l’objet de débats tout au long du règne de la reine. En 1969, les caméras de la BBC ont été autorisées à suivre la reine pour un documentaire intitulé Royal Family, qui a donné à la plupart des téléspectateurs un premier aperçu des membres de la famille royale s’exprimant en dehors d’une occasion officielle. À l’exception de brefs extraits, le documentaire n’a pas été rediffusé à la télévision, peut-être en raison de l’inquiétude des conseillers qui trouvaient que la famille royale apparaissait trop « ordinaire », mais le film peut être vu sur YouTube.
Au Canada, la reine projette une image légèrement différente de celle qui prévaut au Royaume-Uni. Depuis le XIXe siècle, les Canadiens s’attendent à ce que les membres de la famille royale se comportent avec un certain degré de désinvolture. Les tournées canadiennes ont souvent été marquées par des moments plus décontractés, bien que soigneusement chorégraphiés, comme le fait que la reine ait pris le monorail à l’Expo 67 ou qu’elle ait lancé une rondelle cérémoniale lors d’un match de la LNH à Vancouver pendant sa tournée du jubilé d’or en 2002.
Les années 1980 et 1990 sont marquées par un examen médiatique minutieux et sensationnaliste de la vie privée et des écarts de conduite des enfants de la reine et, plus tard, de leurs conjoints. Une série de scandales et d’infidélités conjugales parmi la jeune génération de la famille royale culmine avec l’« annus horribilis » de la reine, en 1992. Cette année-là, le mariage chancelant de Charles et de Diana se termine par une séparation, tandis que Diana publie un livre à charge qui révèle la liaison de Charles avec Camilla Parker Bowles, entre autres détails privés. La réputation de Charles en souffre et le public doute de sa capacité à devenir un monarque respecté. Pendant ce temps, la fille de la reine, Anne, princesse royale, divorce de son mari, le capitaine Mark Phillips, et le deuxième fils de la reine, le prince Andrew, se sépare de sa femme Sarah Ferguson, dont les diverses aventures amoureuses sont largement relayées par les tabloïds.
Les scandales révélés par les paparazzi et leurs objectifs à longue portée n’empêchent pas la reine de profiter de l’occasion pour utiliser les nouvelles plateformes médiatiques afin de diffuser les engagements royaux et ses actions philanthropiques à un plus large public. La reine mentionne Internet dans un discours de 1997 et la création d’un site web officiel pour la famille royale ne tarde pas à suivre. La famille royale dispose désormais de comptes sur Facebook, Twitter, Instagram et YouTube qui présentent régulièrement leurs tournées et leurs événements.
En cette sixième décennie du règne de la reine Élisabeth, la famille royale se retrouve à nouveau mêlée à des scandales et des controverses. En 2020, le deuxième fils du prince Charles, le prince Harry, duc de Sussex, renonce à son rôle officiel dans la famille et s’installe au Canada puis en Californie avec sa femme, Meghan (née Markle), duchesse de Sussex, et leur fils Archie. Meghan, qui a vécu à Toronto pendant cinq ans pour le tournage de la série télévisée Suits, s’est plainte du caractère intrusif de la presse britannique. Après avoir conclu un accord avec la reine leur interdisant d’utiliser le titre d’« Altesse royale », Harry et Meghan mettent fin à leur éphémère fondation caritative Sussex Royal et créent une nouvelle fondation qu’ils baptisent Archewell.
En 2021, l’entrevue télévisée du couple avec Oprah Winfrey fait l’effet d’une bombe : Harry et Meghan y affirment en effet que c’est pour une question de racisme que Meghan ne s’est pas sentie la bienvenue au sein de la famille royale. La même année, ils passent un accord de plusieurs millions de dollars avec Netflix. Les rumeurs d’une émission de télé-réalité sur les coulisses de leur vie et la publication prochaine de l’autobiographie d’Harry suscitent des spéculations quant à la possibilité pour les Sussex de dévoiler d’autres informations confidentielles sur les Windsor.
Pendant ce temps, le deuxième fils de la reine, le prince Andrew, est confronté à des allégations d’agression sexuelle. Lié à Jeffrey Epstein, condamné pour trafic sexuel de mineurs, Andrew se voit signifier un procès en août 2021 par l’une des victimes d’Epstein, Virginia Giuffre, qui accuse le prince de l’avoir violée lorsqu’elle avait dix-sept ans. Après une interview désastreuse en 2019, les mécènes d’Andrew décident de prendre leurs distances. La reine dépouille Andrew du titre d’Altesse Royale, et il perd ses titres militaires, ses patronages royaux et ses fonctions publiques. Andrew règle à l’amiable le procès qui l’oppose à Guiffre en février 2022, pour un montant non divulgué.
Héritier du trône, le prince Charles, âgé de soixante-treize ans, a épousé son ancienne maîtresse Camilla Parker Bowles en 2005. En tant que duchesse de Cornouailles, elle est progressivement devenue un membre respecté de la famille royale et la reine a exprimé le souhait, lors de son jubilé de platine, que Camilla soit un jour connue comme reine consort. Charles et Camilla sont bien accueillis lors de leur visite au Canada en 2022. Cependant, l’organisation caritative de Charles, la Fondation du Prince, fait l’objet d’une enquête de Scotland Yard en 2022, suite à des allégations selon lesquelles son directeur général aurait promis d’obtenir un titre de chevalier et la citoyenneté britannique pour un ressortissant saoudien en échange d’un don. Le prince a affirmé ne pas avoir eu connaissance de cette affaire.
La reine n’a été personnellement impliquée dans aucun des scandales qui ont explosé autour d’elle. Au contraire, elle a été perçue par le public britannique comme une figure noble et digne lorsqu’elle a assisté seule aux funérailles de son mari bien-aimé, le prince Philip, pendant la pandémie de COVID-19 en avril 2021.
Un héritage
Le nom de l’arrière-arrière-grand-mère de la reine Elizabeth II, la reine Victoria, est devenu synonyme de la seconde moitié du XIXe siècle, que l’on appelle encore aujourd’hui l’ère victorienne. L’anniversaire de la reine Victoria demeure un jour férié au Canada anglais jusqu’à aujourd’hui, en hommage à son rôle de mère de la Confédération. Lorsque Elizabeth II est couronnée en 1953, on parle d’une nouvelle ère élisabéthaine, bien que cette description de son règne ne dure pas longtemps après son couronnement, la crise de Suez de 1956 marquant le déclin du rôle de la Grande-Bretagne sur la scène mondiale.
La reine ne voyait que peu de parallèles entre elle et la reine Tudor Élisabeth I, déclarant en décembre 1953 : « Je ne me sens pas du tout comme ma grande aïeule Tudor, qui n’a eu la chance d’avoir ni mari ni enfants, qui a régné en despote et n’a jamais pu quitter son pays natal ».
Alors qu’Élisabeth I a régné seule et que Victoria a passé les quarante dernières années de son règne en tant que « veuve de Windsor », Élisabeth II a été mariée pendant soixante-treize ans au duc d’Édimbourg et est devenue la matriarche d’une famille royale multigénérationnelle.
Elizabeth I n’a jamais quitté l’Angleterre et Victoria ne s’est pas aventurée au-delà de l’Europe, mais Elizabeth II aura été le monarque qui a le plus voyagé dans l’histoire, effectuant des visites officielles dans plus de 120 pays.
C’est en 2022 que la reine, âgée de quatre-vingt-seize ans, célèbre son jubilé de platine, marquant ses soixante-dix ans sur le trône. Au Royaume-Uni, le jubilé est une grande fête de quatre jours à laquelle assistent des millions de personnes, bien que la reine elle-même ne puisse apparaître qu’au début et à la fin des célébrations. Les célébrations officielles débutent par le traditionnel défilé Trooping the Colour, se poursuivent par un service d’action de grâce à la cathédrale St. Paul, le derby d’Epsom Downs et un concert spécial, sur invitation seulement, diffusé par la BBC avant de se terminer par un énorme spectacle en plein air avec un défilé militaire, un peloton de trois cents cyclistes, une pléiade de voitures anciennes, des chanteurs, des célébrités, des marionnettes grandeur nature, des danseurs de Bollywood et le carrosse d’État en or vieux de 260 ans, dans lequel semble se trouver un hologramme de la jeune reine Elizabeth. À l’arrivée du cortège devant le palais de Buckinham, la reine fait une apparition sur son balcon, flanquée des membres de la famille royale, et la foule en liesse entonne un impressionnant God Save the Queen. Des milliers d’autres événements du Jubilé se déroulent un peu partout au Royaume-Uni.
Au Canada, le prince Charles et la duchesse de Cornouailles effectuent une tournée du jubilé de trois jours, au cours de laquelle ils sont plusieurs fois confrontés à l’héritage colonial de la Grande-Bretagne à l’égard des populations autochtones, notamment des survivants des pensionnats. RoseAnne Archibald, cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations, demande au couple royal que la reine présente des excuses officielles pour « l’incapacité permanente de la Couronne à respecter ses accords de traité », mais le prince ne fait aucun commentaire sur cette requête. Entre-temps, la gouverneure générale Mary Simon, qui est inuite, félicite la reine dans une allocution officielle et fait remarquer : « Quand j’étais enfant, dans le nord du Québec, ma grand-mère nous montrait des photos de la reine. Sa Majesté était vénérée dans l’Arctique, car la relation entre la Couronne et les peuples autochtones est considérée comme sacrée. »
La durée record du règne d’Elizabeth, qui dépasse les soixante-trois ans de règne de Victoria, aura permis à la reine d’être présente pendant une période sans précédent de changements sociaux, culturels et politiques. Son engagement envers le Commonwealth et son rôle de reine de ses différents royaumes sont restés constants tout au long de son règne. Nombreux sont ceux qui se souviendront d’elle comme d’une femme d’État digne qui a assuré une certaine continuité en plusieurs décennies d’agitation internationale. Toutefois, les tournées royales au Canada, qui ont eu lieu à divers moments de son règne, ont révélé l’ambivalence croissante de nombreux citoyens - en particulier ceux d’origine autochtone et canadienne-française - à l’égard du maintien des liens du Canada avec la Couronne. En fin de compte, il appartiendra au peuple canadien de décider si l’héritage d’Elizabeth impliquera le maintien d’un rôle pour la monarchie au Canada au XXIe siècle.
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